Non, personne ne va ouvrir un portail vers un monde parallèle (pour le moment)

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Non, personne ne va ouvrir un portail vers un monde parallèle (pour le moment)

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Existe-t-il un monde miroir de notre planète Terre ?
Existe-t-il un monde miroir de notre planète Terre ?
© Getty - VICTOR HABBICK VISIONS

Les univers parallèles sont à la mode : de l'"Upside Down" de la série "Stranger Things", à une expérience menée aux Etats-Unis pour prouver ou non la possibilité de l'existence d'un monde-miroir, on ne cesse de les évoquer. Mais de quoi parle-t-on, au juste ?

Non, la physicienne Leah Broussard n'est pas sur le point de prouver l'existence d'un univers parallèle, pas plus qu'elle n'est en passe "d' ouvrir un portail menant sur un autre univers". Aucun risque donc, de découvrir un tunnel dimensionnel qui viendrait vous confronter à des créatures tout droit sorties de l'Upside Down de la série Stranger Things, pas plus que de rencontrer une version alternative de vous-même en provenance directe de la planète Terre 833.

Contrairement à ce qu'ont claironné certains médias ces derniers jours, l'équipe de scientifiques du laboratoire national d’Oak Ridge, dans le Tennessee aux Etats-Unis, est surtout en passe de tenter une expérience qui devrait permettre, si le résultat s'avère positif, de ne pas réfuter la possibilité de l'existence d'un univers parallèle, ou plutôt d'un "monde-miroir". "Je m’attends à ne rien détecter", a par ailleurs confié Leah Broussard au média NBCNews, avant de confirmer qu'une telle découverte pourrait néanmoins "changer les règles du jeu".

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Un monde miroir

La physicienne Leah Brossard puise l'idée de son expérience dans un problème physique bien concret. Dans les années 90, des physiciens ont tenté de comprendre comment les neutrons, présents dans les noyaux des atomes, se "décomposaient" en protons une fois privés de la stabilité du dit noyau. Un détail a rapidement intrigué les chercheurs ; un détail d'une durée d'à peine 10 secondes. 

En gros, selon que les neutrons étaient stockés puis comptés après une réaction radioactive, ou bien qu'ils aient été générés à l'aide de faisceaux à particules, ils se "décomposaient" en protons à plus ou moins grande vitesse. Au bout de 14 min et 39 secondes dans un cas, et de 14 min et 48 secondes dans l'autre. Or, les neutrons étant en tous points les mêmes, leur comportement n'aurait pas dû différer.  

En janvier 2018, deux chercheurs de l'Université de Californie ont suggéré que la différence pouvait s'expliquer par le fait que certains neutrons se "décomposaient" en matière noire (des particules invisibles et indétectables, qui permettraient rien de moins qu'à notre univers de se maintenir en place) au lieu de protons, d'où une disparition plus rapide.

La Méthode scientifique
59 min

Mais en 2005 déjà, le chercheur russe Anatoli Serebrov avait quant à lui supposé que certains neutrons pouvaient passer dans un "monde-miroir" et devenir ainsi des "particules-miroir". 

C'est cette théorie que cherchent à vérifier la physicienne Leah Broussard et son équipe. Le monde-miroir en question, s'il existait, à en croire les théories actuelles, aurait a priori ses propres lois physiques, certainement des atomes-miroirs, voire ses propres planètes-miroir. Au grand dam des écrivains de science-fiction, nous n'y trouverions cependant pas de version-miroir de nous-même. 

Afin de produire plusieurs millions de neutrons, la physicienne Leah Brossard va utiliser un réacteur nucléaire d'une puissance de 85-megawatt.
Afin de produire plusieurs millions de neutrons, la physicienne Leah Brossard va utiliser un réacteur nucléaire d'une puissance de 85-megawatt.
- Leah Broussard at Oak Ridge National Laboratory.Genevieve Martin / Oak Ridge Nat

Pour vérifier l’hypothèse, Leah Broussard compte lancer un faisceau de particules subatomiques, à l'aide d'un réacteur nucléaire, dans un tunnel d'une quinzaine de mètres pour franchir un mur impénétrable. L'idée est, grossièrement, que certaines de ces particules pourraient devenir temporairement des particules-miroirs et ainsi parvenir à l'autre bout du tunnel malgré le mur. Si le détecteur de neutrons n'en détecte ne serait-ce qu'un seul, cela viendrait ainsi confirmer la possibilité d'un monde-miroir... sans pour autant prouver son existence.

Mais qu'est-ce qu'un univers parallèle ? 

"Tout se résume à : sommes-nous capables de faire passer des neutrons à travers un mur ?", résumait Leah Broussard pour NBCNews, ajoutant que selon la théorie de la physique conventionnelle, "nous ne devrions voir aucun neutron". Un résultat positif viendrait donc bouleverser les lois de la physique classique, et ouvrirait certainement la porte à des théories plus ambitieuses encore que celle d'un monde-miroir, à l'image de celle des multivers. 

"C'est une hypothèse fascinante", estimait à ce sujet l'astrophysicien et poète Jean-Pierre Luminet dans l'émission Science Publique, en avril 2011, rappelant qu'il n'y a pas un multivers possible mais bien des multivers :  

C’est une hypothèse fascinante, il est clair que le terme d’univers parallèle est un terme plutôt emprunté à la littérature de science-fiction. Si les univers étaient parallèles, ils ne se rejoindraient jamais et on ne pourrait jamais mettre en évidence une quelconque existence. Mais ce qui est fascinant c’est que l’hypothèse des univers multiples est [...] une réflexion beaucoup plus profonde sur des théories éventuellement unificatrices de la gravitation et de la physique quantique, qui font émerger de façon relativement naturelle l’idée de mondes possibles, avec des propriétés physiques différentes. [...] Il y a un grand nombre de variantes de ce qu’on appelle le multivers. Entre les multivers qui n’ont rien à voir avec la cosmologie au départ mais qui peuvent jaillir de certaines interprétations de la physique quantique, qu’on appelle implantations d’Everett,  - qui sont plutôt des bourgeonnements continus d’univers qui broussaillent à partir de chaque mesure physique - jusqu'aux multivers prédits aussi bien par la théorie des cordes, par l’inflation chaotique ou par la gravité quantique à boucles… Des approches différentes, et à chaque fois on a des types de multivers différents. 

Science publique
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"Le multivers n'est pas une théorie, s'il en était une ce serait une mauvaise théorie, assurait quant à lui l'astrophysicien Aurélien Barrau plus récemment dans La Méthode scientifique. Il est une conséquence de théories, qu'il s'agisse de physique quantique, de relativité, de théorie des cordes... qui sont testables ici et maintenant. Si je corrobore ces théories, alors je dois accepter le multivers, c'est une question de cohérence."

Selon de nombreux cosmologistes, il n'y aurait ainsi pas un seul univers mais plusieurs univers, et nous vivons dans l'un d'entre eux. Chacun de ces mondes est régi par des lois différentes, où les lois de la nature qui nous semblent acquises pourraient différer. Aurélien Barrau, dans La Méthode scientifique, tentait ainsi d'expliquer "simplement" les deux principales hypothèses derrière le concept de multivers

Il faut citer un instant l'interprétation dite des univers multiples d'Everett en physique quantique. Donc l'idée est assez simple  : la physique quantique prédit l'ubiquité. Les particules peuvent se trouver dans plusieurs endroits simultanément, dans plusieurs états simultanément. Nous ne faisons jamais l'expérience de ce genre de choses dans le macrocosme, il y a donc une forme d'effondrement de ce monde quantique qu'on appelle la fonction d'onde. Et Everett a postulé que peut-être, en réalité, il s'agissait d'un embranchement en univers parallèle. Ça semble étonnant mais du point de vue mathématique c'est une hypothèse beaucoup plus élégante et beaucoup plus simple.

Le deuxième grand modèle repose sur la relativité d'Einstein. [...] La théorie d'Einstein prévoit qu'il est possible que l'espace cosmologique soit infiniment grand et si l'espace est infini alors les univers entendus comme les sous-zones d'espace qui nous sont accessibles deviennent eux-même en nombres infinis. [...] La relativité générale intervient aussi avec les trous noirs parce qu'il est possible que les trous noirs soient en quelque sorte des passes vers d'autres univers et enfin surtout parce que la relativité nous invite à repenser l'origine de l'univers sous la forme d'un scénario inflationnaire et dans ce modèle d'inflation on ne crée par un univers bulle mais on crée un foisonnement, une myriade,  une sorte d'Yggdrasil, d'arbre-monde finalement dans lequel chaque univers est une sorte de petite coquille, de petit monde, et quand on pince un monde on peut faire émerger un autre monde ce qui va donner naissance à une structure arborescente de monde... Et là c'est vertigineux parce que non seulement les phénomènes peuvent varier, mais les règles peuvent varier... 

La Méthode scientifique
59 min

Tout n'est pas perdu donc, si on est encore loin d'avoir prouvé l'existence des multivers, ils ne sont toujours pas exclus. Et peut-être avez-vous quelque part, un double qui vit selon des règles étranges.