Mort d’Anne Vanderlove, la “Joan Baez française” à la carrière cabossée

La chanteuse avait connu un succès fulgurant en 1967 avec sa “Ballade en novembre”. L’année suivante, elle chantait dans les usines en grève, portée par des idéaux de paix et de justice. Avant de se retirer du showbiz en 1972 pour se lancer dans la voie, finalement hasardeuse, de l’autoproduction.  

Par Valérie Lehoux

Publié le 04 juillet 2019 à 18h45

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 00h50

Elle avait beau avoir totalement disparu des radars médiatiques, l’annonce de son décès sur Facebook a instantanément suscité une vague d’émotion. Aussi discrète fut-elle, Anne Vanderlove continuait de susciter l’admiration et la tendresse d’aficionados de la chanson, attachés sans doute autant à sa voix claire qu’à son parcours hors norme et cabossé. Cette fidélité n’était que justice. La chanteuse, née aux Pays-Bas (d’où son nom d’était civil, Van der Leeuw), mais qui avait grandi en Bretagne, fut une figure des turbulences sociales et politiques nées de 68. Elle restera aussi l’une des rares personnalités à avoir assumé son indépendance face à l’industrie musicale. Peut-être parce que, au fond, elle ne s’était jamais imaginé chanteuse.

Jeune femme, c’est la philosophie qui l’attire. Elle l’étudie – tout en assurant les besoins d’un quotidien modeste avec des petits boulots en série. Déjà, son regard sur la vie ne peut se concevoir sans engagement. Devenue institutrice, elle envisage de partir en mission humanitaire à l’étranger. Elle prépare son voyage, s’achète une guitare… mais la vue de musiciens de rue va soudain éveiller en elle un désir inattendu : chanter là, au cœur de la ville, sans froufrou.

Elle se met à écrire et composer, à une époque où très peu de femmes encore osent le faire, se produit dans de petits cabarets. Le directeur de Pathé-Marconi la remarque… En mai 1967, Anne Vandelove sort sa Ballade en novembre, qui se vendra à près de un million d’exemplaires. La France chavire au son de sa voix claire et vibrante, qui rappelle celle de Marie Laforêt. Et à sa mélancolie hors d’âge : « Il pleut/ Sur le jardin, sur le rivage/ Et si j’ai de l’eau dans les yeux/  C’est qu’il me pleut sur le visage… » Succès fulgurant.

L’année suivante, elle chante dans les usines en grève. Autant pour sa voix que pour ses idéaux de paix et de justice, on la surnomme « la Joan Baez française ». Elle se dit fortement influencée par Dylan. Elle est aussi une proche de Gérard Manset, au point de participer à son album – devenu mythique –, La Mort d’Orion, sorti en 1970. Vanderlove est un nom qui compte dans la chanson hexagonale ; un nom salué de distinctions alors prestigieuses, comme le prix Charles-Cros…

Mais le showbiz l’étouffe. En 1972, elle lui tourne le dos en rompant ses liens avec Pathé-Marconi pour se lancer dans l’aventure incertaine de l’autoproduction... Ce qui marquera l’irréversible tarissement de sa production discographique – contrairement à Anne Sylvestre. Elle quitte Paris pour la Bretagne.

Anne Vanderlove aura donc occupé le devant de la scène pendant cinq ans. Seulement. Mais sa personnalité aura été assez marquante pour qu’un public d’initiés, saluant sa douce radicalité, continue de venir l’applaudir dans les petites salles où elle se produisait parfois – quand elle n’allait pas chanter dans les écoles ou les prisons. Une ou deux tentatives de retour, dans les années 1980 et 1990, susciteront encore l’intérêt de la critique, mais guère plus.

La seule fois où les médias se souviendront d’elle, c’est à la rubrique des faits divers, quand, en 1993, entraînée dans une passion amoureuse toxique, elle sera interpellée pour une histoire de hold-up. Un épisode qui aurait semblé presque romanesque, s’il n’avait marqué les noirceurs d’une vie personnelle chaotique. Depuis, elle avait retrouvé la sérénité auprès d’une femme, Sandrine Bourbigot. Ensemble, elles élevaient leur petit garçon de dix ans. 

Ces dernières années, comme d’autres artistes en retrait des radios et des télés, elle communiquait encore avec ses fidèles par l’intermédiaire des réseaux sociaux. C’est donc ainsi qu’on a appris ce matin sa mort, à l’âge de 75 ans. Annoncé par sa compagne avec autant d’émotion que de dignité. Et nous, ne pouvons aujourd’hui que réécouter avec tristesse cette Ballade en novembre qui l’avait fait entrer dans le monde de la chanson : « Qu’on me laisse à mes souvenirs/ Qu’on me laisse à mes amours mortes/ Il est temps de fermer la porte/ Il se fait temps d’aller dormir. »

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