Des magazines féminin disposé en patchwork

La presse féminine essaye de se renouveler mais reste coincée par la pub

© David-Julien Rahmil pour L'ADN

Entre des reportages sur des femmes de caractère, des shootings mode qui ont un goût de déjà-vu et des conseils sexe et bien-être toujours plus bullshit, où en est la presse féminine ?

Autant commencer cet article par un avertissement : je suis un homme blanc cis hétéro et n’ai jamais vraiment lu de presse féminine. Les rares fois où j'en ai feuilleté m'ont toujours laissé un avis mitigé. Comme beaucoup de monde, je m’indigne régulièrement face aux mannequins anorexiques, aux photos retouchées à l’extrême et aux injonctions souvent sexistes et contradictoires que l’on peut trouver dans les pages de ces magazines.

Depuis deux ans, pourtant, on assiste à une libération de la parole féminine. Les mouvements MeToo et Balance ton porc sont passés par là, le féminisme s’impose de plus en plus dans le débat public et les hashtags qui prônent le body positivism prolifèrent sur les réseaux. Mieux encore, les standards de beauté et les notions de genre et de sexe sont en pleine redéfinition. C'est assez visible en ligne... mais on s'est demandé, si, à l'approche de l'été, les versions papier glacé avaient enfin pris le tournant attendu.

Presse féminine : des magazines en perte de vitesse

La question n’a rien d'anodin quand on regarde les chiffres. D’après l’institut Kantar, les magazines féminins ont vu leur taux de diffusion fortement diminuer, notamment à cause de la fermeture des points de vente. En 2018, Vogue et Marie Claire ont accusé une baisse de 5,5% tandis que Cosmopolitan et Biba ont encaissé une chute vertigineuse de 11,77 % et 16,74 %. Seul le titre Elle tire son épingle du jeu avec une légère progression de 0,79%.

« Profitez de la vie mais ne mangez pas trop », des injonctions contradictoires

En février 2017, l’éditorialiste du magazine Elle, Alix Girod de l’Ain expliquait que son magazine regorgeait de conseils schizophréniques... et que ça n’était pas si grave que ça.

Deux ans plus tard, rien n’a vraiment changé. Chez Glamour par exemple, on annonce en édito qu’il faut céder à la gourmandise et qu’on est, théoriquement, contre le beach body (un corps qui serait parfait pour se mettre en maillot de bain). « Malgré tout, avouons-le, c’est plus facile quand on a une jolie qualité de peau », indique une journaliste qui va détailler sur 6 pages des conseils et des produits pour affermir la peau des fesses. Un peu plus loin un portfolio intitulé « Food Porn » montre des mannequins filiformes en train de déguster des hot-dogs ou des parts de pizza.

Chez Madame Figaro aussi, on nage en pleine contradiction. À longueur de pages, les journalistes invitent les lectrices à la « zénitude », au lâcher prise et à la lenteur. Tout ça pour mieux vous gaver avec des checklists plus longues qu’une procédure de démarrage d’Airbus afin de s’endormir rapidement. Si je passe 2h30 tous les soirs à sniffer de l’huile essentielle de rose tout en maintenant la température de mes draps à 17,5 degrés, ma routine risque en effet de vite me fatiguer.

Le bullshit du bien-être n’est jamais très loin (et le business qui va avec non plus)

Dans la presse féminine, on ne veut que votre bien. On veut que vous soyez détendue, avec une peau bien hydratée et des chakras grands ouverts. Quitte à raconter n’importe quoi. Chez Madame Figaro par exemple, une interview perchée de la docteur Nadia Volf m’incite à réparer mon ADN avec de l’acupuncture. J’apprends aussi que mon cœur « génère un champ électromagnétique puissant qui a une action régulatrice sur l’activité de toutes nos cellules ». Je reste un peu sceptique…

Chez Marie Claire on m’apprend à « dépolluer les pores de ma peau » et me « débarrasser des métaux lourds » avec une douzaine de soins allant de 8 à 140 euros. Vous n’avez pas envie de passer à la caisse et privilégiez une bonne séance de méditation ? Raté, là aussi il faut payer. Sur Biba, on fait la promotion des « méditations vibratoires » de Geraldine Garance. Pour 5 euros, vous pouvez vous « enraciner à la terre et faire circuler les énergies », vous offrir « un vrai soin énergétique, monter en vibration et aiguiser les ressentis » ou bien encore « recharger le corps en énergie positive. » Prochaine étape, la secte ?

Un manque de diversité féminine, dans la pub et les portfolios

Avec la baisse des ventes du papier, les magazines féminins connaissent une baisse moyenne de 11% des investissements publicitaires d’après Kantar. Cette baisse s’accompagne d’un recul de la pagination qui s’élève à 12% chez Elle par exemple.

Malgré cette diminution, les pages de pub sont omniprésentes dans les magazines. La palme revient de loin au magazine Vogue avec environ 80 pages de publicité sur 202 pages. Le papier est glacé, les contenus glaçants. Je ne compte que 4 ou 5 publicités contenant un modèle de couleur et une seule publicité, celle de Lancôme, qui met en scène un modèle plus âgé que la moyenne. Sur les très nombreuses pages de portfolios qui accompagnent ces revues, la diversité n’est pas mieux traitée. Les modèles féminins sont majoritairement blanches, grandes et minces. C’est un peu comme si les dernières avancées en matière de féminisme n’avaient jamais passé les portes de la mode. Qui l’eût cru…

Pourquoi lire la presse féminine quand on a Instagram et les influenceuses ?

Pour des magazines comme Cosmopolitan, Madame Figaro ou Biba, de nombreux articles s’apparentent à une forme de coaching publicitaire. Très orienté conseils pratiques, bien-être, beauté et sexe, Cosmo m’apprend qu’il faut plus de 170 euros de crèmes hydratantes et de bombes d’eau thermale pour guérir un coup de soleil. Plus loin, le magazine me conseille de boire des jus de légumes pour faire passer une phase de célibat en mode healthy, plutôt que d’aller traîner dans des bars avec des copines. La plupart des conseils et témoignages sont issus de femmes vivant à Paris et évoluant dans le milieu du journalisme ou de la communication. Face à cette uniformisation, je me dis que la nouvelle génération a plus vite fait de suivre les conseils beauté et lifestyle des influenceuses sur YouTube et Instagram. Plus représentatives, les blogueuses jouent aussi beaucoup sur la notion de proximité et d’authenticité. C’est franchement ce qui manque à ces magazines.

Entre crise, diktats et renouveau, mon coeur balance

Tout n’est pas perdu dans le monde de la presse féminine. Face à la crise du magazine papier, plusieurs titres ont décidé de changer de maquettes, de prix et de contenu pour viser une plus grande qualité. Chez Grazia, le magazine s’ouvre sur la rubrique 10 news qui enchaîne reportages, interviews et portraits. On y trouve notamment un reportage sur les femmes après la révolution soudanaise. Chez Marie Claire, un reportage dans une colo pour ados et des témoignages sur des mères transgenres donnent la parole à des individus peu présents dans les médias. Le magazine Elle va carrément raconter la vie passionnante de Flavia Froes, l’avocate des narcos brésiliens.

Bref, on navigue encore un peu à vue... les sujets de fond sont là, mais la presse féminine a visiblement du mal à se défaire des diktats de ceux qui tiennent les cordons de la bourse : les annonceurs. Y a encore un peu de taff, mais on y croit !  

POUR ALLER PLUS LOIN :

> Siné Madame, le premier journal satirique entièrement féminin

>Waïa, le nouveau magazine féminin 100% digital dédié la beauté noire (mais qui va plaire à tout le monde)

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.
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