Parler du porno aux enfants : “C’est un sujet compliqué pour nous, parents, mais on ne peut pas laisser les ados seuls face à cela”
- Publié le 15-07-2019 à 06h30
- Mis à jour le 15-07-2019 à 09h27
Coauteure du livre sur les dégâts de la culture pornographique sur l’imaginaire des plus jeunes, Anne de Labouret insiste : le meilleur moyen de protéger les enfants, c’est d’en parler avec eux.
Quand doit-on parler de pornographie à son enfant ?
La première chose à dire, c’est que c’est un sujet compliqué pour nous, parents. Il n’y a pas de bon moment mais on doit le faire. Dès qu’on donne un accès libre à Internet à un enfant, il faut le prévenir qu’il peut tomber sur des images inadaptées.
Même à la maison ?
Même à la maison quand il tape un mot-clé dans une recherche sur Google, que ce soit sans intention ou parce qu’il est curieux. Il est presque inévitable qu’à un moment l’enfant soit confronté à des images pornographiques. Tous les enfants à qui nous avons personnellement posé la question nous ont dit qu’ils avaient eu accès à des images pornos entre 9 et 11 ans. Et tous nous ont aussi dit qu’ils pensaient que “ce n’était pas très bien”. Ce qu’on voit sur internet est terrifiant pour des enfants. L’idée, c’est de créer un climat de confiance qui va permettre à l’enfant de revenir vers ses parents en se sentant suffisamment à l’aise pour évoquer ce qu’un copain lui a montré sur son GSM ou sur quoi il est tombé en surfant sur internet.
Comment aborder le sujet avec un enfant de 8 ou 9 ans ?
Le jeune enfant qui tombe sur des images pornographiques n’a pas besoin qu’on les lui détaille. On va juste lui dire que ce n’est pas la vraie vie, que ce contenu ne lui est pas destiné et qu’on regrette qu’il soit tombé dessus. Cela fait partie des risques d’Internet. On va le remercier pour sa confiance et lui dire de revenir en parler si ça se reproduit.
Et avec les ados ?
On sera amené à répondre de manière plus précise mais cela va dépendre de chaque ado. Il ne faut pas avoir peur de ces échanges. C’est normal qu’il s’intéresse à la sexualité et cherche à s’informer. Aujourd’hui, il ouvre internet et tape “masturbation” pour savoir ce que ça veut dire. Il ne cherche plus dans le Larousse… Mais il faut lui expliquer que la pornographie, ce sont des films qui sont construits par des producteurs qui se font beaucoup d’argent, avec des acteurs qui font semblant et des pratiques sexuelles que tout le monde ne fait pas dans la vraie vie et certainement pas au début d’une relation. On peut faire le lien avec les films que les adolescents regardent. Ils peuvent être fascinés par les grosses voitures de Fast and Furious, même si on sait que les cascades et la vitesse ne sont pas vraies. C’est ça qu’il faut replacer.
Certains enfants préfèrent éviter le sujet avec leurs parents, non ?
Je pense que ce sont souvent les parents qui sont réticents à parler de cela, parce qu’il faut bien reconnaître que ce n’est pas facile. Et l’enfant sent la gêne. Alors on ne va pas créer artificiellement une discussion en le convoquant en disant : viens, ce soir, on va parler de quelque chose de délicat… Mais on va saisir l’occasion quand il rapporte un problème de cyberharcèlement à l’école, par exemple.
Un enfant peut se sentir coupable d'être tombé sur des images pornos.
La première chose à lui dire, c’est qu’on ne porte pas de jugement ni de critique. Si les enfants en viennent à voir ce genre de choses, c’est parce que nous, parents et société, n’avons pas réussi à les protéger de ces images inadaptées. Quand on dit cela, avec des mots justes, on s’aperçoit que les enfants parlent parce que pour eux, c’est beaucoup moins tabou que pour les parents. Il ne s’agit pas d’être intrusif dans la vie privée et l’intimité. Il ne faut pas entrer dans ce que l’adolescent fait lui-même. Mais il faut leur expliquer que ce qu’ils voient dans les films pornos, ce n’est pas la réalité.
Les adolescents n'en sont pas conscients ?
Ils vous disent : “Bien sûr qu’on sait que c’est du cinéma !”, mais ils ne prennent pas la mesure de la distance entre le film et la réalité. Ils voient des relations sexuelles avec de grandes précisions anatomiques, des pratiques orales, génitales et anales qui s’enchaînent, sans préliminaires, sans discussion, avec des femmes qui hurlent de plaisir apparent et qui, parfois se font violenter par plusieurs hommes… C’est là qu’il y a un rôle éducatif à jouer, en expliquant une notion vraiment très importante : le consentement… Il faut absolument venir sur cette question du consentement dès que le préado s’éveille à la sexualité.
En lui disant quoi ?
En lui expliquant ce qu’est une relation saine, où le consentement doit être libre et éclairé de part et d’autre, et qu’il peut être retiré à tout moment. Ce n’est pas parce qu’une jeune fille accepte d’avoir un rapport sexuel avec son copain qu’elle dit oui à toutes les pratiques. Et personne, garçon ou fille, ne peut être obligé à faire ce dont il n’aurait pas envie. Il faut remettre la sexualité dans un contexte affectif, de sentiments, de tendresse, d’amour, de respect de soi et de l’autre. La pornographie gomme complètement cette dimension sentimentale. C’est quelque chose dont il faut parler avec le jeune enfant : pour lui, quand papa et maman s’aiment, ils se font des câlins, s’embrassent et se prennent dans les bras. Les sentiments doivent reprendre leur place dans la sexualité.
Certains adultes ne sont pas très à l'aide pour évoquer ces questions ...
C’est vrai : tous n’ont pas le même niveau d’aisance pour en parler. Il faut que ce soit la personne la plus à l’aise qui le fasse : cela peut être la maman, le papa, une marraine, un proche, un éducateur scolaire… L’important, c’est que les enfants ne soient pas laissés seuls face à la pornographie et qu’on puisse leur apporter un contre-discours. Et qu’on ne les laisse pas discuter juste entre copains : ils n’ont pas plus d’expérience de ça les uns que les autres.