Sempé : la grâce, plus que jamais

La couverture d’« Itinéraire d’un dessinateur d’humour », par Sempé.

La couverture d’« Itinéraire d’un dessinateur d’humour », par Sempé. ÉDITIONS MARTINE GOSSIEAUX

Album exceptionnel rempli de pièces rares, « Itinéraire d’un dessinateur d’humour » raconte la vie d’un jeune Bordelais « monté » à Paris, que rien ne prédestinait à être l’immortel auteur du « Petit Nicolas ».

Plus jeune, il avait l’élégance de Roger Moore dans James Bond, la légèreté brillante des héros de Fitzgerald, le regard perçant de Sami Frey et, à vélo, la sveltesse d’Hugo Koblet, le « pédaleur de charme ». C’était dans les années 1980. Il habitait alors place Saint-Sulpice – de sa vaste table de travail, je m’en souviens, il tutoyait la vieille église comme ses petits personnages narguent des ciels immenses – et dessinait le story-board de « Sempé SDF » pour convaincre sa voisine Catherine Deneuve de l’accueillir chez elle, dans le cas où il serait viré de son appartement par le nouveau propriétaire.

Le miracle est que, aujourd’hui âgé de 86 ans, déplacé dans le quartier de Montparnasse, « handicapé de la vie concrète », l’air d’un sphinx égyptien, la démarche alourdie, les doigts gonflés, la parole désormais hésitante et lente, il n’a rien perdu de son art et de son ironie. Au contraire, il les a épurés et sublimés. Jean-Jacques Sempé a plus que jamais la grâce.

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« Acharnement »

Il suffit de lire son « Itinéraire d’un dessinateur d’humour » (Editions Martine Gossieaux, 39 euros) pour voir comment, de « Sud Ouest » au « New Yorker » et du « Nouveau Candide » à « Paris Match », son trait s’est affiné, la palette de ses couleurs s’est élargie, ses vignettes sont devenues des aquarelles, ses sarcasmes ont plié devant une mélancolie de moraliste et ses légendes, dignes du meilleur Vialatte, ont pris une place grandissante.

Cet album exceptionnel, rempli de pièces rares, d’ébauches, de coupures de presse jaunies, de fac-similés émouvants, et augmenté d’entretiens avec le fidèle Marc Lecarpentier, raconte la vie d’un jeune Bordelais « monté » à Paris à 18 ans, que rien ne prédestinait à être l’immortel auteur du « Petit Nicolas » et de « Raoul Taburin ». Enfant malheureux et malmené, puis livreur cycliste pour un courtier en vins, le jeune Bordelais qui rêvait d’être batteur dans l’orchestre de Ray Ventura, ou pianiste de jazz, avoue ne devoir son salut qu’au travail.

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Négligeant ses dons, il parle de son « acharnement », regrette de n’avoir pas « la souplesse du trapéziste ». Lui qui excelle à dessiner les petites vanités et les ambitions déçues se compare plutôt à un terrassier, se juge laborieux et angoissé, avoue chercher pendant des heures la bonne idée. Il douterait presque de son œuvre magnifique.

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« J’aimerais un jour faire sentir dans mes dessins quelque chose d’indéfinissable, d’impalpable, un geste, une démarche qui trahit toute une vie. »

Qu’on se le dise, ce jour est arrivé. Hosanna.

Itinéraire d’un dessinateur d’humour, par Sempé, éditions Martine Gossieaux, 299 p., 39 euros.
◗ A lire aussi : 100 dessins pour la Liberté de la presse, par Sempé, Reporters Sans Frontières, 9,90 euros.

Paru dans « L’OBS » du 11 juillet 2019.

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