Hors travail

« Pôle emploi et son schéma nous renvoient à notre inutilité, à notre absence de lien aux autres »

Hors travail

par James

7h45 : petite séance d’exercice à jeun. 9h15 : c’est parti pour une recherche efficace... Vous vous souvenez de ce schéma infantilisant d’un Pôle emploi régional, décrivant la « journée type » du chômeur efficace ? Ce témoignage de James, demandeur d’emploi pourtant diplômé, met à bas la théorie du temps optimisé imaginé par les « coachs » de pôle emploi. Et illustre la réalité crue de la solitude d’un chômeur et de la quête sans fin d’un boulot.

Je suis au chômage depuis plusieurs mois maintenant, après avoir quitté la fonction publique (l’éducation nationale). Je suis indemnisé à hauteur de 29,06 euros par jour, ce qui m’amène à un montant de 900,86 euros pour un mois de 31 jours. Je ne précise pas cela pour attirer la sympathie ou susciter quelques frémissements émotionnels, mais pour placer un contexte, rien de plus.

J’ai un Bac +3 en langue anglaise et un Bac +5 obtenu à l’Espé (École supérieure du professorat et de l’éducation) à peu près aussi utile qu’un journal 20 minutes un jour d’orage. Ce diplôme me donne le droit d’affirmer fièrement être titulaire d’un master, mais me ferme aussi les portes de l’accès à la formation financée par le Pôle-emploi.

« Je ne connais les règles d’indemnisation que par ce que j’expérimente dans ma vie quotidienne »

Autre précision : je ne prétends pas connaître et maîtriser les règles qui régissent l’indemnisation chômage, les indemnités journalières et leur calcul, dont je ne connais les fondements que par ce que j’expérimente et constate dans ma vie quotidienne. Exemple : la règle de calcul d’indemnité faite en fonction d’anciens droits après une nouvelle période de travail dans laquelle l’indemnité journalière nouvelle, demandée à un instant T, sera comparée à l’ancienne. Elle sera éventuellement rehaussée, mais à condition que son montant soit de 30% supérieur à l’ancienne.

En gros : vous travaillez, vous êtes ensuite au chômage, on calcule vos droits. Vous reprenez ensuite une activité sans épuiser ces droits. Vous retombez dans le chômage, on calcule la nouvelle potentielle indemnité, on la compare à l’ancienne. Si ce calcul ne donne pas un montant de 30 % supérieur à l’ancien, on garde l’ancien en adaptant la durée de l’indemnisation en fonction de votre dernière période de cotisation. Voilà pour le contexte, pour que vous sachiez, un peu, d’où je parle.

La journée type du chômeur donc. Certains, certaines se souviennent peut-être de cette illustration qui a défrayé la chronique, malheureusement bien vite oubliée, mais que j’exhume ici pour le plaisir des yeux et du cerveau.

Schéma publié par un Pôle emploi régional en 2017

Je ne sais pas si mon quotidien est aussi bien cadencé, aussi bien rythmé, tel un petit Stakhanov de la recherche d’emploi, néanmoins il faut bien se l’avouer, Pôle emploi avec cette infographie, ce mode d’emploi, a tapé dans le mille.

Oui, effectivement tous les jours on cherche, on fouille, on creuse, on s’épuise et on s’abime le moral à la recherche de la pépite qui finira bien, à un moment ou à un autre, par briller au milieu du gravier.

On a la fièvre. Juste une annonce de plus, une candidature de plus, un CV et une lettre de motivation supplémentaire, le bureau de mon PC en est plein, le bureau sur lequel est posé ce bureau en déborde. Ma boite mail est inondée d’alertes, d’accusés de réception en tous genres (Linked In, Indeed, Jobijoba, Ouestjob, Monster, Pôle-emploi...). Ma boite mail déborde et régurgite.

« Parfois, je n’ai pas envie de me réveiller. Mes rêves sont mille fois plus intéressants que mes heures de veille »

Occasionnellement je reçois une réponse, toujours négative. Parfois je reçois un coup de fil. Parfois. Occasionnellement, j’effectue quelques missions, contrats courts, mais la plupart du temps je remplis mes journées avec des tâches fiévreuses de chercheur d’or.

Linked In, Monster, Indeed, Pôle-emploi, Linked In, Monster, Indeed, Pôle-emploi…

Et puis ensuite, je mets une série, j’allume ma console, j’essaie d’écrire, de lire. Je « profite » et me « relaxe ». Quand je peux.

Il est minuit, la journée a été longue et courte. J’éteins ma console, je ferme mon livre. Je vais me coucher et regarder des vidéos dans mon lit jusqu’à deux heures, parfois trois heures, et demain je recommencerai une autre journée de ce genre.

A ce stade il faut que je vous fasse un aveu, le schéma Pôle emploi appuie là où ça fait mal, aucun doute. Il nous rappelle que nos journées sont vides, creuses. Il nous renvoie à notre inutilité, notre absence de lien avec d’autres individus, qui sont eux intégrés dans la vie sociale. Des individus qui parfois au détour d’une phrase maladroite, un peu brutale mais jamais volontairement méchante ou malveillante, nous rappellent l’urgence de la situation liée au futur épuisement de notre indemnisation.

Il faut que je vous avoue donc, que je ne respecte pas ce mode d’emploi. Je me couche tard, je me lève tard. Parfois même, je n’ai pas envie de me lever. Parfois même je n’ai pas envie de me réveiller. Mes rêves sont mille fois plus intéressants que mes heures de veille. Pourtant parfois le sommeil ne vient pas, et mes rêves se laissent envahir des troubles des heures du jour, traîtres à leur cause.

James*

*Son prénom a été modifié

Ce témoignage a initialement été publié sur son blog. Nous reproduisons ce texte avec son autorisation.

Lire aussi :
 « Cela va vraiment être très violent » : des agents de Pôle emploi réagissent aux sanctions contre les chômeurs

 Selon une étude, 50 % des offres de Pôle emploi sont illégales voire inexistantes

 « Pôle emploi, c’est vraiment devenu une machine de guerre »