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Laissez chanter nos coqs: les bruits, ça fait partie de la campagne!

Le coq Maurice dont la propriétaire a été condamnée à payer 500 euros à sa voisine pour «trouble anormal du voisinage». XAVIER LEOTY/AFP

FIGAROVOX/ENTRETIEN - Le coq Maurice fait trop de bruit. Son infortunée propriétaire a été condamnée à 500€ d’amende. Pour éviter que de tels procès n’aient à nouveau lieu, le député de Lozère Pierre Morel-À-L’Huissier propose d’inscrire ces bruits de la campagne au patrimoine rural.


Pierre Morel-À-L’Huissier est député de Lozère et secrétaire de la commission des lois.


FIGAROVOX.- Comment réagissez-vous à la condamnation des propriétaires des coqs Coco et Maurice jugés trop bruyants par leurs voisins?

On a de plus en plus de mal à accepter le voisinage des autres.

Pierre MOREL-À-L’HUISSIER.- Ce genre d’affaire ne date pas d’hier. Si l’on regarde le détail de l’ensemble des jugements de ce type rendus sur les quinze dernières années, il y en a beaucoup et surtout de plus en plus. Il s’agit de ce que l’on appelle juridiquement les «troubles anormaux de voisinage», une notion très connue en droit civil. C’est donc une base juridique claire concernant les relations de voisinage. Cependant les élus sont parfois mis en cause. Certaines personnes vont en effet considérer que les maires, par exemple, ne font pas respecter la tranquillité publique. Petit à petit, il semblerait que l’on ait de plus en plus de mal à accepter tout simplement les vies des autres, à supporter le voisinage d’autrui. Et j’observe cela de plus en plus, y compris dans les zones classiques comme mon département de la Lozère, où l’on n’avait pas tant de difficultés avant. Ainsi récemment, dans un village des Cévennes, des vacanciers venus pour deux semaines ont reproché au maire de laisser sonner la petite cloche d’une chapelle trois fois dans la matinée… Mais cette «gêne» fait partie de ce qu’est la vie en communauté.

Analysez-vous ce genre d’affaire comme le signe d’une déconnexion entre le mode de vie urbain et la réalité de la vie rurale?

On pourrait en effet considérer qu’il s’agit d’un entrechoc entre le milieu rural et le milieu urbain mais je considère ce problème de manière plus globale. Je pense que l’individualisme rampant qui gagne de plus en plus la société, réduit la tolérance que l’on a vis-à-vis de la différence des autres. Il s’agirait donc moins d’un choc entre deux France, que d’une dislocation du lien social: on accepte de moins en moins la vie d’autrui. Je suis député depuis dix-sept ans et avant cela, j’ai longtemps été maire. J’ai donc pu observer de nombreux conflits de voisinage mais ce qui me frappe, c’est que depuis une vingtaine d’années, ces conflits semblent non seulement de plus en plus récurrents mais aussi de plus en plus prégnants.

La mise à l’écart des territoires ruraux par les pouvoirs ruraux est très inquiétante.

Je n’opposerais donc pas forcément l’urbain et le rural. Les oppositions que l’on observe aujourd’hui sont, selon moi, dues à un changement des mentalités humaines: les comportements deviennent notamment de plus en plus procéduriers. Ainsi si l’on combine ces deux observations on voit que l’on accepte d’une part de moins en moins les désagréments du quotidien liés à la vie en communauté et que d’autre part, on a de plus en plus recours au procès.

Ce qui m’inquiète beaucoup plus c’est la mise à l’écart des territoires ruraux par les pouvoirs publics. Je suis député de la Lozère, le département le plus emblématique de la ruralité profonde, avec quinze habitants au kilomètre carré. En tant que représentant de ce territoire, je plaide pour que nous inventions des dispositifs qui permettraient que la ruralité soit prise en considération beaucoup plus qu’elle ne l’est aujourd’hui. Par exemple, la Lozère compte cent soixante communes. Or, sur toutes ces communes, deux tiers - qui sont des petites communes allant de cinquante à trois cents habitants - sont des territoires dans lesquels il n’y a plus aucun commerce… Il n’y a plus aucune vie! On est en train d’aggraver la désertification d’un territoire rural qui - je tiens à la rappeler - représente 80 % du territoire français et accueille 20 % de la population. Ce sont des territoires à l’abandon. Cette décrépitude date déjà d’une vingtaine d’années mais ne fait que s’approfondir. Le projet de loi que je propose serait donc une manière de revaloriser les territoires ruraux.

Vous souhaitez donc faire reconnaître ces «bruits de la campagne» en les inscrivant au patrimoine national?

Oui, car in fine, beaucoup de choses passent par la loi. Je propose de créer un inventaire qui permettrait d’assurer la protection des bruits ou odeurs du patrimoine rural. Pour éviter que des situations comme celles de ces malheureux coqs ne se reproduisent, il faudra rappeler qu’une personne qui vient s’installer ou séjourner dans un territoire doit avoir conscience qu’elle «risque» quelque chose. En venant à la campagne, on doit s’attendre à être exposé à des bruits - que ce soit des coqs, des cloches de vache, des cloches d’église - ou bien encore des odeurs typiques comme celles que produisent les exploitations agricoles. Le travail sera donc de distinguer ce qui est inhérent à la vie rurale de ce qui peut être - et cela existe - une malice de la part d’un voisin qui allumerait une tronçonneuse à sept heures du matin.

Il faudrait créer un inventaire pour protéger bruits et odeurs appartenant au patrimoine rural.

J’aimerais que l’on puisse créer des commissions départementales afin d’élaborer cet inventaire qui rendrait compte de toute la réalité des traditions sonores, olfactives et plus globalement sensitives du milieu rural ou périurbain. Ainsi, si cet inventaire voit le jour, lorsqu’une personne vient dans une région ou un département spécifique, elle peut prendre connaissance de la liste de ce qui y est protégé et pas seulement pour les ressources naturelles mais aussi pour tout ce qui concerne la vie quotidienne, tout ce qui, finalement, fait partie inhérente de la vie de ce territoire. Il serait alors inconvenant de déposer une plainte pour un bruit ou une odeur qui nous dérange individuellement. De plus, dans le droit français, tout personne qui arrive quelque part et qui a une connaissance préalable de ce à quoi il va être assujetti n’a plus ensuite la possibilité d’exercer un recours pour un préjudice quelconque. Cela éviterait donc le genre d’affaires auxquelles on est de plus en plus confrontés.

Il me semble primordial que tout le monde ait conscience que les territoires ont des particularités. Et au même titre que l’on accepte les conditions climatiques ou géographiques d’un territoire, on doit accepter ce qui fait la tradition rurale d’un territoire au quotidien et cela implique des bruits, des odeurs, etc. Quand certains aspects typiques de la vie sur un territoire rural préexistent très largement à l’arrivée d’un individu, celui-ci ne peut pas invoquer de préjudice moral: il s’agit de ce qui appartient intrinsèquement à la vie de la campagne au même plan que le paysage rural lui-même.

Laissez chanter nos coqs: les bruits, ça fait partie de la campagne!

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38 commentaires
  • J Petruescu

    le

    Mon Dieu !!!!

  • Robinson Crusoe

    le

    C'est comme des malins qui avaient acheté des maisons à bas prix dans des zones aéroportuaires à cause du bruit, et qui ensuite venaient plaider pour supprimer la circulation aérienne.

  • cara03

    le

    Un coq un peu trop bavard ? Mais à la campagne, il n'y a pas que les coqs ; on se lève tôt dans ces contrées. l'agriculteur du coin choisit le meilleur moment pour faire ce qu'il a à faire. Il n'a pas d'heure. Les urbains devraient lui être reconnaissants de son labeur. Il faut bien constater par ailleurs, que de nos jours, le cultivateur ou l'éleveur, n'ont pas trop la cote auprès d'une population qui fantasme la campagne, écoute la doxa à la mode sans plus se poser de questions, et intente des procès par ignorance bien inculquée.

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