Comment la hernie discale de Michael Collins lui valut d’être sélectionné pour Apollo 11

Michael Collins. © Wikipedia

Michael Collins est, avec Neil Armstrong, Edwin « Buzz » Aldrin, un héros de l’aventure spatiale américaine. C’est paradoxalement un sérieux problème de santé qui a conditionné sa participation à la mission Apollo 11. Une histoire relatée par des neurochirurgiens américains dans le numéro daté de février 2019 de la revue JNS (Journal of neurosurgery. Spine).

Collins est né le 31 octobre 1930 à Rome. Son père, le Major General James Lawton Collins, était officier de carrière de l’U.S. Army où il occupait un poste d’attaché militaire dans la capitale italienne. Diplômé de l’Académie militaire des Etats-Unis en 1952, Michael Collins rejoint l’U.S. Air Force. Il intègre l’école des pilotes d’essai de l’U.S. Air Force de la base d’Edwards en 1960. Il décide alors de devenir astronaute et postule en 1962 pour faire partie du second groupe d’astronautes sélectionné par la jeune agence spatiale américaine, la NASA (National Aeronautics and Space Administration). Il n’est pas retenu. Il est sélectionné l’année suivante pour faire partie d’un groupe de 14 astronautes, baptisé The Fourteen.

Trois ans plus tard, en 1966, Collins effectue son premier vol spatial à bord de Gemini 10 en compagnie de l’astronaute John Young. Leur mission de trois jours nécessite de réaliser deux arrimages avec la fusée Agena pour réaliser un rendez-vous orbital, manœuvre qu’il convient de maîtriser dans le cadre de futures missions lunaires. L’équipage réalise deux sorties extra-véhiculaires en scaphandre dans le vide spatial pendant une durée d’une heure et 28 minutes. Collins devient alors le premier astronaute à effectuer deux sorties au cours d’une même mission.

Peu de temps après Gemini 10, Collins est affecté à la mission Apollo 8, de même que le vétéran Frank Borman et William Anders qui en est à son premier vol spatial. C’est alors que Collins commence à éprouver des symptômes témoignant d’une atteinte de la moelle épinière au niveau du cou (myélopathie cervicale). Tout commence lorsqu’il remarque  que ses « jambes ne semblent pas fonctionner normalement » lors de parties de handball, écrira-t-il plus tard dans sa biographie.

Craignant qu’il ne soit assigné au sol, l’astronaute choisit d’ignorer ses problèmes de santé mais les symptômes s’aggravent rapidement. Collins a des problèmes à monter et descendre les escaliers et manque de tomber à plusieurs reprises. Il présente en outre des engourdissements des deux jambes associés à des picotements. Ceux-ci progressent vers le haut des membres inférieurs. Le 12 juillet 1962, l’astronaute se décide enfin à consulter un médecin de la NASA qui l’adresse à un neurologue. La radiographie du cou de Collins révèle la formation d’une excroissance osseuse anormale à l’arrière des 5e et 6e vertèbres cervicales (ostéophyte postérieur C5-C6).

Hernie discale cervicale

Il est décidé que Collins se fasse opérer au plus vite. Rendez-vous est pris avec un neurochirurgien civil qui lui propose de réaliser une laminectomie cervicale postérieure, autrement dit de retirer un fragment de la partie postérieure d’une vertèbre pour « libérer » le canal dans lequel passe la moelle épinière et ainsi stopper ou limiter la progression des symptômes neurologiques. Selon les critères de l’Air Force, ce type d’intervention chirurgicale aurait cloué au sol pour toujours l’astronaute, l’empêchant à tout jamais de revoler dans l’espace. En effet, l’intervention proposée aurait eu pour conséquence que le cou soit vulnérable aux contraintes que subissent les pilotes d’essai lors de violentes accélérations, en particulier lorsqu’ils sont amenés à actionner leur siège éjectable.

De toute façon, la NASA ne l’entend pas ainsi. Collins est officier de l’U.S. Air Force et l’agence spatiale insiste pour que l’astronaute soit examiné par un chirurgien militaire. L’astronaute va finalement consulter deux autres chirurgiens,  civil et militaire. Tous deux préconisent de réaliser une fusion cervicale antérieure, intervention consistant à solidement solidariser deux vertèbres du cou en réalisant une greffe osseuse à partir de tissu osseux prélevé au niveau du bassin (os iliaque). C’est finalement le neurochirurgien Paul W. Myers, colonel de l’Air Force, qui opère Collins. Ce type d’intervention avec fusion osseuse intervertébrale devrait permettre à l’astronaute de revoler.

Avant l’intervention, Collins subit une myélographie, examen radiographique qui visualise la moelle épinière et l’émergence des racines nerveuses qui naissent au niveau cervical. Celui-ci confirme qu’un disque intervertébral est endommagé et qu’il y a bien compression de la moelle épinière par une excroissance osseuse (ostéophyte). En août 1968, Michael Collins subit une fusion cervicale antérieure au Wilford Medical Center de San Antonio (Texas).

De nombreux astronautes ont souffert du dos

Michael Collins n’est pas le seul à présenter une hernie discale. Publiée en 2010, une étude a montré qu’entre 53 % et 68 % des astronautes américains ont rapporté avoir souffert du dos lors d’un vol spatial. Il est probable que cela soit en rapport avec la perte de courbure du dos (lordose lombaire) du fait de l’élongation de la colonne vertébrale induite par l’élargissement des disques intervertébraux sous l’effet de l’impesanteur. La plupart des astronautes souffrant de la colonne vertébrale présente une hernie discale de la région cervicale. Cette pathologie est liée au déplacement d’un disque intervertébral. Une partie de celui-ci fait alors saillie à l’extérieur et vient comprimer une racine nerveuse ou la moelle épinière.

Publiée en 2010, une étude réunissant les données entre avril 1959 et décembre 2016 a montré que 32 astronautes avaient souffert de hernie discale. Dans plus de 40 % des cas, la hernie discale siégeait au niveau du cou. Sur 36 cas de hernie discale survenus après une mission spatiale, dix ont été opérés. Cette pathologie est survenue le jour même du retour Terre chez trois astronautes. Par ailleurs, il n’est pas impossible que les forces considérables qui s’exercent sur la colonne vertébrale cervicale et lombaire des pilotes d’essai puissent représenter un risque de développement ultérieur de hernie discale.

Reprise des entraînements 4 mois après l’opération

Michael Collins, le 16 juillet 1969. © Wikipedia

Mais revenons à Michael Collins. Après l’opération, l’astronaute s’est réveillé avec un collier cervical afin de limiter la rotation du cou, les mouvements majorant la douleur. En fait, Collins ne se plaint que d’avoir mal à la hanche droite, siège du prélèvement ayant servi à la greffe osseuse. Il sort de l’hôpital une semaine après l’opération et suit un programme intensif de physiothérapie. Collins va garder son collier cervical 24 heures sur 24 pendant trois mois. Son avenir en tant qu’astronaute dépend de l’état de sa colonne vertébrale cervicale aux radiographies. Il importe en effet que la fusion entre les 5e et 6e vertèbres cervicales soit effective.

Les clichés radiologiques montrent que la fusion intervertébrale est extrêmement solide. Collins est enfin autorisé à retirer son collier et à revoler en novembre 1968 sur les T-38, les avions d’entraînement de la NASA. Le seul symptôme dont il se plaint est une différence de chaleur entre les deux jambes. Un symptôme qu’il dit ressentir en permanence mais « avec lequel il peut vivre aisément ». Collins reprend finalement les vols d’entraînement 125 jours après son intervention chirurgicale.

Cette immobilisation d’environ quatre mois a eu pour conséquence qu’il n’a pas fait partie de l’équipage de la mission Apollo 8 (premier vol habité de la fusée Saturn V) durant laquelle il devait être le pilote du module de commande. C’est James (dit « Jim ») Lovell, membre de l’équipage de réserve, qui a remplacé Michael Collins. En effet, l’équipe de réserve d’Apollo 8 était composé du commandant Neil Armstrong, de James Lovell, pilote du module de commande, et de Buzz Aldrin, pilote du module lunaire.

Avant la mission Apollo 8, aucun équipage ne s’était aventuré hors de l’orbite terrestre. Celui-ci va survoler la Lune, en en faisant dix fois le tour. Ce Noël 1968, les astronautes d’Apollo 8 furent les premiers terriens à voir un lever de Terre au-dessus de la Lune.

Grâce à son cou, il décroche la Lune

L’intervention sur le rachis cervical de Michael Collins a modifié le cours de l’histoire de l’astronautique en ce qui concerne l’attribution de l’équipage de la mission Apollo 11, celle qui a vu deux hommes poser pour la première fois le pied sur la Lune. En effet, il était généralement d’usage que les membres des équipages de réserve deviennent au fil des rotations membres de l’équipe principale des  missions ultérieures. C’est ainsi que l’équipe de réserve d’Apollo 8 va composer l’équipage d’Apollo 11. Neil Armstrong est ainsi nommé commandant de la mission. Buzz Aldrin retrouve logiquement sa position de pilote du module lunaire. Enfin, Michael Collins, qui avait laissé sa place à Jim Lowell pour Apollo 8, se retrouve pilote de Columbia, le module de commande.

Voilà donc comment un sérieux problème à la colonne vertébrale cervicale, en empêchant Michael Collins de voler à bord d’Apollo 8, a contribué à le désigner comme membre d’équipage de la légendaire mission au cours de laquelle l’homme allait pour la première fois marcher sur la Lune. On le sait, Collins, aux commandes de Columbia, était resté en orbite lunaire.

La rotation dans la composition des équipages de missions lunaires a eu pour autre conséquence que Jim Lowell soit plus tard désigné commandant d’Apollo 13. Suite à une explosion dans un réservoir d’oxygène du module de service, les astronautes de cette mission n’ont pu se poser sur la Lune. Ils l’ont survolée avant de rentrer sains et saufs sur Terre. Jim Lowell est ainsi le seul astronaute à être allé deux fois vers la Lune (Apollo 8 et 13) mais à n’y avoir jamais posé le pied.

Marc Gozlan (Suivez-moi sur Twitter, sur Facebook)

Pour en savoir plus :

Menger R, Wolf M, Thakur JD, Nanda A, Martino A. Astronaut Michael Collins, Apollo 8, and the anterior cervical fusion that changed the history of human spaceflight. J Neurosurg Spine. 2019 Feb 22:1-6. doi: 10.3171/2018.11.SPINE18629

Collins M. Carrying the Fire: An Astronaut’s Journeys. 40th Anniversary Edition. New York. 2009

Johnston SL, Campbell MR, Scheuring R, Feiveson AH. Risk of herniated nucleus pulposus among U.S. astronauts. Aviat Space Environ Med. 2010 Jun;81(6):566-74.

5 réponses sur “Comment la hernie discale de Michael Collins lui valut d’être sélectionné pour Apollo 11”

  1. Ou comment une arthrodèse en a fait un héros des temps modernes ! Passionnant !

  2. Michael Collins évoque ses parties de handball à la fin du quatrième paragraphe de l’article.
    Ce jeu de handball est l' »American handball » dit également « court handball », qui est proche du handball gaélique et de la pelote basque, et non le handball, sport collectif à 7 ou à 11, d’origine dano-germanique.
    Collins pratiquait donc le « handbôl » et non pas le « handballe ».

  3. Merci pour cet article fort intéressant. Je suis soufflée que la NASA reprenne dans ses rangs un astronaute qui a subi une arthrodèse. En même temps, cela me remonte le moral : j’en ai subi une il y a quelques mois sur une lombaire et une dorsale suite a un accident, tout va bien, mais je suis en train de batailler dur pour simplement récupérer mon aptitude médicale de pilote prive. Je me réjouis de montrer votre article au médecin agréé aéro. Bigre, si la NASA a pu envoyer un astronaute répare dans l’espace, l’ESA doit pouvoir me laisser piloter un petit monomoteur.

  4. J’ai lu une fois dans le Washington Post me semble t’il que de nombreux ex astronautes ont eu de sérieux problèmes oculaires. Je n’en n’ai jamais plus entendu parler. Quelqu’un peut il confirmer?

  5. Passionnant, merci ! Nous avons droit à une foule de documentaires à cette occasion du 50me anniversaire des premiers pas sur la lune et nous en apprenons énormément sur tout ce qui tourne autour…de cet exploit. La constipation volontaire d’un des astronautes, fèces en sachet laissées sur la lune, racisme à l’égard d’un candidat noir, désir de collaboration URSS-USA de Kennedy, etc, etc !

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