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Sécheresse : «La reconnaissance comme catastrophe naturelle est rare»

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En cette période de manque d'eau aggravé, les communes sont nombreuses à souffrir des mouvements de terrain engendrés et à demander à être indemnisées. La sénatrice Nicole Bonnefoy propose une refonte du système.
par Aude Massiot
publié le 22 juillet 2019 à 6h54

 Tous les jours, retrouvez le fil vert, le rendez-vous environnement de Libération. Aujourd’hui, c’est la règle de trois : trois questions à un acteur de la transition écologique pour décrypter les enjeux environnementaux.

Alors que la sécheresse accable de nombreuses régions françaises, Nicole Bonnefoy sénatrice PS et rapporteure de la mission d'information sur la gestion des risques climatiques, dont les conclusions ont été rendues le 9 juillet, détaille les enjeux majeurs que représente l'adaptation aux catastrophes climatiques pour l'Hexagone.

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L’une des premières conclusions de votre rapport est que l’homme participe lui-même aux catastrophes dites naturelles dont il souffre… 

En effet, et malgré cela nous n’avons pas ou peu la culture du risque en France. Nous avons tendance à affronter l’aléa climatique une fois qu’il arrive, plutôt que de l’anticiper et essayer de s’y adapter. On ne se pose jamais, non plus, la question des causes. La première est le changement climatique auquel nous participons par notre mode de vie, notre comportement, etc. A cela s’ajoute l’urbanisation rampante et l’artificialisation des sols. C’est un cercle vicieux.

La sécheresse est-elle le principal aléa auquel est exposée la métropole ?

Submersion marine, retrait du trait de côtes, inondations, glissements de terrain, orages violents, tempêtes, canicules et sécheresses, la France est exposée à tous ces aléas naturels, du fait de sa situation géographique. Seulement, il est vrai que les conséquences de la sécheresse sont majeures. Plus de 60% du territoire est concerné par le phénomène de retrait ou gonflement des sols quand il y a manque d’eau ou des pluies importantes, soit plus de 4 millions d’habitations potentiellement très exposées.

Ces mouvements de terrain font bouger les maisons, fissurent les fondations et les murs. Cela peut s’avérer catastrophique. Mais comme c’est un phénomène insidieux, qui prend parfois une dizaine d’années à montrer ces effets désastreux, la reconnaissance par l’Etat comme catastrophe naturelle est rare. Or cette reconnaissance est nécessaire pour obtenir une couverture des travaux ou de la vente par les assurances, ce qui plonge beaucoup de Français dans le désarroi.

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Le Sénat a déjà rendu un rapport, en 2009, sur les défaillances du système d’indemnisation des sécheresses créé en 1982. Pourquoi rien ne change ?

Le premier rapport a été réalisé par le Sénat après la canicule mal gérée de 2003 et la sécheresse qui a suivi. Les gouvernements successifs ne se sont pas emparés de ce rapport. C’est regrettable. Nous en payons les conséquences.

J’ai demandé la création de cette mission car, dans mon département de la Charente, une association de victimes de la sécheresse m’a interpellée sur les terribles dégâts qu’elle entraîne. Des familles doivent quitter leur maison dont elles remboursent encore le prêt et sont démunies. Actuellement, le gouvernement démontre une volonté de faire bouger les lignes. A la suite des inondations dans l’Aude, il a fait un certain nombre d’annonces pour dire qu’il fallait modifier le régime «cat nat». Notre rapport accompagne cet effort. A la rentrée, nous programmerons un débat public en séance au Sénat pour partager le travail de la mission et échanger avec les membres du gouvernement concernés.

Quelle est la position des compagnies d’assurances ? N’ont-elles pas intérêt à bloquer la réforme de ce régime ?

Il est facile de comprendre que plus les aléas seront nombreux, plus les dommages à assurer le seront aussi. Le régime assurantiel a de beaux jours devant lui et il est probable qu’on observe une augmentation du coût des assurances individuelles dans les prochaines années. Les effets de la sécheresse doivent impérativement être mieux couverts. Les compagnies d’assurances le disent elles-mêmes : c’est l’aléa le moins couvert, avec un taux de reconnaissance en catastrophe naturelle de 52% en moyenne entre 2012 et 2018, contre 81% pour les inondations et 75% pour les mouvements de terrain.

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Quelles sont vos principales recommandations ?

Nous devons arrêter de multiplier les circulaires. Le changement doit passer par la loi, pour rendre le système d’indemnisation plus transparent, plus efficace, plus compréhensible, avec une possibilité de faire appel pour les communes qui n’obtiendraient pas l’arrêté préfectoral de reconnaissance en catastrophe naturelle. Etant donné l’ampleur du phénomène, nous devons créer un régime d’indemnisation propre aux sécheresses. Nous recommandons aussi la création d’un certificat obligatoire lors de l’achat des biens, qui détaillerait l’exposition aux catastrophes naturelles. L’Etat est gravement en tort sur un autre point. Le fonds Barnier est destiné à la prévention des aléas naturels, seulement l’Etat en a ponctionné près de 200 millions d’euros pour le mettre au budget général sur la période 2016-2018. Un euro de prévention équivaut à sept euros économisés. Cette dérive doit cesser.

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