Chamseddine devant une tombe d'un migrant, à Zarzis. Crédit : InfoMigrants
Chamseddine devant une tombe d'un migrant, à Zarzis. Crédit : InfoMigrants

Depuis une semaine, de nombreux cadavres de migrants s’échouent sur les plages de Zarzis et Djerba, en Tunisie. Les associations tunisiennes s’inquiètent de la prise en charge de ces dépouilles, manipulées par un personnel « volontaire » mais non formé, et transportées dans des véhicules inadaptées. Les associations dénoncent un manque de moyens et de volonté politique.

Depuis plus d’une semaine, la mer recrache sur la plage de nombreux corps de migrants dont les frêles embarcations, parties de Libye ou du sud de la Tunisie, ont coulé à quelques kilomètres de là. Les dépouilles, souvent en décomposition avancée, s’échouent sur les plages de Djerba et de Zarzis. "On compte plus de 80 corps repêchés en 8 jours", rappelle Rhomdane Ben Amor, membre de l’association du Forum Tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), une association qui vient notamment en aide aux migrants. Il y en a plus de 90, selon le Croissant-Rouge tunisien.

Si les médias internationaux s’offusquent – à raison – de cette réalité migratoire crue, les associations tunisiennes veulent également alerter sur un autre drame : la prise en charge de ces corps rejetés par la mer.

Les ONG dénoncent, tout d’abord, un amateurisme dans la récupération des dépouilles, qui arrivent, toujours plus nombreuses, le long des côtes. "En Tunisie, ce sont généralement des pêcheurs ou des fonctionnaires des petites municipalités qui, en dehors de leurs heures de travail, s’occupent de récupérer les cadavres sur la plage", explique Rhomdane Ben Amor. "Ces gens sont volontaires, plein de bonne volonté, mais ils ne sont pas formés". Aucun d’eux ne sait manipuler un corps en décomposition. "Ils font ce qu’ils peuvent, mais ils n’ont rien, aucun équipement, aucune combinaison, à part une paire de gants", continue le militant.

Au début du mois de juillet, France 24 était allé à la rencontre des membres du Croissant-Rouge tunisien à Djerba. Ces derniers, mieux préparés, disposaient d'équipements adéquats, dont des sacs mortuaires pour les bébés et les enfants morts noyés. 

Des corps dans des camions bennes

À défaut de moyens et de véhicules adaptés, ce sont généralement les camions-poubelles qui se chargent d’amener les corps vers les cimetières. "Les migrants sont placés dans les camions à ordures. Les Tunisiens n’ont rien d’autres pour faire les trajets depuis les plages". FTDES, choqué par la pratique, a alerté Tunis. "Nous avons demandé au gouvernement de donner des moyens à la région de Zarzis pour s’occuper plus dignement de ces corps. On demande, par exemple, la livraison de camions frigorifiques."

Mais le manque de volonté politique de Tunis n’est pas le seul problème, selon les ONG. Les municipalités de la région de Zarzis sont également réticentes à prendre en charge les dépouilles. Selon FTDES, certaines villes, comme Gabès ou Toujane, ont refusé de récupérer des corps pour les enterrer. "Ils disent qu’ils n’ont pas de places dans leurs cimetières. Mais cet argument n’est pas recevable. Il y a des obligations juridiques en Tunisie : les villes sont obligées d’enterrer les morts", s’offusque Rhomdane Ben Amor.

Pour Chamssedine Marzouki, un pêcheur devenu célèbre après avoir mis en place le "Cimetière des inconnus" à Zarzis, ce sont surtout les commentaires violents de certains riverains sur les réseaux sociaux qui font du tort au fonctionnement - déjà bancal - de la prise en charge des corps. "Il y a des habitants, des internautes qui disent sur internet qu’ils ne veulent pas de non-musulmans dans leurs cimetières. Tout cela n’a rien à voir avec les acteurs municipaux mais c’est révélateur d’une certaine atmosphère".

Fosses communes

Marzouki et FTDES s’alarment également des sépultures. A Zarzis, la seule ville qui a accepté d’enterrer les migrants morts en mer, les corps sont placés dans des fosses communes. "Ces fosses existent parce que nous manquons de places", explique Marzouki. "La municipalité n'a pas de moyens pour faire face à autant de corps, à ces urgences sanitaires".

Les corps ne sont toutefois pas "jetés" dans la fosse, nuance Chamseddine Marzouki. Ils sont placés les uns à côté des autres, et repérables par une stèle qui porte un numéro. Chaque corps a fait l’objet d’un prélèvement ADN pour permettre une identification future et une possible exhumation pour rapatrier les dépouilles dans leur pays d’origine.

Zarzis a prévu d’ouvrir un autre cimetière, supervisé par le Croissant-Rouge, dans les prochains jours mais le lieu est encore en travaux. "Plusieurs migrants ont pourtant été enterrés là-bas, le 15 juillet", assure Rhomdane Ben Amor.

Pour FTDES, Tunis est en grande partie responsable de cette prise en charge précaire. "Il n’y a pas de politique nationale autour de la problématique des migrants", rappelle-t-il. "Alors comment voulez-vous qu’il y ait une politique pour prendre soin de leurs corps ?"

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