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127 ans après sa mort, Rimbaud reçoit toujours des lettres à Charleville-Mézières

Ses admirateurs lui écrivent encore des lettres qu’ils postent dans la boîte du cimetière de Charleville-Mézières. FRANCOIS NASCIMBENI/AFP

Le grand poète, auteur du Bateau ivre et du Dormeur du val, continue de recevoir régulièrement du courrier dans une boîte qui lui est dédiée à l’entrée du plus vieux cimetière de la ville des Ardennes, là où il vit le jour et là où il repose.

«Rimbaud, je le tutoie! Je l’appelle Arthur!». Gardien du cimetière de l’Ouest à Charleville-Mézières, dans le nord-est de la France, depuis 37 ans, Bernard Colin veille fidèlement sur la tombe du poète et relève consciencieusement son «courrier». Car, même disparu depuis 127 ans, Arthur Rimbaud continue de recevoir des missives dans une vénérable boîte aux lettres jaune, qui lui est dédiée, placée à l’entrée du plus vieux cimetière de la ville des Ardennes où le prince des poètes vit le jour le 20 octobre 1854 et où il repose pour l’éternité. «Au moins deux ou trois lettres par semaine», précise le gardien.

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«Je commence à m’impatienter»

Dans son logement de fonction aux allures de petit manoir néo-gothique qui surveille l’entrée du cimetière, il garde religieusement dans de petites boîtes à chaussures ces témoignages d’affection et d’admiration envoyés du monde entier. «La récolte de six mois», lance-t-il en ouvrant trois boîtes rangées dans un tiroir de la buanderie.

«À mon Rimbange. À toi toute la vie», proclame une passionnée. «Rimbaud, même si tu n’es plus là, sache que je t’aimerai toute ma vie», s’enflamme une seconde tandis qu’une troisième missive promet au poète «le ciel et l’aube». Certains versifient, comme cet auteur anonyme: «Condoléances regrettées, amour ravagé, que ton âme repose en paix dans ce monde rejeté».

D’autres rongent leur frein comme tel autre anonyme, qui espère bientôt rencontrer Rimbaud, ou une certaine Allison: «Je suis fan de toi mais je n’ai jamais eu de réponse à mes lettres. Je commence à m’impatienter». «Puisse ce courrier arriver vers toi», conclut fiévreusement une dernière lettre piochée dans l’une des boîtes.

Ce vœu est toujours exaucé. Adressées à «Arthur Rimbaud, cimetière de Charleville-Mézières», toutes les lettres dûment timbrées sont sûres d’arriver à son destinataire puis religieusement conservées par Bernard Colin. «J’ai parfois trouvé des lettres qui font peur. Les gens confient à Rimbaud leur mal de vivre. C’est leur confident. Ils lui parlent comme s’il était vivant», confie-t-il.

Un cadeau de Patti Smith

Bernard Colin sort une nouvelle relique de ses précieuses boîtes aux trésors: un médiator de la chanteuse américaine Patti Smith, grande fan du poète aux semelles de vent et propriétaire depuis 2017 d’une maison au hameau de Roche, près de Charleville-Mézières, où aurait été écrit Une saison en enfer. Et le gardien du souvenir rimbaldien d’ajouter pour donner plus de force encore à son propos: «Elle vient toujours se recueillir sur la tombe de Rimbaud quand elle passe au festival du Cabaret Vert».

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«Mais bien d’autres sont venus aussi comme Hubert-Félix Thiefaine, Hugues Aufray et même Dominique de Villepin, l’ancien Premier ministre», grand amoureux de Rimbaud, se souvient celui qui n’hésite jamais à se faire guide pour les nombreux touristes estivaux. «Beaucoup d’Asiatiques, des Chinois, des Japonais, mais aussi des Européens, des Français. Certains passent des heures sur la tombe pour écrire. D’autres viennent se recueillir, boire un coup, fumer une cigarette», raconte Bernard Colin. Ses boîtes à chaussures gardent précieusement le témoignage de ces passages: lettres, poèmes, recueils de Rimbaud dans toutes les langues, plaques pyrogravées, CD, médailles, bijoux, paquets de cigarettes, flacon d’alcool, petit cœur en mousse rouge...

D’autres hommages se font plus discrets. «Ici, c’est la boîte aux lettres privée de Rimbaud», précise Bernard Colin en désignant une petite fêlure dans la plaque tombale du caveau familial. «Si on ouvrait, je crois qu’on trouverait beaucoup, beaucoup de lettres», imagine-t-il. «Et là, c’est le coin des petits Arthur», dit-il en souriant. Derrière les deux stèles blanches consacrées à Arthur Rimbaud et à sa sœur Isabelle, morte à 17 ans, des couples ont en effet déjà été surpris à faire l’amour. Rimbaud alimente tous les fantasmes. Et comme une ultime métaphore, Lucile Pennel, la directrice du musée Rimbaud, résume en une phrase l’immortalité du poète: «Rimbaud, c’est le Jim Morrisson de Charleville-Mézières!».

Si, vers les années 1950-1960, la ville avait boudé Rimbaud qui l’avait tant conspuée, Charleville-Mézières s’est aujourd’hui tout entière vouée à son poète, véritable tête de gondole de l’attractivité touristique. Ce que ne dément pas Bernard Colin. «Quand je suis arrivé, il y a 37 ans, l’ancien gardien m’a dit que Rimbaud n’attirait personne. Cela a bien changé!»

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127 ans après sa mort, Rimbaud reçoit toujours des lettres à Charleville-Mézières

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23 commentaires
  • barbara S

    le

    A Orior : Le drapeau va au paysage immonde, et notre patois étouffe le tambour. Au centre nous alimenterons la plus cynique prostitution. Nous massacrerons les révoltes logiques. Aux pays poivrés et détrempés! aux services des plus monstrueuses exploitations industrielles ou militaires. Au revoir ici, n'importe où. Conscrits du bon vouloir, nous aurons la philosophie féroce; ignorants pour la science, roués pour le confort;la crevaison pour le monde qui va. C'est la vraie marche. En avant, route ! Démocratie Les Illuminations. Dans ce poème cynique, Rimbaud qui s'était fait voyant par le fameux dérèglement de tous les sens n'avait-il pas vu venir notre monde moderne ? (il faut être absolument moderne du poème Adieu) Quelle ironie se cache derrière le mot démocratie lorsque nous démantelons à l'aide de nos armes les pays poivrés et détrempés ( moyen Orient) et cela avec bonne conscience ! Néanmoins, je doute que les trafiquants d'armes de notre cher pays et d'autres contrées toutes aussi fabuleuses, aient une aussi belle prose que l'homme aux semelles de vent. Pour ma part, il m'a fait voyager avec le corps et l'esprit. J'ai même erré jusqu'à Harar en Éthiopie, puis à Aden en Arabie sur les traces de ce poète à la rime incandescente et foudroyante qui m'avait tant subjuguée à dix-sept ans ( on n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans ) car j'étais pressée tout comme lui ``de trouver le lieu et la formule.`` Barbara Saly écrivain

  • Ninon NEEWEE

    le

    Le Père Noel aussi reçoit des lettres, et le pire, c'est qu'il y répond. Par contre, si vous écrivez à Dieu, pas de réponse.

  • Orior

    le

    "M Rimbaud
    Est il possible d'avoir des fusils modernes comme promis et non les vieilles pétoires que vous nous avez livrées ?" J'ignore si il reçoit beaucoup de lettres de ce style mais beaucoup idéalisent l'image du poète, occultant le fait qu'il était devenu aventurier (pas dans le sens positif) et traficant d'armes au Yémen (avec un succès plus que mitigé, ce qui ne retire rien à ses intentions).

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