Val-d'Oise. Il y a 40 ans, la mort de Joseph Kessel à Avernes

Le 23 juillet 1979, l’écrivain Joseph Kessel meurt dans sa maison à Avernes (Val-d’Oise).

Joseph Kessel est mort le 23 juillet dans sa maison à Avernes (Val-d'Oise).
Joseph Kessel est mort le 23 juillet dans sa maison à Avernes (Val-d’Oise). (©Sipa Icono)
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«  Le monde est extraordinaire, regarde comme c’est beau », auront été ses dernières paroles prononcées devant son poste de télévision. Regardant une émission sur la spéléologie.

Il s’agissait donc des profondeurs de la terre. Sans doute le lieu le plus intact, car rarement atteint par l’homme.

Le seul endroit que le géant de littérature n’aura jamais exploré. Il a vu le pire de ce que l’humain peut faire à la surface de la planète. Guerres et morts. Horreurs et impuissances.

« J’ai très tôt été impliqué à la vie des hommes », dit-il lors d’un entretien qui lui était consacré en 1962.

Enfant, déjà, dans le bateau qui le ramenait d’Argentine en Russie, il avait failli mourir de dysenterie pour finalement être sauvé, allaité par une immigrante italienne.

Son histoire avait commencé par un voyage qui aurait du mal se terminer. Cette approche de la mort l’ancra dans un univers morbide, qu’il fit sien. La mort l’a souvent croisé. Elle n’était jamais très loin.

Comprenant alors que le temps pouvait le rattraper, lui aussi et que la vie était une course perpétuelle, il sera depuis toujours en partance. Sa vie marquée de moment fort et intense.

Comme Ernst Jünger passé dans le Vexin, à La Roche-Guyon, Joseph Kessel a aimé la guerre. Pour lui aussi elle était un créateur d’âmes fortes.

Dans un monde du mal, de la cruauté et de la destruction… Il avait cette passion pour l’univers morbide et la violence.

Il y a tant à écrire sur lui tellement sa carrière fût longue. Il avait déjà fait deux fois le tour du monde à 20 ans.

Pas seulement pour lui, mais en diverses circonstances. Il savait combien le xxe siècle avait effacé les conquêtes chevaleresques et d’héroïsme qu’il avait tenté de connaître lorsqu’il s’engagea à 18 ans dans l’aviation puis à travers un corps expéditionnaire en Sibérie.

Après le rendez-vous manqué avec la Russie blanche, il vivait les premières heures de la révolte Irlandaise. Balade explosive qu’il poursuit à nouveau en Russie, terre de ses ancêtres, qui tiraient leurs origines des Khazars, nomades de Crimée convertis au judaïsme.

Ses parents avaient fui les pogroms pour la colonie agricole juive de Mosesville, dans la pampa, prémices de kibboutz (coopérative agricole israélienne).

L’aventure son quotidien

Au pied de l’Oural, il avait grandi dans l’épicerie de son oncle au carrefour des routes empruntées par les caravanes Afghanes. Sur cette terre en majorité slave il suivait l’avènement du soviétisme, dévoilait la face cachée du bolchevisme, de sa police secrète et de Trotski, qu’il fusillait d’une formule restée célèbre « bourreau hors-cadre ».

Les grands espaces étaient de son univers, lorsqu’il suivait Henri de Monfreid en mer Rouge et à la corne de l’Afrique. Puis se retrouvait entraîné par le mouvement sioniste jusqu’en Palestine pour un reportage sur ces colons qui croyaient encore à la terre promise.

Lui n’y voyait qu’un avenir sans lendemain pour rescapés des pogroms. Il pensait que les juifs devaient d’abords se fondre à la société de leur pays d’accueil.

Avait-t-il lu Jérémie : « Soyez des juifs de vos pays (…) Car de sa prospérité dépend la vôtre (…) Ne vous tenez pas à l’écart. » La guerre, la collaboration, les déportations, la Shoah lui feront changer d’avis et il sera le premier voyageur officiel à entrer en Israël le 14 mai 1948.

L’aventure était devenue son quotidien. D’abord dans l’aéropostale naissante, avec Mermoz et autres pilotes de légendes. À Berlin, en voyant Hitler qu’il dépeint comme : « Un homme quelconque, triste et assez vulgaire. »

Puis en couvrant la guerre d’Espagne. Correspondant de guerre en 1940, il part à Londres avec son neveu Maurice Druon, fils de son frère Lazare qui se suicida à 21 ans, se tirant une balle dans le cœur. « Ami si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta place… »

Sous sa carapace d’homo Kesselien, il cachait le chagrin et le regret. D’être arrivé trop tard au chevet de sa mère. Alors il fuyait sa vie, dans les nuits tziganes, les guerres lointaines, l’alcool et le reste. Les femmes aussi.

Négligeant la première, Nadia-Alexandra Polizu-Michsunesti, dit Sandi. Belle Roumaine qui s’éteindra dans l’abandon au sanatorium de Davos.

Ce sera ensuite Michèle l’Irlandaise qui le dépassait dans l’alcool. Pour elle, il décida en 1961, au sommet de ses œuvres, de s’installer dans une demeure à l’abri de l’univers nocturne parisien.

À Avernes dans le Val-d’Oise.

Au sommet de ses œuvres

L’année suivante il entrait à l’Académie française. « Qui avez-vous désigné ? un Russe de naissance, et juif de surcroît. Vous avez marqué, par le contraste singulier de cette succession, que les origines d’un être humain n’ont rien à faire avec le jugement que l’on doit porter sur lui. »

Au 3, rue du Ruisseau, dans la maison dite Le Four à chaux de Marie Godard, presqu’un titre pour un de ses romans, il y écrira Les Temps Sauvages, Les cavaliers. Récit de son ultime grand voyage en Afghanistan.

Pierre Lazareff figure légendaire de France-Soir, avait déjà donné l’ordre qu’on aille lui commander sa nécrologie le jour venu (24 avril 1972).

Il était de ses êtres qui ne se suffisaient pas du quotidien, passant toujours à autre chose. Écrivain aventurier. Comme Albert Londres, avant lui, Lucien Bodard, pendant. Claude Lanzmann depuis.

Avant d’être un romancier, Kessel était d’abord un journaliste qui donnait toujours un sens aux événements de l’histoire. Capable de monter à 100 000 exemplaires, les ventes d’un numéro. Sans pour autant négliger le reste du quotidien. Signant aussi une brève sur un fait divers.

Un des derniers dinosaures de la presse. Un pied jamais à terre. Cavalier cavaleur. Sans domicile fixe. Passant la majeure partie de son temps dans les hôtels. Repos du guerrier, pour ce David dans un corps de Goliath.

Il avait alors tout vu, tout connu, tout raconter. Depuis, il n’y a plus de juif errant sur terre. Le seul pied-à-terre qu’il a eu, c’est dans ce village du Vexin Français, ou il s’est éteint, après avoir avalé une dernière fois la vie.

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