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Des calligraphes d’aujourd’hui ramènent à la vie d’anciens caractères arabes

L’art ancestral de la calligraphie connaît une renaissance en ce XXIe siècle grâce à une nouvelle génération désireuse d’explorer son affiliation avec le monde arabe et de ralentir à une époque où prévaut l’instantanéité
Des étudiants en calligraphie coufique apprennent les premières lettres de cette ancienne écriture à l’Arab British Centre, à Londres (MEE/Olivia Cuthbert)

LONDRES – Formant lentement chaque lettre avec un outil en bambou trempé dans une encre à base de plantes, Joumana Medlej, calligraphe, trouve un calme méditatif dans le chaos de la vie moderne.

« En cette période de distraction constante, cela vous fait renouer avec la concentration totale », dit-elle tout en calligraphiant des caractères coufiques antiques, du nom de la ville de Koufa, en Irak.

La calligraphie coufique a vu le jour à la fin du VIIe siècle et a atteint son apogée sous la puissante dynastie des Abbassides, avant que ses styles ne s’éteignent au XIIIe siècle.

« Cela faisait partie de leurs caractéristiques. Ils avaient besoin de beaux caractères pour transmettre leur message », explique la calligraphe. 

La calligraphe Joumana Medlej enseigne la calligraphie coufique à Hajir Ibraheim, étudiante irako-britannique, à l’Arab British Center de Londres (MEE/Olivia Cuthbert)

L’artiste, née à Beyrouth, pratique la calligraphie coufique depuis 2007. Son cours du weekend sur l’écriture coufique à l’Arab British Centre de Londres est rapidement complet. Parmi ses élèves, Hajir Ibraheim, une jeune Irako-Britannique, s’est inscrite avec pour objectif de maîtriser ce style en l’espace d’un an.

 « En cette période de distraction constante, cela vous fait renouer avec la concentration totale » - Joumana Medlej, calligraphe 

« J’ai besoin d’un passe-temps en dehors du travail, sinon je reste sur mon ordinateur portable tout le week-end », explique cette femme médecin âgée de 31 ans. 

À la fin de la leçon, Malaak al-Hammdany, une autre étudiante irako-britannique, se sent relativement confiante. Elle a grandi entourée par la calligraphie dans la maison familiale et elle souhaite désormais l’explorer comme moyen de se connecter à la culture arabe.

« C’est ma langue, je voudrais la maîtriser de différentes manières », explique-t-elle. 

Le coufique précoce se caractérisait par des lettres verticales, angulaires et statiques, ainsi que par de larges traits noirs étendus, convenant à l’écriture sur parchemin.

Folio d’un Coran du IXe siècle écrit à l’encre et en caractères coufiques dorés sur parchemin. L’œuvre se trouve aujourd’hui à la Bibliothèque du Congrès (photo fournie par Joumana Medlej)

Ce style s’est étiolé avec le temps alors que des formes plus ouvragées ont gagné en popularité et que la simplicité initiale a cédé la place aux courbes et aux fioritures des écoles ultérieures.

Plus d’un millénaire plus tard, une nouvelle génération désireuse d’explorer son affiliation avec le monde arabe introduit ces styles anciens dans l’ère moderne – et y trouve un mode d’expression créatif.

Un moyen d’expression du XXIe siècle

« Il y a eu un renouveau [de la calligraphie] grâce à son appropriation par des personnes plus jeunes qui pouvaient auparavant la considérer comme une forme d’art traditionnelle », explique l’artiste britannique Ruh al-Alam, qui compte Google, Sony et Netflix parmi ses clients. 

Avant de lancer Archetype, son studio londonien, ce trentenaire a étudié auprès d’un maître de calligraphie en Égypte. Cependant, les occasions d’apprendre localement s’améliorent à mesure que les calligraphes en herbe recherchent des cours au Royaume-Uni.

« Dans un climat politique divisé, les gens recherchent quelque chose qui reflète leur identité », affirme-t-il. « De plus en plus d’Arabes laïcs ou musulmans, qui auparavant percevaient peut-être la calligraphie comme purement religieuse, l’ont adoptée. »

« C’est ma langue, je voudrais la maîtriser de différentes manières » 

- Malaak al-Hammdany, étudiante irako-britannique

L’artiste indo-canadienne Fathima Mohiuddin, qui a organisé des expositions aux Émirats arabes unis, note comment la calligraphie arabe est utilisée pour créer un art contemporain spécifique à la région. « Son patrimoine et son histoire se mêlent à la technologie et au dialogue moderne », souligne-t-elle.       

Née et élevée à Dubaï, Fathima Mohiuddin s’inspire inconsciemment de la tradition, que ce soit dans les points figurant sur les ailes du faucon qui lui sert actuellement de photo de profil sur Facebook ou dans les lignes effilées qui articulent l’espace dans les collages tapageurs dont elle orne les bâtiments.

La calligraphie, estime-t-elle, est devenue un moyen de relier les mouvements artistiques locaux à la scène mondiale et de mettre en valeur les richesses de la culture islamique devant un public international. 

L’artiste Fathima Mohiuddin se tient devant sa fresque murale au Dubai Boxpark (avec l’aimable autorisation de Fathima Mohiuddin)

Immortalisées sur le plus ancien monument de l’islam encore sur pied, le Dôme du Rocher à Jérusalem, les premières inscriptions en coufique, qui remontent à 692, ont été rendues « consciemment belles » pour être dignes du message qu’elles véhiculaient. Une plaque de cuivre martelée sur la porte nord du Dôme du Rocher reproduit des passages du Coran soulignant l’unité de Dieu.

La lisibilité n’avait pas d’importance, explique Joumana Medlej. C’est un « texte purement spirituel », il suffit de le regarder. Toutefois, tous les types de calligraphie arabe ne sont pas religieux.

« Dans un climat politique divisé, les gens recherchent quelque chose qui reflète leur identité. De plus en plus d’Arabes laïcs ou musulmans, qui auparavant percevaient peut-être la calligraphie comme purement religieuse, l’ont adoptée »

- Ruh al-Alam, artiste britannique

De nouveaux styles d’écriture cursive proportionnelle, comme les calligraphies naskh et thuluth, sont apparus au Xe siècle. Ces styles étaient lisses et fluides, plus faciles à lire et plus faciles à écrire que les longues lettres angulaires du début du coufique, qui s’est éteint au XIIIe siècle.

Apprendre un style qui n’est plus utilisé depuis si longtemps ne présente aucun intérêt pratique, et écrire une seule page peut prendre deux ou trois heures, mais cela, selon Joumana Medlej, fait partie de l’attrait de la calligraphie. « Il ne s’agit pas d’achever ou d’accomplir quoi que ce soit, vous vous contenter de plonger dans la pratique. »

Les téléphones sont éteints et rangés – cette forme d’art immersive, qui récompense la patience et la persévérance, nécessite une attention absolue.

« Certaines personnes méditent. Moi, je pratique la calligraphie arabe », déclare Katrina Chouan-Choua, une nouvelle étudiante en coufique âgée de 43 ans.

Envie de ralentir

Une qualité particulière de la calligraphie arabe est la relation entre les lettres et leur portée créative. Les pots à encre, recouverts de soie grège afin de réguler le débit du liquide, doivent rester à proximité pour y plonger, entre chaque trait, un stylo en bambou ou en roseau disposant d’une pointe inclinée. 

À Tripoli, au Liban, Jihad Mikati enseigne aux étudiants de l’Institut technique Al-Azm trois des six principales écritures, notamment le naskh (pour les manuscrits, les céramiques et les carreaux) et le riq’ah (pour les lettres, les édits et les manuscrits).

Il estime qu’« il existe près d’une centaine de formes différentes si l’on prend en compte des styles moins connus ». 

Une reproduction de la grande mosquée Cheikh Zayed à Abou Dabi par le calligraphe londonien Samiur Rahman (avec l’aimable autorisation de Samiur Rahman)

Il faut de nombreuses années pour maîtriser certaines des variétés cursives. Samiur Rahman, responsable de la House of Calligraphy à Londres, se souvient de s’être retrouvé coincé pendant trois mois sur la lettre arabe jim à l’école et d’avoir vu ses autres camarades décrocher l’un après l’autre.

« Nous vivons à une époque où nous pouvons tout avoir en un clic : les gens veulent des choses très rapidement », a expliqué le jeune homme de 27 ans. 

« Certaines personnes méditent. Moi, je pratique la calligraphie arabe »

- Katrina Chouan-Choua, étudiante

Toutefois, le besoin se fait ressentir chez certains de renouer avec quelque chose de tangible et palpable afin de rétablir un peu de réalité analogique dans leur vie.

La calligraphie, en particulier les écritures arabes, qui prennent sans doute le plus de temps à réaliser, possède un attrait unique pour les nostalgiques des sensations apportées par le crayon et le papier.

Samiur Rahman indique avoir récemment participé à une session de calligraphie de 90 minutes pour un documentaire de la BBC intitulé A Brush with Silence, qui réunissait dix-huit calligraphes représentant différentes cultures du monde.

Une composition de Samiur Rahman datant de 2017, d’après un original du calligraphe ottoman Mustafa Halim (avec l’aimable autorisation de Samiur Rahman)

Il a remarqué à cette occasion que les autres avaient rempli plusieurs feuilles pendant le temps qu’il lui avait fallu pour écrire une demi-page. Avec la calligraphie arabe, « on est obligé d’aller lentement », commente-t-il.  

Puiser dans la tradition

Les corans anciens exposés à la British Library témoignent de l’ampleur stylistique des écoles arabes.

Un volume du XIIIe siècle, dont les pages se sont parsemées de violet avec le temps, présente un type de calligraphie distincte appelé le maghribi, qui est apparu au Maroc ou en Espagne, à l’époque où celle-ci était sous domination islamique. À côté, le coran du sultan Baybars, richement illuminé, est écrit à la main dans un thuluth nerveux qui saute par-dessus les lignes situées sous les en-têtes de chapitre dessinés dans un coufique plus posé. 

« Il ne s’agit pas d’achever ou d’accomplir quoi que ce soit, vous vous contenter de plonger dans la pratique » 

- Joumana Medlej, calligraphe 

Sur la page de titre richement ornée, la bordure dorée est un peu effilochée et le manuscrit porte les stigmates du temps, mais la richesse et le prestige du dirigeant mamelouk qui a commandé ce coran au Caire, au XIVe siècle, ne font toujours aucun doute. 

Incorporer l’ancienne écriture ajoutait probablement un air d’autorité, explique Daniel Lowe, conservateur des collections arabes à la British Library.

Six autres volumes sont abrités dans l’un des quatre sous-sols où se trouvent les 15 000 manuscrits en arabe de la British Library.

Le Coran de Ma’il du VIIIe siècle, un des plus anciens du monde, y est entreposé aux côtés d’œuvres poétiques et d’albums calligraphiques présentant les principaux calligraphes du moment.

Un passage en caractères coufiques du célèbre Coran bleu, un manuscrit fatimide tunisien créé entre la fin du IXe siècle et le début du Xe siècle (photo fournie par Joumana Medlej)

Ce sont généralement des universitaires qui demandent ces articles dans les salles de lecture, mais parfois des artistes souhaitent également les consulter pour s’inspirer des calligraphes du passé.

« Notre collection de manuscrits est un référentiel pour l’histoire de l’écriture arabe », déclare Lowe, qui souhaite promouvoir un engagement créatif plus large et donner à ces trésors anciens une nouvelle vie grâce à des supports qui résonnent auprès du public du XXIe siècle. 

La collection s’étend jusqu’au XIXe siècle, cartographiant l’énorme gamme de variations régionales qui font de l’arabe la plus diverse des traditions calligraphiques. Ensuite, il appartient aux générations futures d’exploiter ces richesses et d’entretenir une nouvelle ère de créativité qui inspirera la prochaine phase d’évolution et déterminera la forme des écritures arabes dans les années à venir.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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