Sacha Guitry : du théâtre de boulevard, vraiment ?

Sacha Guitry : du théâtre de boulevard, vraiment ?
Sacha Guitry (1885-1957). (DALMAS/SIPA)

Sacha Guitry a eu deux grands amours: les femmes et le théâtre, qui passe pour désuet, contrairement à ses films. Un malentendu?

Par Odile Quirot
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On se souvient qu’au sortir du «Soulier de satin», de Paul Claudel, Sacha Guitry soupira un légendaire: «Heureusement qu’il n’y avait pas la paire…» Aujourd’hui, ce sont les ménages à trois de ce dernier qui font un peu bâiller; et le nom de Guitry n’évoque plus qu’un bon théâtre de boulevard, certes brillant mais désuet, truffé de «bons mots» mais férocement misogyne, obsédé par des histoires d’adultère qui se déroulent toujours dans de vastes salons «luxueux» – il tenait à l’adjectif.

La façon dont on a représenté ses pièces depuis deux décennies n’infirme pas ce qui précède. Guitry se voulait amuseur? Il est devenu une valeur sûre des théâtres privés, qui l’ont monté avec un conservatisme fasciné, certes avec de grands acteurs, mais dont aucun – pas plus Michel Piccoli que Pierre Arditi, Francis Huster, Michel Aumont, Claude Rich, Jean-Pierre Marielle et aujourd’hui Claude Brasseur – n’a réussi à échapper au carcan d’une fidélité bon ton.

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Il faut dire que Guitry auteur a d’abord écrit pour lui, pour l’acteur et le metteur en scène qu’il était. Mais cela n’explique pas tout: ce théâtre dit léger avait déjà mauvaise presse chez ceux qui, après la Libération, renouvelaient le théâtre. Quand, en 1948, Guitry crée «le Diable boiteux», Jean-Paul Sartre est déjà à l’affiche, bientôt rejoint par Camus, Adamov, Beckett, Ionesco et Brecht. Alors évidemment…

Fils de l’immense Lucien Guitry, Sacha, héritier d’un certain esprit très français de l’entre-deux-guerres, persiste à vouloir faire rire, ce qui n’est plus très bien vu. Surtout qu’il émerge – même s’il a été disculpé – d’une accusation de collaboration. Vieille histoire, direz-vous. Pas si sûr. Paul Léautaud disait qu’il admirait en Guitry un auteur «qui ne s’intéresse pas à l’époque dans laquelle il vit». Une opinion qui aura la vie dure.

En 1973, Guy Dumur parlera dans «le Nouvel Observateur» du «vaniteux» Sacha Guitry, et écrira à propos de son «Jean de La Fontaine» que «cette liberté reste un peu courte, très bourgeoise». Trente-cinq ans plus tard, les choses ne se sont pas arrangées : tandis qu’on y applaudit son ami Feydeau, Guitry est depuis 1978 absent du répertoire de la Comédie-Française – où il était entré en 1914 avec «Deux Couverts» – et boudé des théâtres subventionnés.

Guitry, Cassavetes : même combat ?

Deux exceptions : Luc Bondy, qui avait monté «l’Illusionniste» et «Faisons un rêve» en 1995 à la Schaubühne de Berlin, et Daniel Benoin, qui en France revisita «Quadrille» en 1993 et reprend aujourd’hui «le Nouveau Testament» en diptyque – ce qui change tout – avec «Faces», de John Cassavetes. «La pièce de Guitry, estime Benoin, est un texte ravageur qui dynamite la cellule familiale, et donc les relations sociales.» François Marthouret y incarne le médecin trompé par sa femme (Marie-France Pisier):

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Avant de le jouer, je n’avais jamais lu Guitry, j’avais des idées reçues. Or ce théâtre dit de peinture sociale bourgeoise contient une utopie: bousculer les habitudes acquises, assumer ses désirs. Il y a beaucoup d’échos entre la prétendue poussière de Guitry et la modernité adulée de Cassavetes.»

Jean-Laurent Cochet, acteur et professeur de Luchini et de tant d’autres, n’avait pas d’idées reçues sur Guitry, bien au contraire. Il est tombé dans le bain dès l’adolescence, au point que Lana Marconi, la dernière épouse du maître, lui a offert le stylo avec lequel, à la fin de sa vie, Guitry tapait les trois coups d’une de ses pièces.

« De toujours – et c’est une grosse erreur –, analyse Cochet, on a cherché à imiter le comédien Guitry. Pari impossible tant son timbre, sa métrique, son regard étaient magnétiques. On en fait du bon boulevard, alors que Guitry disait: “Mes pièces se respirent profond, large, et se jouent légères.” Comme Molière, Marivaux ou Beaumarchais… J’ajou-terai qu’on joue toujours les mêmes pièces de Guitry, alors qu’il en a écrit cent trente, dont le superbe “Deburau”! J’ai mis quatre ans avant de réussir à monter “Aux deux colombes”, une petite pièce me disait-on, et on refuse du monde ! Il y a là le loufoque de “Hellzapoppin”, la qualité de rire de Molière, et la gravité, le silence d’un Montherlant ou d’un Chamfort.»

Qu’on se le dise. Et si l’heure était venue de gratter sous le vernis du théâtre de cet illusionniste?

Odile Quirot

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 Sacha Guitry, bio express

Sacha Guitry est né à Paris en 1885. Comédien, auteur de pièces de théâtre, metteur en scène, dialoguiste et réalisateur de films, on lui doit notamment une trentaine de pièces et autant de films, dont «Mémoires d’un tricheur», «le Diable boiteux». Il est mort à Paris le 24 juillet 1957.

Guitry partout

L’exposition :
• «Sacha Guitry, une vie d’artiste», à la Cinémathèque française, en collaboration avec la Bibliothèque nationale de France; jusqu’au 18 février (01-71-19-33-33).

Livres :
• «Sacha Guitry, une vie d’artiste», catalogue de l’exposition ci-dessus, ouvrage collectif sous la direction de Noëlle Giret et Noël Herpe, Gallimard, 240 p., 39 euros.
• « Sacha Guitry. L’homme-orchestre », par Olivier Barrot et Raymond Chirat, coll. « Découvertes », Galli-mard, 128 p., 13,50 euros.
• «Sacha Guitry. Anthologie théâtrale», présentée par Alain Decaux, Perrin, 440 p., 20,50 euros.
• « Si j’ai bonne mémoire et autres souvenirs… », par Sacha Guitry, Perrin, 266 p., 16 euros.

A l’affiche :
• «Mon père avait raison» et «Un type dans le genre de Napoléon», avec Claude et Alexandre Brasseur, Martin Lamotte, mises en scène Bernard Murat ; Théâtre Edouard-VII (01-47-42-59-92).
• «Aux deux colombes», mise en scène (et avec) Jean-Laurent Cochet ; Pépinière Opéra (01-42-61-44-16).
• «De Sacha à Guitry», par Jean Piat ; Comédie des Champs-Elysées (01-53-23-99-19).
• «Le Nouveau Testament», mise en scène Daniel Benoin, avec Marie-France Pisier, François Marthouret ; Théâtre national de Nice en tournée (04-93-13-79-60). 

Odile Quirot
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