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Les forêts ne vont pas mourir mais elles vont terriblement changer

La sécheresse fait mourir des arbres individuels mais les forêts vont rester, tout en évoluant considérablement dans leur composition

Des galeries de bostryche creusées dans une écorce d’épicéa. Le scolyte s’attaque de préférence aux arbres fragilisés. — © Arno Balzarini/keystone
Des galeries de bostryche creusées dans une écorce d’épicéa. Le scolyte s’attaque de préférence aux arbres fragilisés. — © Arno Balzarini/keystone

A quoi ressembleront nos forêts demain? Seront-elles clairsemées, peuplées d’arbres brunis et séchés sur pied, avec des menaces de branches mortes qui restreindront les choix des promeneurs? Seront-elles composées de chênes, de pins parasols et d’autres espèces résistant à la chaleur et aux sécheresses comme dans le pourtour méditerranéen? «Il faut revoir toutes nos connaissances. Le passé ne fournit pas de mode d’emploi pour gérer les nouvelles conditions», avoue le biologiste de l’Institut des sciences de l’environnement de l’Université de Bâle Ansgar Kahmen.

En 2016, le chercheur publiait dans Journal of Ecologyune étude selon laquelle les arbres étaient armés pour la sécheresse. Son analyse d’une période de trois ans incluait 2015, à l’époque le deuxième été le plus chaud depuis le début des mesures, et son constat était clair: les principales espèces rencontrées en Suisse avaient résisté, adaptant leur photosynthèse et perdant moins d’eau. «Nous étions surpris de cette réponse forte. Les hêtres, les épicéas, les pins et les chênes avaient tenu bon. Mais depuis, une ligne rouge a été franchie. L’été 2018 a été bien plus sec et chaud que tout ce que nous avons vécu avant.»

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Et 2019 promet d’être encore plus radical, avec plusieurs records de température déjà battus, après 2009, 2015, et 2018… Or c’est l’accumulation de ces épisodes de sécheresse qui fait mourir les arbres, qui ont besoin de deux ou trois ans pour digérer complètement une année de sécheresse. D’autant que leur affaiblissement modifie l’équilibre de leur cohabitation avec les ravageurs. Ainsi le bostryche (un coléoptère qui attaque les épicéas), qui n’est pas un problème en soi, profite de la chaleur pour se reproduire plus vite et prendre le dessus sur des arbres affaiblis. Pour autant «ce sont des individus qui disparaissent, les forêts ne vont pas mourir, mais leur écosystème va radicalement évoluer. Attention à ne pas dresser de scénario apocalyptique.»

Le spectacle est pourtant désolant. Il suffit de se promener dans le Jura, dans le Pays de Gex, en Argovie ou près de Coire pour voir des portions de forêts atteintes de rougissement ou de brunissement, avec leur lot d’arbres séchés sur pied. Risque d’incendies, quand des tapis d’aiguilles de pin séchées et tombées par terre augmentent la biomasse qui peut s’enflammer; risque de perte de substance et d’érosion des sols, dans certaines régions très pentues du Valais central…

De la diversité pour sauver les forêts

«Ce qui va changer, ce sera la composition des forêts, prévoit Andreas Rigling, le chef de la section Dynamique des forêts à l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage. Le hêtre va perdre sa domination, sauf dans les stations plus froides, et on verra plus de chênes et de tilleuls, ces essences plus adaptées à la sécheresse. Il faut favoriser la diversité, éviter les plantations d’espèces uniques sur des parcelles entières, comme ce qu’ont fait les Allemands, qui ont des problèmes aujourd’hui avec leurs kilomètres carrés de pins sylvestres; il faut aussi avoir des peuplements d’arbres d’âges variés, cela favorise leur résistance. La nature va régler le problème, la question étant de savoir si ce sera assez vite pour l’être humain.» Les scénarios restent compliqués à imaginer, la situation étant radicalement nouvelle: «Pendant mes études, on n’abordait pas ces problèmes de sécheresse et de chaleur…»

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«Plus on aura d’espèces variées, plus les peuplements seront résilients.» Guillaume Sabot est chef de projet dans l’Ain pour l’Office national des forêts. Lui aussi pense que la monoculture est un risque, et que les forêts résisteront mieux si elles sont plus variées. «Un arbre ne s’épanouit que dans un environnement qui lui convient – la température n’étant qu’un paramètre, à côté de la pluviométrie, de l’ensoleillement, de la qualité du sol. Les épicéas remonteront peut-être de 700 à 1000 mètres, et on plantera peut-être d’autres espèces, mais c’est un vrai défi et il est risqué de trop anticiper; par exemple, dans le Pays de Gex, certains arbres mal en point qui avaient perdu leurs aiguilles résistent finalement mieux que d’autres plus vigoureux, car pour maintenir ses aiguilles il faut beaucoup d’eau. Tout cela pose des questions. Il faut garder en tête que nous sommes sur des cycles longs.»

La France voisine est aussi très touchée par la mort d’arbres. Le manque d’eau a favorisé des épidémies de bostryches, et dans le Pays de Gex on assiste à de très importants dépérissements de sapins, une première. Dans les Vosges et le Jura, l’épicéa aussi est très touché. Et en Haute-Savoie, la tornade du 1er juillet a mis 50 000 arbres à terre.