La ligue des droits de l’homme (LDH) est sortie de son silence concernant le saccage du stand de trois participants au village associatif de la Roche-sur-Yon, visant à défendre les droits LGBT le 19 mai dernier.La Ligue des droits de l’homme condamne fermement ces actes homophobes. Les jeunes à la barre, tous à l’institut catholique d’études supérieures, sont poursuivis pour injures et entrave à la liberté de manifester. La justice rendra son verdict en septembre. Mais au-delà de cet énième fait de société, il faut redire combien l’homophobie est en recrudescence dans notre pays, près de trente ans après le retrait de l’homosexualité de la liste des maladies mentales par l’Organisation Mondiale de la santé.
Psychologue clinicien, je suis membre de l’association Psygay, association créée en 1996, et regroupant des thérapeutes de toutes obédiences, pour l’accueil inconditionnel et sans jugement de tout individu dans les lieux de soins, sans tenir compte du genre et de l’orientation sexuelle, sans tenter de guérir ces patients de leur identité.
Nous rencontrons tous les jours, mes confrères et moi, dans le cadre de notre pratique libérale ou des consultations gratuites que Psygay propose au centre LGBT, des personnes littéralement traquées par leur entourage professionnel et familial. Ils ont souvent été reçus par des praticiens à cheval sur des théories hétérocentrées. Ces derniers pointent l’homosexualité comme une jouissance mortifère, à bannir d’une normalité psychologique étalonnée par un Œdipe qui leur est tout à fait personnel. Ainsi, le sexuel serait seulement un problème pour les homosexuels, pas pour les autres, ayant inconsciemment choisi le bon chemin, à l’ombre de parents ajustés à la norme.
La traque est parfois insidieuse. Elle apparaît alors entre les mots, comme une norme sadique qui écarterait systématiquement “l’inquiétante étrangeté”, qui la relèguerait au rang de folie dangereuse ou de tendance ridicule. Les jeunes sont disqualifiés du jeu social, amical, amoureux, sans autre possibilité que d’imiter leur agresseur, dans un comportement en pseudo menant à la fausseté et à une extrême souffrance identitaire. Sans groupe d’appartenance, sans communauté d’identifications, ils peuvent s’abîmer dans des conduites destructrices, voire dans le suicide pur et simple. On sait que les adolescents homosexuels mettent fin à leurs jours beaucoup plus que les autres. Non pas parce qu’ils sont homosexuels mais parce qu’ils vivent dans un climat intenable, les mettant dans des situations paradoxales où une pression sociale vise à les annuler psychiquement. Alors que certains enseignants défendent la différence, d’autres ne résistent pas à prendre le parti de la masse, en ironisant facilement à ce sujet, avec une ignorance crasse qui fait honte à leur métier. “Ma prof de sport m’a dit que j’étais trop masculine” m’a confié une patiente, lors d’une consultation.
En effet, la traque est beaucoup moins cachée dans certains espaces. Elle dit son nom et se révèle au grand jour. On insulte, on crache, on tabasse, on jette dehors, on ricane ouvertement en pointant un caractère trop masculin, un geste efféminé, un style marginal. “Je suis le gros pédé depuis que j’ai onze ans”, m’avoue en pleurs, un adolescent harcelé par ses camarades de collège. Pris au piège, épinglé comme un papillon, il ne peut même pas aller pleurer auprès de son père, “qui déteste les homosexuels et veut leur mort”. C’est alors la descente aux enfers, la peur au ventre et le sentiment profond de ne pas pouvoir s’assumer tel que l’on est. On emploie le mot assumer à tort et à travers de nos jours. Comment s’assumer quand les autres veulent notre mort sociale, refusent de nous considérer comme capables d’aimer, de vivre, de construire? Ainsi, alors que le racisme et l’antisémitisme sont souvent dénoncés à l’intérieur des familles quand il se produit; l’homosexualité donne d’abord lieu à un chagrin en solitaire.
Tous les jours, la société nous renvoie, tel un jeu de miroirs, l’idée que la loi ne suffit pas, que l’ouverture du droit au mariage, à l’adoption, à la procréation pour les couples homosexuels, fomente une haine plus tenace encore.
Celle-ci naît d’une bien-pensance infaillible: l’homosexualité naîtrait d’une erreur, d’une anomalie. La dysphorie de genre serait un dysfonctionnement, une dissonance, ne pourrait pas être considérée autrement que comme un ratage dans une équation mathématique. Aucune place pour la marge, pour les quelques chiffres après la virgule qui font toute la richesse de nos singularités subjectives.
Cette année, les actes homophobes n’ont jamais été aussi nombreux.
Ils émanent bien souvent d’individus fiers de leur positionnement, souhaitant se cramponner à une tradition excluante, discriminante, comme un monde perdu, imaginaire, enkysté en eux-mêmes.
Cette norme s’autoalimente de croyances surannées, d’amalgames obscurs, de dénis forcenés: le sexuel doit être contraint, enfermé dans des schémas connus, apprivoisés, sous peine de dévorer.
Éduquons nos enfants à un autre monde, capable de dépasser ces chimères de la norme, si rassurantes et si cruelles dans le même mouvement.
Comme le dit le poète bonifaciais Maxime Pierluisi, “Je sais que l’amour est ailleurs que dans le regard des autres, qui regardent d’ailleurs tout ce que nous ne sommes pas.” Il en va aussi d’un combat au nom des générations à venir, toujours mouvantes, toujours surprenantes dans le foisonnement de leurs identités si vastes.
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