Uluru, site sacré en terre aborigène

Publicité

Uluru, site sacré en terre aborigène

Par
Vue aérienne d'Uluru, monolithe qui domine le désert australien dans le Territoire du Nord
Vue aérienne d'Uluru, monolithe qui domine le désert australien dans le Territoire du Nord
© Getty - Ignacio Palacios

L'origine des mondes culturels. Uluru ou Ayers Rock est un imposant rocher situé au centre de l’Australie, dans le Territoire du Nord. Lieu incontournable du tourisme sur le continent, c’est avant tout un site sacré pour les peuples aborigènes vivant dans cette partie du désert australien. Son ascension est désormais interdite.

C’est un symbole de l'Australie, une de ses représentations dans le monde entier : le rocher Uluru ou Ayers Rock dans le Territoire du Nord. Les touristes sont environ 300 000 à s’y presser chaque année, certains n’hésitant pas à escalader le mastodonte de près de 350 mètres de haut. Mais pour les peuples aborigènes présents dans cette région, ce site est avant tout sacré, témoin de leur histoire. À partir de ce samedi, l’ascension du rocher est donc interdite. Les autorités ont dénombré une trentaine de morts depuis les années 1950 lors de l’escalade du mont, réputée dangereuse, en raison de la difficulté physique de cette montée et de la chaleur qui y règne. 

La montée du rocher désormais interdite

Ce 26 octobre 2019 fera une nouvelle fois date pour le peuple aborigène. Il y a 34 ans jour pour jour, le site d'Uluru leur a été rendu, après des années de combat. À partir de ce samedi, c'est l'ascension du rocher qui est désormais interdite, comme les Anangu, propriétaires traditionnels, le réclamaient depuis longtemps.

Publicité

Pour afficher ce contenu Twitter, vous devez accepter les cookies Réseaux Sociaux.

Ces cookies permettent de partager ou réagir directement sur les réseaux sociaux auxquels vous êtes connectés ou d'intégrer du contenu initialement posté sur ces réseaux sociaux. Ils permettent aussi aux réseaux sociaux d'utiliser vos visites sur nos sites et applications à des fins de personnalisation et de ciblage publicitaire.

Vendredi, à la veille de l'interdiction de l'ascension, des centaines de touristes ont tenu à escalader une dernière fois le rocher, après avoir parfois attendu plusieurs heures l'autorisation de monter, une fois les vents violents passés. Un touriste polonais a ainsi expliqué à l'AFP juger "normale" l'interdiction d'escalader Uluru. Mais après avoir appris que c'était la dernière fois qu'il pourrait faire l'ascension, il a tout de même souhaité "essayer".

Pour afficher ce contenu Twitter, vous devez accepter les cookies Réseaux Sociaux.

Ces cookies permettent de partager ou réagir directement sur les réseaux sociaux auxquels vous êtes connectés ou d'intégrer du contenu initialement posté sur ces réseaux sociaux. Ils permettent aussi aux réseaux sociaux d'utiliser vos visites sur nos sites et applications à des fins de personnalisation et de ciblage publicitaire.

L'approche de l'interdiction d'escalader Uluru a provoqué un afflux de touristes ces derniers mois. Entre juin 2018 et juin 2019, plus de 395 000 personnes ont visité le Parc national, soit 20% de plus que l'année précédente, d'après Parks Australia. Toutefois, seuls 13% de ces visiteurs ont fait l'ascension, rapporte l'AFP.

Un site découvert il y a moins de deux siècles par les colons…

"Tout ce que l’on peut dire au sujet d’Uluru ne remplacera jamais ce que vous y découvrirez par vous-même." Ainsi est décrit dans le guide touristique du Petit Futé le rocher majestueux qui s’élève au milieu du désert australien. Le monolithe en grès de 348 mètres de haut et de 9,4 kilomètres de circonférence est entouré d’histoires sacrées. Un côté mystique renforcé par sa couleur rouge orange qui change en fonction du soleil, tournant au violet à la pénombre.

Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.

Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.

Si ce lieu a toujours fait partie du quotidien des peuples aborigènes qui vivent dans le désert depuis des milliers d’années, les colons ne l’ont découvert que récemment. Il a pour la première fois été aperçu en 1830 par des caravanes qui exploraient la région. Le site n’a été mentionné qu’en 1872, alors que les colons construisaient une station de télégraphe à 400 kilomètres de là. Les colons le baptisent alors Ayers Rock, du nom du Premier ministre d'Australie-Méridionale de l'époque, Henry Ayers.

"Il y a eu des massacres, une guerre de frontières, explique la linguiste et maîtresse de conférences à l’université d’Australie de l’ouest (Perth) Maïa Ponsonnet. Les blancs venaient pour exploiter essentiellement les terres. Puis dans les années 1950, les Aborigènes ont été parqués dans des réserves, c’était des années extrêmement difficiles pour les populations locales". C’est à cette période que les touristes commenceront à venir à Uluru. En 1985, la propriété du parc a été remise à ses propriétaires d’origine, les Anangu. Deux ans plus tard, Uluru est inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco puis au patrimoine culturel en 1994.

Dès le départ, la question de monter ou non sur Uluru s’est posée. En 2016, dans l’émission de France Culture "Les Hommes aux semelles de vent", l’anthropologue, directrice de recherches au CNRS et chercheuse au Laboratoire d’anthropologie sociale du Collège de France Barbara Glowczewski déclarait : "Il faut imaginer l’Australie comme un immense réseau, un maillage de milliers de parcours qui relient des centaines de groupes de langues différentes au moment de l’arrivée des colons. Tous les lieux qui apparaissent aux Occidentaux comme naturels sont en fait culturels pour les Aborigènes. (...) Tout le continent australien est considéré comme appartenant aux Aborigènes dans une relation qui est réciproque, c’est-à-dire qu’ils disent aussi qu’ils appartiennent à la Terre."

À partir du 26 octobre 2019, plus personne ne pourra grimper sur Uluru, comme le demandent les Aborigènes, par respect pour leurs croyances, depuis des dizaines d'années
À partir du 26 octobre 2019, plus personne ne pourra grimper sur Uluru, comme le demandent les Aborigènes, par respect pour leurs croyances, depuis des dizaines d'années
© Maxppp - Reinhard Kaufhold

C'est ainsi que pour Uluru,"les populations gardiennes du lieu ont demandé que les touristes ne grimpent pas sur ce rocher. Pendant les vingt premières années après sa restitution [à ses propriétaires d’origine, ndlr] dans les années 1980, cet interdit a été respecté. Les touristes pouvaient acheter dans une boutique de souvenirs des badges disant ‘Je ne suis pas monté sur Uluru’. Cette année [en 2016], cet interdit n’est plus respecté." Il aura donc fallu des années de lutte et une trentaine de morts pour que l’interdiction soit définitivement validée. Pour l’anthropologue et chargée de recherche au CNRS, spécialiste de la Terre d’Arnhem et des sociétés aborigènes, Jessica De Largy Healy, la montée des touristes a aussi eu des conséquences écologiques pour le rocher, un chemin a été tracé et une chaîne pour faciliter la montée installée. 

La linguiste Maïa Ponsonnet estime qu’Uluru est devenu une sorte d’icône de l’Australie indigène "mais que c’est une manière très occidentale de percevoir l’Australie indigène"

C’est un symbole qui est aussi valorisé dans un contexte touristique, économique et donc c’est une manière pour l’Australie coloniale, blanche de réinvestir dans son capital indigène pour faire profiter d’un certain versant de l’économie… Ce côté à la fois monumental physique et culturel, antérieur à la colonisation, est réinvesti dans le symbole touristique d’Uluru.                                     
Maïa Ponsonnet, linguiste et maîtresse de conférences à l'université d'Australie de l'ouest

Entendez-vous l'éco ?
57 min

…Mais sacré depuis des milliers d’années pour certains peuples aborigènes

Difficile donc d’évoquer Uluru comme un symbole de l’histoire aborigène. "Le terme ‘symbole’ réduit la réalité et le pouvoir de ces endroits sacrés et de leur histoire, à la fois humaine et non humaine"pour Barbara Glowczewski. Et il est difficile de qualifier l’histoire aborigène d’unique. Car en quelques 80 000 ans de présence en Australie ("d’après des découvertes archéologiques très récentes" selon Barbara Glowczewski), il existe autant d’histoires que de peuples sur le continent (et il y a plus de 300 langues différentes).

D’ailleurs, comme Uluru, "des milliers de sites sont sacrés en Australie pour les différents peuples qui en sont les gardiens" ajoute l’anthropologue. "Ils correspondent toujours aux traces laissées par les voyages d’ancêtres totémiques sous forme de rochers, de collines, de trous d’eau, de lit de sable, des ruisseaux, de carrières de pierres de taille, de gisements d’ocre ou de minéraux". C’est pour cette raison qu’Uluru et Kata Tjuta (les Monts Olga) sont sacrés, pour les Anangu ainsi que pour "d’autres peuples comme les gardiens du Mala*, dont les Warlpiri qui vivent plus au nord dans le désert Tanami et qui sont liés par des échanges rituels avec les Anangu" ajoute l’autrice des Rêveurs du désert (Actes sud/Babel). C’est la connexion des "rêves totémiques" ou Dreamings de ces peuples à Uluru qui en fait également un site sacré pour eux.
*un petit marsupial qui était en voie d’extinction et se reproduit à nouveau grâce un programme mis en place avec des rangers aborigènes

Pour afficher ce contenu Twitter, vous devez accepter les cookies Réseaux Sociaux.

Ces cookies permettent de partager ou réagir directement sur les réseaux sociaux auxquels vous êtes connectés ou d'intégrer du contenu initialement posté sur ces réseaux sociaux. Ils permettent aussi aux réseaux sociaux d'utiliser vos visites sur nos sites et applications à des fins de personnalisation et de ciblage publicitaire.

Le paysage comme patrimoine culturel

Dans leur livre Les Aborigènes d’Australie, Stephen Muecke (professeur émérite d’ethnographie à l’Université New South Wales de Sydney) et Adam Shoemaker (vice-chancelier de South Cross University, spécialiste de la littérature et culture aborigène) racontent ce Dreaming (qui a aussi été appelé Dream Time) qui entoure Uluru.

"Uluru est l’un des sites sacrés les plus importants pour les Aborigènes de la région car il fut le théâtre d’une terrible bataille entre les Kuniya (les Pythons des Rochers) et les Liru (les Serpents venimeux) qui marqua la fin du temps du rêve et inaugure l’âge des hommes."

En Australie, les Aborigènes considèrent que "le paysage contient la trace des événements du temps du rêve. Les récits parlent des ancêtres et de la création des caractéristiques de l’espace en expliquant la raison d’être de chaque élément du paysage (arbre, source, rocher). Les rêves ou héros totémiques qui ont parcouru le paysage et qui ont créé les sites en y laissant leurs empreintes sont associés à cet espace. Ainsi, l’espace n’est pas seulement une étendue géographique mais véhicule une signification religieuse et identitaire particulière (…) Les reliefs et les lieux ainsi désignés par les rêves constituent _le patrimoine culturel et spirituel des Aborigènes__. Chaque Aborigène en tant que descendant d’un ancêtre possède un lien spirituel avec un territoire et des sites donnés. Ce lien inaliénable et intransférable dans un autre lieu lui confère sa qualité et son devoir de gardien._"

Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.

Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.

Les Aborigènes estiment ainsi que les esprits de leurs ancêtres sont toujours présents dans les lieux qu’ils ont formés, notamment à Uluru. "Ces sites ont donc un certain pouvoir, relate l’anthropologue Jessica De Largy Healy. Ce pouvoir va être canalisé durant les cérémonies faites par les Aborigènes pour permettre le renouvellement de la vie, le cycle de l’environnement, etc. Il y a sans doute toute une série d’êtres ancestraux qui ont des histoires associées à ce lieu et c’est donc un site sacré."

Pour se transmettre leur histoire, les Aborigènes utilisent ces cérémonies. En témoignage de leur présence sur les lieux, les Anangu ont aussi laissé quelques peintures rupestres. Généralement, elles ont été dessinées grâce à des minéraux naturels et des cendres. Mais ces peintures sur le rocher ont été abîmées par le temps. Le tourisme n’a pas arrangé les choses : lorsque les premiers touristes sont arrivés sur place, certains guides avaient même pour habitude de jeter des seaux d’eau sur les peintures pour raviver les couleurs sur leurs photos en noir et blanc. Sur ces peintures que l'on ne trouve pas seulement à Uluru mais dans plusieurs régions d'Australie, "des références aux origines, aux êtres ancestraux qui avaient une forme humaine et animale et qui au cours de leurs itinéraires dans le paysage se transformaient sont dépeints", d'après la chercheuse Jessica De Largy Healy. Mais la signification de ces peintures reste, elle, secrète, comme de nombreuses zones à Uluru où les Aborigènes ne transmettent leur histoire et leur culture qu'à un petit nombre d'initiés. 

Les Hommes aux semelles de vent
30 min