Un séisme majeur menace Istanbul

Cela ne remue pas d’un poil… donc ça va exploser très fort presque sous Istanbul. Cette prévision dramatique provient d’un article scientifique (1) qui relate les résultats de l’observation directe de la faille qui court sous la mer de Marmara, entre Bosphore et Dardanelles.

Depuis 2014, une équipe internationale (Franco-germano-turque) a installé et exploite un réseau de balises au fond de cette mer, de part et d’autre de la faille qui la traverse d’Est en Ouest. Une faille qui fait partie de la très longue rupture tectonique entre l’Eurasie et l’Anatolie. La plaque anatolienne se déplace de 2 cm par an relativement à sa voisine. Mais ce mouvement général engendre des soubresauts qui dévastent le nord de l’Anatolie à intervalles irréguliers. On note même, écrivent les auteurs de l’article, une succession de séismes sur la partie à l’Est d’Istanbul qui semblent se propager de l’Est vers l’Ouest, de 1989 à 1999 (carte ci-dessous).

La faille Nord Anatolienne provoque des séismes lorsque ses segments bougent. Les dates des séismes montrent que seule la partie immergée sous la mer de Marmara na pas bougé depuis un siècle (seismic gap). Document © J-Y Royer / CNRS-UBO LDO.

Mais que se passe t-il sous la mer de Marmara ? L’objectif des scientifiques est de déterminer si le segment de faille qui court sous la mer s’adapte aux gigantesques pressions qu’il subit par de micro-mouvements… ou non. La réponse à cette question est cruciale pour les 15 millions d’habitants de la métropole turque. S’ils ont de la chance, ces micro-mouvements quasi permanents peuvent diminuer le risque d’un séisme majeur, les géo scientifiques parlent alors de déformation asismique. S’ils n’en n’ont pas, si rien ne bouge, c’est que la pression s’accumule toujours, menaçant d’un mouvement possible de l’ensemble ou d’une partie du segment de 150 km de long, libérateur de la pression, et dévastateur pour la région où se trouve Istanbul. C’est ce qui s’est passé lors du dernier séisme important sur ce segment, en 1766.

Pour le savoir, une équipe dirigée par Jean-Yves Royer (Laboratoire Géosciences Océan à Brest) a développé des balises innovantes, capables de révéler ces éventuels mouvements par 800 mètres de profondeur. Elles fonctionnent par paires dont chaque élément est installé de part et d’autre de la faille. Elles s’interrogent à tour de rôle et mesurent le temps aller-retour d’un signal acoustique entre elles. Ces laps de temps sont ensuite convertis en distances entre les balises.  Les scientifiques peuvent les contacter  depuis la surface de la mer et ainsi mesurer si ces distances varient avec le temps ou non.

Lors de la mission du navire océanographique de l’Ifremer le Pourquoi Pas ? de 2014, les deux types de balises (à gauche française, à droite allemandes) déposées par 800 mètres de profondeur de part et d’autre de la faille.
Le Pourquoi Pas ?

Les seize premières balises (dix françaises, six allemandes) ont été mises en place en 2014 lors de la campagne Marsite du navire de l’Ifremer le Pourquoi Pas ? lors d’une mission dirigée par Louis Géli, occéanographe à l’Ifremer. Et depuis, elles fonctionnent correctement et ont transmis leurs distances relatives plus de 650 000 fois avec une précision de 8 mm (l’affaire n’est pas simple du tout, la propagation du signal est affectée par les changement de salinité, il faut mesurer pressions et températures, etc). Si elles ont bien été placées, de part et d’autre de la faille, les informations sont «fiables et en cohérence avec d’autres éléments comme l’absence de signes sédimentaires de séismes qui seraient survenus depuis 1766», explique Louis Géli. Et alors ? Alors les nouvelles ne sont pas bonnes du tout.

Toujours prudents avec le zéro et l’infini, les scientifiques écrivent que le mouvement observé est «proche de zéro». Avec un blocage au moins jusqu’à 3 km, voire 5 km de profondeur. Faut-il alors calculer comme si tout le segment de la faille sous la mer de Marmara n’avait pas bougé depuis 1766 ? Pas certain car des études nippo-turques semblent avoir mesuré des mouvements dans la partie ouest, vers les Dardanelles. Du coup, la calculette à risques des auteurs de l’article démarre avec 34 km de faille qui aurait à rattraper 4 mètres de retard depuis 1766. Ce qui donne un séisme de 7,1 de magnitude. Mais si l’on y ajoute une autre partie probable, d’environ 45 km, l’intensité du séisme grimpe à 7,4 (autrement dit trois fois plus fort). Cela peut sembler peu si l’on songe au séisme géant de magnitude 9,1 qui a frappé le Japon en 2011 (près de 20 000 morts en raison du tsunami qui a suivi). Mais nombre des bâtiments d’Istanbul ne sont pas vraiment construits avec des normes antisismiques sérieuses et les dégâts et le nombre des victimes pourraient être considérables. Pour quand ? Impossible de le dire, mais… la catastrophe est inéluctable, et plus elle tardera plus elle sera violente.

Sylvestre Huet

(1) Dietrich Lange et al. Nature Communications   https://doi.org/10.1038/s41467-019-11016-z6

3 réponses sur “Un séisme majeur menace Istanbul”

  1. Sujet passionnant !
    Plusieurs remarques :
    – le lien DOI ne marche pas.
    – cette lacune sismique sous Istanbul est connue depuis au moins 20 ans. A la connaissance la nouveauté de cette étude est de quantifier la puissance d’un éventuel séisme.
    – comparer avec le mégaséisme nippon de 2011 n’est pas forcément utile. Ce genre de séisme de M>9 est très très rare. Pour se rendre compte du danger d’un séisme de M=7,1 on peut plutôt rappeler que le village d’Arette dans les Pyrénées a été rasé par un séisme de seulement 5,5 …

    1. Oui, cela dépend de la profondeur du séisme. Ainsi dans le Groningue, l’accélération depuis une petite dizaine d’année de l’extraction du gaz a conduit à des séismes petits en quantification Richter (moins de 3 de mémoire), mais ouvrant de grandes fissures dans les fermes juste au-dessus parce que, particularité de la poche du Groningue (non sans lien avec son exploitation précoce, cf. le « mal hollandais » en économie, http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/syndrome-hollandais-dutch-disease-effet-de-groningue), elle est très peu profonde, genre 3000m voire moins par endroit. Il semble que la magnitude Richter quantifie la source, et pas l’amplitude max au sol. L’énergie au sol doit à peu près correspondre à celle souterraine « à la source » (whatever it means pour une source complexe comme une faille), mais intégrée sur une surface effective proportionnelle au carré de la profondeur (S~d²), modulo les effets de dissipation (c’est pas assez chaud pour ramollir jusqu’à vraiment profond, mais si on a des argiles ou des choses comme ça, alluviales, ça dissipe en cisaillant, je crois…)

  2. Selon l’article depuis 1776 le déplacement accumulé serait de 486 cm.
    Combien de cm doivent être accumulés avant que la faille ne cède?

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