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Les triades chinoises, ces mystérieuses sociétés criminelles qui pèsent sur les manifestations à Hong-Kong
©DR

L'Empire du Milieu

Des incidents violents survenus à Hongkong ces derniers jours ont mis en avant les mystérieuses triades qui auraient fourni des hommes de main pour s'en prendre aux opposants politiques à la ligne pro-Pékin.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Il ne faut pas oublier que la Chine qui est appelée l’"Empire du milieu", terme qui doit être pris au sens propre comme au figuré en raison des relations incestueuses qui existent entre le pouvoir et les triades.

Régulièrement, le Parti Communiste Chinois met en avant la condamnation "exemplaire" de responsables politiques importants pour faits de corruption en liaison avec le crime organisé représenté principalement par les triades. Mais il semble que ce sont les cas jugés trop voyants qui sont ainsi mis en exergue. Ceux qui se font plus discrets ne sont pas inquiétés, surtout si leur action favorise le développement "harmonieux" de l’économie du pays.

Si les triades ne sont pas toutes criminelles, beaucoup d’entre-elles répondent aux critères définissant les mafias : elles ont des traditions, un code d’"honneur" et des rites initiatiques.

Un peu d’Histoire…

Selon la légende populaire, les triades apparaissent dans les années 1644 pour s’opposer aux envahisseurs mandchous qui ont amené au pouvoir la dynastie Qing, en opposition aux Ming qui sont d’origine Han. Le Sud de la Chine se rebelle à partir du XVe siècle contre ce dernier. Les moines de Shaolin entrent en résistance. De nombreux rebelles rejoignent le monastère où est enseigné le Wushu (Kung fu). Toutefois, les troupes de l’empereur Qing viennent à bout de ce sanctuaire. Cinq moines survivants s’échappent et créent une société secrète. Elle porte plusieurs appellations dont la plus connue est la "société de la triade" en raison de son emblème qui est un triangle équilatéral dont les côtés représentent les trois concepts de base de la Chine : le ciel, la terre et l’homme.

Mais cette histoire n’est qu'une légende, la Chine ayant toujours été une terre de prédilection pour l’émergence de sociétés secrètes et de sectes. Les récits épiques ne sont donc pas chose nouvelle. Ils présentent l’avantage de dépeindre sous un jour avantageux une réalité qui relève plus des méfaits de droit commun que d’une réelle noblesse de sentiments: les triades sont globalement des bandes de hors-la-loi intéressés par leurs gains illicites immédiats.

Au XIXe siècle, les triades participent à la guerre de l’opium (1840-1842) puis à celle connue comme l’"insurrection du turban jaune" menée par les Taiping de 1850 à 1868 qui fit vaciller le pouvoir. Les insurgés furent finalement vaincus grâce à l’intervention des puissances occidentales. Un autre soulèvement auquel les triades participèrent a lieu en 1892 : la "guerre des Boxers" qui se termine par le siège des légations occidentales à Pékin en 1900. Ces bandes sont défaites et ses membres sont contraints de se disperser. La proclamation de la République de Chine (Zhonghua) en 1912 par le Docteur Sun Yat-sen est une véritable victoire pour les triades car ce dernier est le responsable de la discipline au sein de la "société des Aînés et des Anciens" (Ge Lao Hui). C’est aussi à cette époque que le nouveau pouvoir accorde aux triades de nombreux avantages. Mais ces dernières oublient rapidement leur "patriotisme" pour se consacrer entièrement à leurs petites affaires. En 1914, la Chine est confrontée à une guerre qui oppose le général Yuan Shi-Kai, le successeur de Sun Yat-sen, à la société secrète "le loup blanc recrute" (Bai lang zhao Liang). Tchang Kaï-chek, le successeur du général Yuan Shi-Kai, est lui aussi dirigeant d’une triade. Il permet l’infiltration de criminels patentés au sein du Kuomintang. En échange, les triades s’engagent aux côtés des nationalistes. Lors de la guerre déclenchée par les Japonais, les sociétés noires participent aux combats dans les deux camps! Après la proclamation de la République populaire par Mao Tse-Tung en 1949, les membres des triades qui ont bien des raisons de craindre les représailles des communistes, se réfugient à Formose (Taiwan), Hongkong et à Macao. Toutefois la pensée de Mao Tse-Tung est plus ambiguë à leur sujet. Il était partagé entre son orthodoxie communiste, la crainte de la menace que les triades représentaient et le désir de ne pas se couper d’une partie du peuple auprès duquel elles restaient respectées. Cet opportunisme avait pour but de rallier différents dirigeants de triades. Toutefois, en 1949, le Gouvernement populaire de Chine du Nord proclame l’abolition de toutes les sociétés secrètes. Suit une répression féroce tout au long des années 1950. Les sociétés noires passent alors dans la clandestinité sauf à Hongkong, Macao et Taiwan. Elles ne réapparaissent "officiellement" en Chine continentale qu’après la libéralisation de régime dans les années 1980.

La rétrocession à la Chine de Hongkong en 1997 et de Macao en 1999 n’apporte pas la catastrophe attendue pour les triades qui y ont pignon sur rue. Le pouvoir communiste fait alors preuve de pragmatisme. En effet, il sait ce que ces organisations peuvent apporter en monnaie sonnante et trébuchante et en contrôle des populations (elles étaient déjà intervenues aux côtés des forces de l’ordre lors des manifestations de Hongkong à la fin 2014). À la fin des années 2000, les triades se répandent dans toute la Chine continentale. De nouveaux adeptes y ont été recrutés, particulièrement au sein de la petite voyoucratie qui n’a jamais disparu, même lors de la Révolution culturelle. Redevenues un véritable phénomène de masse, il est constaté depuis en Chine un accroissement phénoménal de la prostitution, des fraudes diverses et variées (dont la contrefaçon, les paris en ligne, etc.) et surtout du trafic de drogues.

La hiérarchie

Bien que les triades ne soient pas organisées pareillement, des constantes peuvent être dégagées. À savoir qu’il convient généralement de distinguer trois niveaux hiérarchiques principaux.

. Au sommet, la direction est placée sous l’autorité d’un chef : le "maître de la montagne" (Shan Chu) ou la "tête du dragon" (Lung Tau) ou "489". Il a pour adjoint direct le "sous-chef" (Fu Shan Chu) qui porte le numéro "438". Deux autres dignitaires portent le même numéro : l’"avant-garde" qui est chargé des opérations et le "maître de l’encens" (Hueng Chu), le gardien des traditions et du recrutement.

. Le second niveau est constitué par le "Comité des officiers" composé de cadres chargés de diverses missions. Le "sandale de paille" ou "432" (Cho Hai) s’occupe des relations extérieures. Le "bâton rouge" ou "426" (Hung Kwan) est responsable de la sécurité. L’"éventail de papier blanc" ou "415" (Pak Tse Sin) est le conseiller financier.

. Enfin, en bas de l’échelle, il y a la piétaille chargée des opérations de terrain. Ce sont les "soldats" (Sze Kau tsai) ou "49". Les postulants qui n’ont pas encore été initiés sont les "lanternes bleues". Il semble que ce sont dans ces deux dernières catégories que des hommes de main aient été recrutés pour les contre-manifestations de Hongkong de cette année.

À la différence des autres OCT, les membres des triades peuvent quitter leur organisation sans être inquiétés.

Une puissance financière qui s’est déployée à l’étranger

L’argent sale en circulation dans le monde est estimé à plus de 1 600 milliards de dollars. Moins de un pour cent des flux criminels est saisi ! En ce qui concerne la Chine, des services de renseignement estiment que la masse de transferts illégaux d’argent à l’intérieur et à l’extérieur du pays est supérieure aux transferts légaux. Afin de faciliter ces mouvements, les triades ont acheté des milliers de participations au sein de compagnies étrangères de par le monde. Généralement, quand elles arrivent dans un pays, les triades commencent par investir dans des sociétés qui ne sont pas considérées comme sensibles afin de ne pas attirer l’attention des services de sécurité : des hôtels, des agences de voyage, des sociétés de transports, etc. Si la mafia asiatique n’est pas directement présente au sein des nombreux établissements officiels chinois qui doivent favoriser le développement des relations économiques bilatérales, elle est en contact indirect avec ses membres, sachant se rendre indispensable pour la vie de tous les jours des expatriés : hébergement, restauration, voyages, etc. Une grande partie de l’argent gagné illégalement repart en Extrême-Orient.

Un autre moyen pour blanchir l’argent sale consiste à employer des entreprises légales, des magasins chinois, des bijoutiers, etc. En cette période de crise financière mondiale, les pierres et métaux précieux sont redevenus des valeurs sûres que les criminels asiatiques utilisent abondamment. La méthode la plus simple consiste tout simplement à utiliser des "porteurs de valises" qui transportent de grosses sommes d’argent liquide. Enfin, le système informel de transfert d’argent existe aussi en Extrême-Orient. Cela se nomme l’hui kuan (remise d’argent), chiao hui (transfert outremer) ou encore fei chien (argent volant).

L’arme secrète de Pékin

Durant la révolution culturelle, les gardes rouges ont été en mesure d’appliquer les instructions de Mao en dehors de tous les systèmes de communications, presse incluse. Est-ce que ce sont les triades qui ont transmis discrètement les ordres du "grand timonier" sur l’immensité du territoire chinois ? Toujours est-il que les responsables politiques locaux qui surveillaient étroitement les communications n’ont pas vu venir les instructions ordonnant leur arrestation et parfois, leur exécution.

L’idée centrale qui préside à Pékin est qu’il faut utiliser toutes les énergies pour participer à l’essor économique du pays Les triades ne sont donc pas perçues comme une menace mais comme un atout, l’économie criminelle étant intimement mêlée à sa consoeur légale, surtout à Hongkong et à Macao. Aussi étonnant que cela puisse paraître, les triades implantées à Taiwan, île que Pékin lorgne d’un oeil concupiscent, n’attirent pas les foudres du régime communiste. Il faut dire que le temps du blocus chinois est bien révolu. Comme l’a déclaré Deng Xiaoping : "quand on ouvre les fenêtres, il ne faut pas s’étonner que les mouches entrent".

Il ne faut cependant pas exagérer, Pékin n’est pas totalement responsable du crime organisé asiatique qui agit avec autonomie et une grande indépendance. Par contre, le pouvoir sait l’utiliser à son profit - à l’intérieur comme à l’extérieur - alternant fermeté contre ceux qui sortent de la ligne et une "amnésie courtoise des fichiers" (Audiard, les Barbouzes) pour ceux qui représentent un intérêt "patriotique". Il serait intéressant - mais risqué - d'enquêter sur les relations existant entre les services de renseignement chinois très actifs sur l'ensemble de la planète et les triades.

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