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L’arbre zombie qui pourrait changer notre regard sur la forêt

La découverte en Nouvelle-Zélande d’une souche maintenue en vie par les arbres environnants de la même espèce invite à considérer les forêts comme des « superorganismes » vivants.

Publié le 29 juillet 2019 à 18h21, modifié le 30 juillet 2019 à 10h12 Temps de Lecture 8 min.

Dans un forêt de Warburg, Allemagne, le 25 juillet.

Les arbres nous ont-ils longtemps caché la vraie vie de la forêt ? Dans une forêt d’arbres kauri, une espèce emblématique de Nouvelle-Zélande, au bord d’un sentier prisé des promeneurs de la région d’Auckland, le botaniste Sebastian Leuzinger et son collègue Martin Bader ont découvert ce qui s’apparente à une souche d’arbre zombie, le reste bien vivant d’un arbre mort.

« N’importe qui penserait simplement que la souche est morte. Elle a l’air morte en effet, mais si on regarde d’un peu plus près, on peut voir des tissus vivants. Nous nous sommes donc demandé : “Si cette souche n’est visiblement pas morte, mais alors comment vit-elle ?” », a raconté au New York Times M. Leuzinger.

D’après les scientifiques, qui ont publié une étude sur cette souche dans la revue en ligne iScience, c’est grâce à l’intégration des racines de cette souche au vaste réseau souterrain qui relie entre eux des arbres de la même espèce, dans cette forêt, qu’elle a pu retenir la vie en son sein. Cette découverte invite à percevoir les arbres non plus comme des êtres solitaires mais comme des entités interconnectées au regard des connexions intenses qui existent entre eux et des liens invisibles qui les unissent.

Les arbres sains vivent grâce au phénomène de photosynthèse rendu possible par la présence de feuilles – ou d’épines, pour les conifères comme le kauri. La souche n’ayant par définition pas de feuille, elle ne peut naturellement pas y participer. Selon les deux scientifiques, c’est donc sous terre que sa survie s’organise.

Les racines de la souche ont en effet fusionné avec celles des arbres voisins. Elle n’est, avec les autres kauri, que la partie émergée d’un vaste réseau de racines imbriquées qui permet un partage des ressources, d’eau en l’occurrence, entre les individus qui sont en mesure de les capter et ceux qui ne le sont pas, comme cette souche toujours bien vivante longtemps après la coupe de l’arbre auquel elle servait de base.

Un mystère pour les botanistes

En effet, pour capter les eaux du sol, les arbres ont besoin de leurs racines et de leurs feuilles. En ouvrant leurs pores afin de capter du dioxyde de carbone présent dans l’atmosphère, les feuilles perdent de l’eau. Les arbres transpirent et doivent donc, pour ne pas se déshydrater, absorber l’eau du sol grâce à leurs racines. Sans feuille donc, pas de photosynthèse, pas de captage d’eau, pas de vie. Et pourtant… la souche n’est pas morte. Aucun arbre ne repoussera à partir de ce tronc sectionné, mais il reste une partie d’un organisme vivant qui se développe et existe au-delà de chaque arbre individuel.

Pour les deux botanistes néo-zélandais, la manière dont l’eau continue de circuler à l’intérieur de la souche demeure toutefois un mystère. Dans un arbre sain, l’eau captée par les racines remonte vers les feuilles. Or, la souche en est dépourvue. Connectée à des arbres voisins de la même espèce, elle a donc dû réorienter ses circuits pour survivre sans participer directement à la photosynthèse.

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Pour les deux scientifiques, la connexion souterraine remonte à une période bien antérieure à la coupe de l’arbre et a continué de fonctionner par la suite. Les auteurs de l’étude estiment en effet que ce qu’ils décrivent comme un couplage hydrologique entre la souche et les arbres environnants suggère une « physiologie communautaire » entre arbres de la même espèce. Selon eux, ce constat est porteur « d’implications profondes pour notre compréhension du fonctionnement des forêts, en particulier en cas de pénurie d’eau ».

Interrogé par The Atlantic, M. Leuzinger estime que sa découverte « change vraiment notre vision de la mortalité forestière » et que si des arbres vivants et sains partagent régulièrement l’eau par le biais de moyens d’approvisionnement connectés les uns aux autres, alors, les forêts doivent être considérées comme des « superorganismes ».

« Wood Wide Web »

Au-delà du cas découvert par les deux scientifiques néo-zélandais de fusion des racines entre arbres de la même espèce, la plupart des arbres, quelles que soient les espèces auxquelles ils appartiennent, sont reliés entre eux par des réseaux de champignons souterrains qui vivent en symbiose avec eux et rendent possible le partage d’un arbre à l’autre de nutriments.

Ce fin maillage, indispensable à leur survie, est appelé « Wood Wide Web » par les vulgarisateurs scientifiques, qui le comparent ainsi à une sorte d’« Internet de la forêt ». Or, aussi étendu et efficace soit-il, en permettant notamment aux arbres de mieux se défendre face aux sécheresses ou à des insectes nuisibles, ce réseau ne peut pas prendre en charge le transfert d’eau.

La prise en compte récente de ces mécanismes dénote une évolution vers une conception plus holistique de ce type d’environnement et n’est pas sans rappeler les préoccupations exprimées, par exemple, au sujet de l’état de santé de l’écosystème Pando – cette colonie de peupliers faux-trembles, âgée de 80 000 ans, qui s’étend sur 43 hectares dans l’Utah, aux Etats-Unis, considérée comme le plus grand organisme vivant de la planète.

Il s’agit d’une forêt formée grâce aux nouvelles pousses de la même plante, trouvant son origine dans une seule et même graine et vivant grâce à un système de racines uniques. Cette évolution a permis à cet arbre à la fois un et multiple de survivre en optimisant sa captation d’eau dans un environnement particulièrement sec. Or, Pando a cessé de croître, les jeunes pousses ne remplacent plus les anciennes du fait de l’intrusion d’une faune sauvage hostile rompant le fragile équilibre propre à cet organisme hors du commun.

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