Illustration inédite de Jonathan Sobel, Atelier de Joann Sfar aux Beaux-Arts de Paris - Jonathan Sobel
Illustration inédite de Jonathan Sobel, Atelier de Joann Sfar aux Beaux-Arts de Paris - Jonathan Sobel
Illustration inédite de Jonathan Sobel, Atelier de Joann Sfar aux Beaux-Arts de Paris - Jonathan Sobel
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Béatrice Leca s'avance vers les collégiens et les survivants de la Shoah nés autour des années 1930, dans des lieux où l'expérience est à la fois celle du silence et de la parole. Comment parler opère encore aujourd'hui ?

Une Expérience signée Béatrice Leca, réalisée par Yaël Mandelbaum.

Après tout c’est une histoire que tout le monde est censé connaître. On l’apprend à l’école. Il y a des centaines de documentaires, des milliers d’images, des enregistrements, des témoignages. Il y a des romans, des films – chaque année plus de fictions, qui prétendent s’approcher du gouffre, ouvrir le passé.

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Alors, que peut-on dire encore, que peut-on encore faire entendre – que doit-on dire encore, écouter encore, en sachant qu’on n’y arrivera jamais ? 

Alors, pourquoi ces rencontres dans les collèges, les lycées, où des hommes et des femmes juifs nés autour des années 1930 tentent encore de raconter ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont vécu ?

Il y a les récits bien sûr. Il y a l’histoire et l’horreur. Chacun les tient à une distance qui lui est propre, chacun les a apprivoisés à sa façon pour être capable d’y survivre et de les transmettre devant des centaines d’adolescents, pendant des années – après ces années où parler était impossible. Et puis il y a les collégiens, les lycéens en face. Ce qu’ils savent, et surtout ce qu’ils ignorent malgré les documents, les images, les enregistrements, les films, les best-sellers et les programmes scolaires. 

Chacun tend la main au-dessus d’un abîme – d’innocence, de désespoir. 

Frania Haverland, 13 ans dans la Pologne de 1939 ; Victor Perahia, 9 ans dans la France de 1942 ; Esther Sénot, 15 ans dans la France de 1943. Et les élèves de Séverine Ranc, du collège Hutinel de Gretz-Armainvilliers (77), adolescents de 2019.

Peut-être leur histoire, tant de fois racontée, est-elle devenue une sorte de prière. Peut-être nous protège-t-elle. Et peut-être, comme dans une célèbre légende hassidique, le miracle peut-il encore avoir lieu à travers la prière, pour l’humanité tout entière. 

Parler encore : collégiens et survivants face à la Shoah
Parler encore : collégiens et survivants face à la Shoah
- Julien Marrant

Lorsque le grand Rabbi Israël Baal Shem-Tov voyait qu’un malheur s’annonçait pour le peuple juif, il avait pour habitude d’aller se recueillir à un certain endroit dans la forêt ; là, il allumait un feu, récitait une certaine prière et le miracle s’accomplissait, révoquant le malheur. Plus tard, lorsque son disciple, le célèbre Maguid de Mezeritch, devait intervenir auprès du ciel pour les mêmes raisons, il se rendait au même endroit dans la forêt et disait : ‘Maître de l’univers, prête l’oreille. Je ne sais pas comment allumer le feu, mais je suis encore capable de réciter la prière.’ Et le miracle s’accomplissait. Plus tard, le Rabbi Moshe-Leib de Sassov, pour sauver son peuple, allait lui aussi dans la forêt et disait : ‘Je ne sais pas comment allumer le feu, mais je peux situer l’endroit et cela devrait suffire.’ Et cela suffisait : là encore le miracle s’accomplissait. Puis ce fut le tour du Rabbi Israël de Rizhin d’écarter la menace. Assis dans son fauteuil il prenait sa tête entre les mains et parlait à Dieu : ‘Je suis incapable d’allumer le feu, je ne connais pas la prière, je ne peux même pas retrouver l’endroit dans la forêt. Tout ce que je sais faire, c’est raconter cette histoire. Cela devrait suffire.’ Et cela suffisait. 

-- Elie Wiesel, Célébration hassidique, Éditions du Seuil, 1976

Générique

Avec : Frania Haverland, Victor Perahia, Ester Sénot, et les élèves de Séverine Ranc, du collège Hutinel de Gretz-Armainvilliers (77).

Réalisation : Yaël Mandelbaum.

Prise de son : Yvan Turk, Claude Niort

Mixage : Guillaume Ledu

L’Expérience de France Culture et les Beaux-Arts de Paris

Pour chaque numéro de L'Expérience, un.e étudiant.e de l’Atelier de Joann Sfar des Beaux-Arts de Paris propose une illustration inédite. Inspiré.e par l’écoute, il ou elle réalise un dessin qui complète le geste de l’auteur du documentaire de création.

Remerciements

Merci au Mémorial de la Shoah, et particulièrement à Jacques-Olivier David, coordinateur pédagogique, ainsi qu'à Flavie Bitan, directrice de la Communication. 

Merci à Félix Blume. 

Merci à la violoniste Floriane Bonanni, de l’Orchestre philharmonique de Radio France. 

L'équipe