Le Japon autorise la création d’embryons humains-animaux

À terme, les scientifiques souhaitent cultiver dans des animaux des organes humains aptes à la transplantation.
Le Japon autorise la création d'embryons humains-animaux

Le Japon vient de donner son feu vert pour la création d’embryons hybrides homme-animal, rapporte la revue Nature. À terme, les scientifiques souhaitent cultiver dans des animaux des organes humains aptes à la transplantation. Des recherches qui soulèvent de nombreuses questions éthiques et techniques.

Face à la pénurie mondiale de donneurs d’organes, les scientifiques cherchent des alternatives pour sauver les milliers de patients sur liste d’attente. En France, ils représentaient 24 791 personnes en 2018, contre 5 804 greffés la même année. Si certains chercheurs imaginent pouvoir imprimer un jour des organes en 3D, d’autres aspirent à les faire grandir dans des embryons chimères humains-animaux, soit des organismes contenant des cellules souches humaines et animales. Un processus qui soulève de nombreuses problématiques d’ordre éthique. Dans l’Hexagone, le procédé est d’ailleurs interdit par la loi bioéthique de 2011.

Au Japon, la création d’embryons chimères est autorisée depuis mars 2019, à la seule condition qu’ils soient détruits après 14 jours de développement in vitro. L’autorisation ne s’étendait donc alors qu’à l’expérimentation exclusive autour des embryons. Au-delà, le risque de brouiller la frontière homme-animal inquiète les autorités… Une prise de position remise en question au bout de quelques mois seulement. Selon la revue Nature, Hiromitsu Nakauchi, docteur spécialiste des cellules souches à l’Université de Tokyo et de Stanford, a obtenu l’autorisation de la part d’un comité d’experts du Ministère japonais des sciences pour approfondir ses recherches. Il s’apprête à cultiver des cellules humaines dans des embryons de souris et de rat. Son objectif sur le long terme est d’utiliser des animaux hybrides en tant que banque d’organes pour les patients en attente de greffe.

Frankenstein mais prudent

Mais la route est longue avant de pouvoir un jour cultiver des organes viables et aptes à la transplantation. Les recherches restent balbutiantes et reposent sur l’injection de cellules souches humaines dites « pluripotentes induites » (CSPI) dans un embryon d’animal. Contrairement aux cellules souches extraites d’un embryon humain, il s’agit de cellules d’humains adultes génétiquement reprogrammés pour retrouver les caractéristiques d’une cellule souche embryonnaire. La stratégie du docteur Nakauchi consiste à altérer un embryon de rat ou de souris en lui retirant le gène nécessaire au développement d’un organe donné, puis de lui injecter des cellules humaines de type CSPi pour lui permettre de le fabriquer. La technique est loin d’être au point. La distance génétique entre les deux espèces entraîne le rejet par l’organisme hôte de la plupart des cellules humaines injectées.

Dans le film Splice, des scientifiques hybrident différentes espèces. Leur création ne tarde pas à se rebeller contre eux.

 Dans le cadre de l’étude, les foetus ne seront pas portés à terme avant que le processus ne soit parfaitement maîtrisé. Les hybrides ne seront cultivés qu’une quinzaine de jours, avant que leurs organes ne commencent à se former. Si l’expérience est concluante, les équipes demanderont l’approbation du gouvernement pour réitérer l’expérience sur des embryons hybrides de porcs, qu’ils cultiveront pendant 70 jours. « Il est bon de procéder par étapes avec prudence, ce qui permettra de dialoguer avec le public, qui se sent anxieux et préoccupé par ces thématiques  », a déclaré dans la revue Nature Tetsuya Ishii, chercheur en Sciences politiques à l’université d’Hokkaido à Sapporo.

L’animal encore cobaye

Ce n’est pas la première fois que des scientifiques fabriquent des embryons hybrides homme-animal. En 2018, des chercheurs américains développaient un embryon homme-mouton pendant 28 jours, constitué de seulement 0,01 % de cellules humaines. Bien que les États-Unis autorisent ce type de recherche, les instituts nationaux de santé appliquent un moratoire depuis 2015 sur le financement de ces travaux, souvent très coûteux. L’utilisation d’animaux dans le cadre de ces manipulations génétiques est de plus en plus discuté dans la communauté scientifique. Le Monde publiait le 8 juillet 2019 une tribune intitulée « Peut-on soulever des problèmes bioéthiques et oublier les animaux ? », où scientifiques et universitaires s’inquiétaient du sort réservé à ces cobayes à quatre pattes.

D’autres bioéthiciens se questionnent sur les conséquences d’une hybridation trop forte entre l’homme et l’animal, notamment en cas de migration des cellules souches vers d’autres organes, comme le cerveau. Le professeur John De Vos, responsable du département Ingénierie cellulaire et tissulaire au CHU de Montpellier, s’inquiétait déjà en 2017 des dérives de telles pratiques, sur les ondes de FranceInfo : « Il ne faut à aucun prix que le cerveau de l’animal soit humanisé et qu’on se retrouve avec un porc qui aurait un cerveau en grande partie d’origine humaine.  »

 

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Image à la une : Embryon humain / CC 3.0

 

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