Anne-Cécile Mailfert : «Aucune plainte de femme victime de violences conjugales ne doit être ignorée»

Dans une tribune au Parisien-Aujourd’hui en France, la présidente de la Fondation des femmes appelle l’Etat à multiplier l’effort budgétaire dédié à la prise en charge des femmes victimes de violences conjugales.

 «Les policiers doivent être responsabilisés, formés et les effectifs renforcés», estime Anne-Cécile Mailfert.
«Les policiers doivent être responsabilisés, formés et les effectifs renforcés», estime Anne-Cécile Mailfert. LP/Illustration/Elene Usdin

    Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes

    « Au début de l'été, face à la recrudescence des féminicides, la mobilisation des familles et proches des victimes et des associations a fait émerger une indignation populaire inédite ainsi que l'annonce par le gouvernement de la tenue d'un Grenelle des violences conjugales. Depuis ce jour, ce sont plus de vingt femmes qui ont encore été assassinées, portant à 95 le nombre de féminicides depuis le début de l'année.

    L'heure n'est plus à la parole, aux débats ou aux bonnes intentions, elle est aux actes concrets pour que plus jamais nous n'ayons à enterrer une femme du fait de la violence machiste. Les associations seront au rendez-vous du Grenelle, nous y prendrons tous et toutes notre part, mais la mobilisation du gouvernement devra être à cette hauteur de nos attentes. Seule une volonté politique forte pourra transformer la vie des 230 000 femmes victimes et sauver celles qui sont en extrême danger.

    La première attente concerne la police. Pour qu'aucune femme ayant porté plainte ne soit menacée, il faut protéger celles qui ont ce courage. Les policiers doivent être responsabilisés, formés et les effectifs renforcés. Chaque commissariat doit mettre en place des protocoles d'accueil, d'orientation et d'intervention permettant d'identifier immédiatement le danger et d'y répondre. Lorsqu'une femme franchit la porte d'un commissariat, elle se place sous la protection de la République, la République se doit de la protéger.

    Le deuxième maillon est la justice qui doit être plus rapide, coordonnée et accessible, avec des instances spécialisées. Plus aucune femme ne doit être ballottée d'une juridiction à l'autre, noyée sous les frais. La justice doit aussi être un levier pour la prévention, en identifiant et en écartant les agresseurs dès les premiers signes et en prenant en charge les hommes violents condamnés afin de limiter la récidive.

    Le troisième champ d'action est un changement d'échelle en matière d'accueil, d'orientation, de prise en charge santé et hébergement avec des formules adaptées au terrain. Dans chaque territoire, des lieux uniques d'accueil doivent être ouverts et le nombre de places d'hébergement spécialisé doit être augmenté. Aucune femme ne doit être livrée à elle-même : ce sont les services publics qui doivent venir à elle.

    Ces quelques pistes n'excluent pas le reste. Enfants et tiers victimes, santé, travail, le défi est à la mesure de la détresse dans laquelle sont ces femmes : immense. Ne nous voilons pas la face, si on veut agir pour de vrai, cela ne pourra se faire à budget constant. Aujourd'hui, la France ne dépense que 78,1 millions d'euros pour lutter contre les violences conjugales. C'est très faible au regard des 3,6 milliards que ces violences coûtent à la société et dramatiquement insuffisant alors que les féminicides s'accumulent.

    En 2018, la Fondation des femmes et ses partenaires ont chiffré de manière précise les besoins : 506 millions d'euros minimum sont nécessaires pour permettre aux 93 500 femmes qui se rendent chaque année dans les commissariats de sortir de la violence et d'échapper au pire. Il faut donc multiplier par six l'effort dédié aux femmes victimes de violences conjugales. Certains nous diront que c'est beaucoup. Nous disons que c'est encore bien peu. Car, derrière ces chiffres, ce sont des vies humaines qu'il s'agit de sauver. Combien vaut la vie d'une femme ? »