"Il faut éradiquer la haine sur le Net"
Mardi soir, le Premier ministre Di Rupo était l’hôte de la communauté juive de Belgique. A cette occasion, Maurice Sosonowski, président du Comité de coordination des organisations juives (CCOJB), a interpellé le monde politique. Il revient sur ses priorités pour "La Libre".
- Publié le 04-04-2014 à 14h12
- Mis à jour le 04-04-2014 à 14h13
A travers Maurice Sosnowski, la communauté juive précise ses attentes pour les mois à venir.
Mardi soir, le Premier ministre Di Rupo était l’hôte de la communauté juive de Belgique. A cette occasion, Maurice Sosonowski, président du Comité de coordination des organisations juives (CCOJB), a interpellé le monde politique. Il revient sur ses priorités pour "La Libre".
Vous plaidez toujours avec vigueur pour une lutte renforcée contre l’antisémitisme…
Le spectre de la haine hante l’Europe et, hélas, toujours aussi notre pays. Sont ciblés : les Juifs, les Noirs, les musulmans, les Roms, les homosexuels. Tous sont présentés comme "l’autre", cet être honni au seul motif qu’il est "différent". Des partis populistes et d’extrême droite ont le vent en poupe aux quatre coins de l’Europe et disent leur haine de nos démocraties. Mais, en outre, des salles entières rigolent des propos vomitifs d’un ancien humoriste et chez nous, certains se délectent des délires d’un élu de raccord à la Chambre… En même temps, les orthodoxes juifs sont agressés à Anvers alors qu’à Bruxelles, celui qui porte une kippa ou une étoile de David n’ose plus prendre le métro. Dans certaines cours d’école, le mot juif est devenu une insulte. En outre, des gardes privés et des policiers doivent assurer la protection des enfants éduqués dans les écoles juives. Nous avons déjà mis en garde contre ces dérives; il s’impose de remobiliser les esprits…
Que prônez-vous concrètement ?
Il y a clairement un gros problème d’éducation… C’est pourquoi nous avons plaidé auprès du Premier ministre afin d’introduire très tôt, dès l’âge de six ans, l’enseignement du respect de l’autre et de l’acceptation des différences. Comme le fait déjà le programme du Centre communautaire laïc juif, le CCLJ, avec "la Haine je dis non". Voilà une fantastique initiative de notre communauté, soutenue par les pouvoirs publics, mais qui touche moins de 10 % des élèves. Il faut aussi soutenir les enseignants, qui ont une responsabilité immense. Hélas, ils sont trop souvent empêchés d’exercer leur métier lorsqu’ils abordent des sujets tels que la Shoah. Car, s’il est important que chaque année, à Malines, nous nous souvenions et que nous y commémorions "le plus jamais çà", nous devons - et il y a urgence - pouvoir enseigner les mécanismes qui ont amené l’humanité dans les ténèbres.
Il faut aussi agir d’urgence sur le Net…
Comment en est-on arrivé à invoquer la liberté d’expression pour défendre la liberté de haïr ? Entendons-nous bien : la liberté d’expression est un bien précieux. Mais elle ne peut être la liberté d’appeler à la haine. Cette haine ne naît pas du néant, elle ne se nourrit pas d’elle-même, elle est stimulée. Une de ses principaux vecteurs aujourd’hui, c’est Internet. La Toile véhicule, en toute impunité, la promotion de la haine, du fanatisme et de l’endoctrinement. C’est pourquoi une régulation de ce fantastique outil est urgente. C’est impératif.
Mais sur cet aspect, il y a eu des avancées du côté du monde politique…
Joëlle Milquet, la ministre de l’Intérieur, connaît la détermination du CCOJB sur ce sujet. Nous en avons discuté et discutons encore avec ses représentants et avec ceux de la ministre de la Justice, mais toute la société civile, opérateurs et médias compris, doit intervenir. Internet est un lieu où les lois contre le racisme et l’antisémitisme ont du mal à s’appliquer. Pourtant, comme le rappelait mon collègue du Conseil représentatif des institutions juives de France, cela doit être possible puisque les opérateurs d’Internet ont réussi à s’opposer à un autre cancer, celui de la pédophilie. Ensemble, il faut éradiquer la haine sur le Net…
Vous avez aussi interpellé Elio Di Rupo et la société civile belge à propos de l’affaire Belliraj. Une interpellation aux accents personnels…
Je me targue d’être un humaniste. Comme médecin, comme enseignant et aussi, bien entendu, comme président du CCOJB, tout dans ma vie a toujours été tourné vers l’autre. Mon beau-frère, le Dr Jo Wybran, assassiné il y a 25 ans sur le parking de l’hôpital Erasme, l’était aussi. En Belgique les enquêtes autour de ce que je considère comme le premier crime antisémite après la Seconde Guerre mondiale n’ont pas abouti. Belliraj, l’un des assassins, a été arrêté au Maroc. On sait depuis lors que ce Belgo-Marocain de nationalité a déclaré appartenir à l’organisation terroriste Abu Nidal et avoir constitué en Belgique une équipe de quelques personnes pour tuer notamment des Juifs. Il a aussi dit, selon ses propres termes, que le Dr Wybran avait été exécuté parce qu’il était juif et président du CCOJB. M. Belliraj a avoué être informateur de la Sûreté de l’Etat chargé d’informer sur les groupements terroristes…. Nous avons la certitude qu’il a fait ces aveux sans qu’on doive le soumettre à la torture.
Si j’en reparle, c’est parce qu’en juin, l’assassinat du Dr Wybran et de cinq autres personnes reviendra devant la justice belge. Le CCOJB intervient dans le procès aux côtés de la veuve du Dr Wybran, ma sœur, toujours très déterminée aussi dans la recherche de la vérité. Aujourd’hui, le parquet fédéral chargé de la lutte contre le terrorisme fait tout pour enterrer l’affaire. Il demande purement et simplement le classement des dossiers parce que les assassins seraient inconnus. Pas de débat, pas de procès, un mensonge et un déni en guise de vérité judiciaire… La raison d’Etat ? Nous nous insurgeons contre cette idée. Les assassins sont connus. Certains sont peut-être encore en Belgique. Nous refusons le déni et nous demandons justice.
Lors du dîner, Elio Di Rupo a annoncé qu’on allait faire justice à des rescapés de la Shoah, injustement oubliés parce qu’ils n’étaient pas Belges au bon moment…
L’annonce de ces mesures est importante pour les survivants de moins en moins nombreux. Cela leur donnera du baume au cœur car la Belgique les reconnaîtra enfin. Ce n’était pas assuré du tout alors que certains d’entre eux ont participé à la résistance au nazisme au nom de notre pays…
Vous entrez dans votre dernière année de présidence… Un peu tôt pour dresser le bilan ?
Je suis en tout cas heureux d’avoir pu montrer que le président du CCOJB peut être en même temps un homme immergé dans sa profession et pas nécessairement un responsable communautaire professionnel. J’ai la faiblesse de penser que la grande assistance à notre rencontre de mardi en était une sorte de reconnaissance…