Une affiche électorale du parti d'extrême droite AfD, le 28 août 2019 à Zehdenick, dans le Land allemand de Brandebourg

"Nous sommes le peuple!" Affiche électorale du parti d'extrême droite AfD, le 28 août 2019, à Zehdenick, dans le Land de Brandebourg

afp.com/John MACDOUGALL

"Maintenant, cela commence vraiment." Hier soir, 1er septembre, les leaders du parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD) n'ont cessé de marteler ce message après la diffusion des résultats des élections régionales en Saxe et en Brandebourg. Sans surprise, l'AfD a réalisé une percée historique dans ces deux Länder de l'est, avec, respectivement 27,5% et 23,5% des voix, soit des scores en progression de 18 et 11 points par rapport aux scrutins de 2014. Vainqueur incontestable, l'AfD reste cependant dans l'opposition. Elle n'a pas réussi son pari de devenir la première force politique dans ces deux régions, où elle n'avait aucune chance de gouverner voire de cogérer la région, faute d'alliés. Ce matin, Annegret Kramp-Karrenbauer ("AKK"), présidente des chrétiens-démocrates de la CDU, a une nouvelle fois exclu toute coopération avec ce parti.

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Dans ces Länder de l'ex-RDA de quelque 5,5 millions d'habitants, où les jeunes continuent d'émigrer vers l'ouest de l'Allemagne, la formation d'extrême droite surfe sur le sentiment de déclassement que vient renforcer la peur des immigrés arrivés en 2015 et 2016. Vingt-huit ans après la réunification du pays, plus d'un électeur sur deux (54% en Saxe et 51% dans le Brandebourg) estime que les habitants de l'est sont traités comme des "citoyens de seconde zone", selon un sondage de la chaîne de télévision ARD.

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"L'AfD a été habile en prônant une ''nouvelle révolution pacifique'', allusion à l'élan libérateur de 1989 en Allemagne de l'Est, souligne Patrick Moreau, chercheur au CNRS et à l'université de Strasbourg, spécialiste de l'extrême droite allemande. A l'image d'Andreas Kalbitz, son chef de file dans le Brandebourg, elle a promis d'achever cette révolution en corrigeant tout ce qui a été imposé de l'ouest, présenté comme un Etat totalitaire comparable à celui de la RDA finissante."

Réunion de néonazis

Voisine de la Pologne et de la République tchèque, la Saxe est aussi de longue date un bastion des mouvements les plus radicaux, à l'instar de la formation anti-islam Pegida, née à Dresde. En août et septembre 2018, à Chemnitz, près d'un millier d'extrémistes, dont certains le bras tendu, avaient défilé après le meurtre d'un Allemand pour lequel un Syrien a été condamné le 22 août dernier. A l'est, l'AfD est représentée par son courant le plus dur, baptisé l'Aile, dirigé par Björn Höcke, son leader en Thuringe, lequel avait déclaré, en 2017, que le monument érigé à Berlin en hommage aux victimes juives du IIIe Reich était "une honte au coeur de la capitale". Quant à Andreas Kalbitz, il a été accusé d'avoir participé à une réunion de néonazis à Athènes, en 2007. La révélation de son passé par la presse allemande n'a manifestement pas décontenancé les électeurs. Ces bons résultats renforcent les partisans de l'Aile dans la lutte interne qui se joue en coulisses pour prendre le contrôle du parti.

En face, les chrétiens-démocrates (CDU) et les sociaux-démocrates (SPD) ont sauvé les apparences. En net recul, ces deux partis conservent malgré tout leur première place, en Saxe pour les premiers, en Brandebourg pour les seconds. "Nous avons démenti les sondages, qui nous plaçaient en 4e position quelques jours avant le scrutin, a relevé le secrétaire général du SPD, Lars Klingbeil. C'est la preuve que la mobilisation a payé et un bon signe pour le SPD." Dans ce fief qu'il dirige depuis trente ans, le parti, en chute libre partout dans le pays, a perdu moins de voix qu'annoncé. Il devra cependant trouver de nouveaux alliés pour gouverner le Brandebourg, car son partenaire de gauche Die Linke, lui, dégringole de 8% - son pire résultat.

En Saxe, les chrétiens-démocrates s'en sortent mais ils ont, eux aussi, perdu leur majorité. Plutôt que de s'allier au SPD, comme à Berlin, ils pourraient privilégier des discussions avec les Verts, qui sont les autres vainqueurs de ces élections. Les écologistes confirment leur envol des derniers mois, même à l'Est où leur ancrage est plus faible qu'à l'Ouest. Leurs scores - 8,6% en Saxe et 10,8% en Brandebourg - se révèlent toutefois inférieurs à leurs espérances. "La seule question qui prévalait à la fin de la campagne était de savoir si l'AfD allait devenir la première force", a souligné le leader local des Verts.

Répit pour la grande coalition

Une nouvelle fois, CDU et SPD ressortent de ces élections régionales avec un oeil au beurre noir, a commenté la présentatrice de la chaîne de télévision ARD. Les mauvais résultats de la CDU en Hesse, en octobre 2018, avaient conduit Angela Merkel à quitter la présidence du parti. Ceux d'hier ne confortent pas celle qui lui a succédé, Annegret Kramp-Karrenbauer, déjà critiquée pour sa mauvaise campagne aux européennes de mai. Nommée ministre de la Défense, après le départ d'Ursula von der Leyen pour Bruxelles, AKK devra rebondir si elle veut espérer succéder à Merkel à la chancellerie en 2021.

De son côté, le SPD a évité une nouvelle déroute qui aurait précipité la chute de la grande coalition, à Berlin. Un répit de courte durée, toutefois. Les partisans de l'aile gauche du parti, favorables à une cure d'opposition, ont rendez-vous au congrès de décembre, lequel doit décider si les sociaux-démocrates continuent l'aventure ou non. Auparavant, les quelque 400 000 adhérents devront élire leur nouvelle direction, après le départ d'Andrea Nahles, qui a suivi la déculottée des européennes.

Dans ce contexte plus que jamais fébrile pour la coalition d'Angela Merkel, l'AfD est en embuscade. "Le parti s'est mis en position d'attente, souligne Patrick Moreau. Ses très bons résultats bloquent le système politique. Ils vont forcer les partis de gouvernement à former localement des alliances contre nature. De ce chaos espéré, l'AfD cherchera à se présenter comme un facteur d'ordre." Date du prochain séisme : le 27 octobre, lors des prochaines élections régionales en Thuringe, troisième Land de l'est.

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