Connaissez-vous les Guerrilla Girls ? Depuis plus de trente ans, les membres de ce collectif féministe américain dénoncent à coups d'affiches, de tracts, de performances et de bouquins la sous-représentations des artistes féminines dans les grandes institutions. Elles ont reçu, en 2010, le Courage Award for the Arts 2010 décerné par l’artiste Yoko Ono.

Une action née à New York

Tout commence en 1985 à New York, à l'occasion d'une exposition au Museum of Modern Art, intitulée « An international survey of painting and sculpture » – comprendre « un aperçu international de la peinture et de la sculpture ». Sauf que l'aperçu, tout international soit-il, s'avère plutôt masculin, avec seulement 13 femmes sur les 169 artistes mis en avant.

Les femmes doivent-elles être nues pour rentrer au Metropolitan Museum ?

En réaction, se monte alors ce groupe de plasticiennes, qui va faire parler de lui pendant des années. En 1989 par exemple, elles créent une de leurs affiches les plus emblématiques, reprenant la Grande Odalisque d'Ingres, une femme nue allongée de dos, dont la tête a été remplacée par celle d'un gorille et barrée de cette question : « Les femmes doivent-elles être nues pour rentrer au Metropolitan Museum ? »

Des Guerrilla Girls à Hanovre, en Allemagne, en 2018

S'en suit ce chiffre, éloquent :

« Moins de 5% des artistes de la section Arts modernes sont des femmes, mais 85% des nus sont féminins. » Sauvagement placardé sur les bus et les murs new-yorkais, le poster fait scandale. Réactualisée en 2012, il annonce désormais que « moins de 4% des artistes de la section Arts modernes sont des femmes, mais 76% des nus sont féminins ». Belle évolution.

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Les avantages amers d'être une artiste

Si cette affiche est depuis passée à la postérité, les Guerrilla Girls ont aussi continué le combat. Elles réalisent par exemple ce tract listant avec ironie « les avantages à être une femme artiste » : « Travailler sans la pression du succès », « La conscience que ta carrière pourra prendre son essor à tes 80 ans » ou « Ne pas avoir les mains liées par un poste de professeur d’université  », entre autres.

« Nous avons toujours préféré le mode d'action dans la rue, rapide, à grande ampleur et à diffusion immédiate : coller des affiches, distribuer des tracts, accrocher des banderoles. La guérilla, donc. », résume l'une des membres aux Inrocks*.

Et ce, en restant toujours anonymes. Ainsi, lorsqu'elles apparaissent en public, les Guerrilla Girls revêtent un masque de gorille. Pourquoi ? « En fait, on a pensé à plein d’accessoires possibles, au masque de ski, au sac en papier, au collant, et puis une de nos membres a fait un lapsus en confondant guérilla et gorilla », explique au Monde** l'une des fondatrices, « Frida Kahlo ». Car, autre signe distinctif, les membres du collectif ne s'expriment que sous un pseudonyme faisant référence à une artiste décédée.

Désormais exposées

« Quand nous avons commencé, personne ne croyait ou ne voulait croire que le monde artistique était discriminatoire ou excluait des gens, rappelle la même « Frida Kahlo » à la RTBF***. Les historiens, critiques, curateurs, chercheurs ou même les activistes croyaient que le monde de l’art était une méritocratie. »

Mais, à force de coups d'éclats, le collectif a réussi à faire passer le message. Et a fini par être lui-même mis à l'honneur dans plusieurs institutions, galeries ou événements. Ainsi, en 2005, elles sont « invitées à participer à la Biennale de Venise dirigée, pour la première fois, par deux femmes : Rosa Martínez et María de Corral. Les Guerrilla Girls y exposent six affiches, dont deux d’entre elles dénoncent ouvertement le sexisme de la manifestation », rappelle Le Dictionnaire des créatrices.

Même si nous faisons des expositions, notre mode d'action reste l'action directe.

Comment vivent-elles le fait d'être désormais exposées dans les lieux qu'elles critiquent ? « C'est encore très étrange pour nous, mais nous avons conscience que de l'intérieur, depuis ces grands paquebots que sont les musées, où tout prend beaucoup de temps pour changer, des personnes engagées œuvrent aux mêmes causes que nous. Bien sûr, nous savons très bien que si nous sommes dans les collections, c'est aussi une volonté de récupération de la part des institutions. Même si nous faisons des expositions, notre mode d'action reste l'action
directe », réplique la co-fondatrice aux Inrocks. Car les Guerrilla Girls luttent, encore et toujours.

« Il n’y a pas assez de groupes marginalisés dans le monde artistique. Celui-ci est majoritairement blanc, hétérosexuel et masculin et nous avons réalisé que c’était une histoire très limitée de l’art. Je pense que tout le monde réalise aujourd’hui que l’histoire est très complexe, qu’elle change constamment. Les artistes féminins, de couleur ou LGBTQ ont toujours existé. Leur travail a besoin d’être vu, reconnu et inscrit dans l’histoire », insiste « Frida Kahlo » auprès de la RTBF.

Avant de rappeler que, selon le collectif, le monde de l'art, très dépendant de celui de l'argent aux États-Unis n'a pas beaucoup évolué. Les plasticiennes féministes centrent donc désormais leurs actions sur la corruption dans le monde artistique. La guérilla continue.

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* « Elles ont révolutionné l'art et le féminisme : entretien avec les Guerilla Girls », Les Inrocks, 08/09/2016

** « Les Guerrilla Girls à l’assaut du sexisme dans l’art », Le Monde, 16/11/2016

*** « Guerrilla Girls : le collectif féministe et anti-capitaliste débarque à Bruxelles », RTBF, 09/11/2018