"Papa, il a tué maman", "Elle le quitte, il la tue"... Depuis un an dans les rues de Paris et en Île-de-France, s'affichent en collages XXL ces phrases brutales. Ça a commencé mercredi 28 août 2019. La militante féministe et ancienne Femen Marguerite Stern avait lancé un appel à colleuses sur les réseaux sociaux.

Quarante femmes, des militantes rodées aux adolescentes touchées, s'étaient mobilisées deux jours plus tard pour une première action. Depuis, "l'après-midi on peint, la nuit on colle", expliquait Sophia.

"Elles nous manquent"

Mais avant, il y a eu l'étape de réflexion. "On réfléchit ensemble aux messages. Il faut faire très attention, il nous faut trouver les mots justes pour ne pas romantiser ou glamouriser ces féminicides", précisait Marguerite Stern à Marie Claire, lorsque nous l'avions interrogée en septembre dernier.

Chantal, 72 ans, tuée dans son sommeil par son mari

Il y a des slogans choc : "Naître femme tue", par exemple. Et puis ces phrases en mémoire des femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint. Factuelles et glaçantes. "Gaëlle, enceinte, poignardée par son ex", "Chantal, 72 ans, tuée dans son sommeil par son mari"...

"Peindre le nom de ces femmes, les manières barbares dont elles ont été assassinées, n'a pas le même effet sur nous que d'écrire des slogans plus généraux, avait réalisé Marguerite Stern. C'est pesant, j'espère que les passants ressentent aussi cela."

On passe nos journées au milieu des noms de ces femmes, de ce qui leur aient arrivé. Il commence à avoir de l'affect. Parfois, on a envie de pleurer.

Vidéo du jour

Au dessous de ces messages aux allures de titres froids de presse, "Elle nous manque" est rajouté dès les débuts du mouvement. Marguerite Stern l'expliquait : "On passe nos journées au milieu des noms de ces femmes, de ce qui leur aient arrivé. Il commence à y avoir de l'affect. Parfois, on a envie de pleurer. Oui, elles nous manquent. Elles avaient encore des choses à apporter à leur famille, à la société." Et d'ajouter : "Ce ne sont pas des chiffres, ce sont des vraies femmes qui manquent à leurs proches."

Certaines familles ont même écrit aux colleuses. La sœur d'Hélène Kahn, assassinée par son ex-compagnon le 22 mars 2017, leur a demandé si elles pouvaient coller en sa mémoire. "Nous l'avons soigneusement fait, avec une émotion particulière." Là encore en y ajoutant : "Elle nous manque."

Cette résurgence de l’action directe prend racine dans l'émergence de groupes féministes sur les réseaux sociaux, nés avec le hashtag #MeToo, en octobre 2017. Pour Alice Coffin, ils sont venus "compléter et donner une caisse de résonance à des actions qui existaient par ailleurs", expliquait-elle à Marie Claire l'été dernier. 

Sortir des réseaux sociaux

Maintenant, les activistes se retrouvent par-delà les réseaux sociaux. Elles ont été jusqu'à soixante à se réunir dans ce squat d'artistes, le Jardin d'Enfert, en août 2019.

Il n'y a pas de revendications dans nos messages, mais on veut voir les chiffres reculer. On veut arrêter de compter.

140 affiches avaient été collées en l'espace d'un mois. Le collectif improvisé espérait ainsi sensibiliser les passants, les alerter, au-delà des réseaux sociaux, espaces convaincus où la "cible est déjà militante", pour Marguerite Stern.

Elles comptaient aussi interpeller visuellement les élus politiques, alors que le barre symbolique des 100 féminicides avait été dépassée, en 2019, bien plus tôt dans l'année qu'en 2018. "Il n'y a pas de revendications dans nos messages, mais on veut voir les chiffres reculer. On veut arrêter de compter."

Pourquoi cette envie soudaine de passer à l’action ? Un "ras-le-bol" selon Mana, 25 ans, qui a rejoint les colleuses parisiennes en septembre 2019, après avoir fait le constat que "si on continue à rester sage, comme on nous l’a toujours demandé, les choses ne bougeront jamais".

Si on continue à rester sage, comme on nous l’a toujours demandé, les choses ne bougeront jamais

Pour Clivia Potot-Delmas, les collages de rue sont arrivés au bon moment : "Ce sont les colleuses qui m’ont fait passer à l’activisme, qui m’ont fait descendre dans la rue, racontait-elle à Marie Claire, non sans émotion. J’ai collé pour la première fois le 1er septembre 2019 et depuis, je n’ai pas arrêté".

"Si j’étais seule, ça ne fonctionnerait pas, racontait de son côté Mana, à Marie Claire, il y a quelques mois. Ces femmes m’ont donné le courage de crier et de faire partie d’un tout. À leurs côtés, ma voix est amplifiée."

Depuis, les collages féministes se sont répandus dans de nombreuses autres villes françaises, devenant un mouvement global. Au printemps, des collages écrits en Corse ont soutenu des manifestations de jeunes femmes corse contre les violences sexistes.

Polémique sur la place des femmes trans au sein des colleuses

Mais quelques mois après son lancement, le mouvement des Collages Féminicides Paris a été marqué par une dissension sur la place devant être accordée aux femmes trans, finissant par provoquer le départ de Marguerite Stern.

La polémique a notamment pris de l'ampleur lorsque des colleuses ont posé en faisant un doit d'honneur devant un collage disant "Des sisters [soeurs, ndr], pas des cisterfs", à Montpellier. Une photo partagée par Stern fin janvier 2020.

Il s'agit d'un jeu de mot entre le fait d'être cisgenre, c'est-à-dire, en adéquation avec le genre qui nous a été attribué à la naissance, et le terme péjoratif "Terf", désignant les féministes pour qui les femmes transgenres ne sont pas de "vraies femmes", voire, représentent une "menace" pour les combats féministes.

Le but de ce collage était de revendiquer l'inclusion des femmes trans au mouvement des colleuses. Ce qui n'était pas du goût de Marguerite Stern, y voyant un "dévoiement" de son idée initiale. "Elles viennent coloniser le débat féministe en ramenant tout à elles", avait critiqué la militante. 

Celle-ci est même allée jusqu'à dire : "Portez des robes, des talons et des perruques, maquillez vous, si vous voulez. Je n'irai pas crier à l'appropriation culturelle, mais ne venez pas dire que vous êtes des femmes, de la même façon que je n'aurais jamais l'indécence de brunir ma peau en déclarant que je suis noire."

Ses propos transphobes lui ont coûté sa place au sein des colleuses. "Il n’y a pas de différenciation à faire, les discriminations ont toujours été condamnées à Collages Paris. On est sur l’exclusion d’une partie des femmes de la lutte, la transphobie n’est pas un débat", avait déclaré en janvier Collages Féminicides Paris à propos de la prise de parole de Marguerite Stern, s'en désolidarisant.

On avait alors appris que Marguerite Stern avait en fait quitté le mouvement en septembre 2019, avant d'en être exclue officiellement à la suite de son thread transphobe de fin janvier 2020.

Le mouvement, sans leader, et qui se dit organisé "horizontalement", a à coeur, depuis, d'inclure les femmes trans à sa lutte. 

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"Le machisme tue toutes les 48h."

Alain Apaydin/ABACAPRESS.COM
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"Maguy, 52 ans, brûlée vive par son mari"

Alain Apaydin/ABACAPRESS.COM
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"Ministère du viol"

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"Si elle dort, c'est un viol"

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"Toi qui arraches nos messages : as-tu quelque chose à te reprocher ?"

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"Elle le quitte, il la tue."

Crédit photo : Pauline Makoveitchoux. 

 
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"11 août 2019. Dimitri tue Ophélie. Elle voulait le quitter."

Crédit photo : Pauline Makoveitchoux

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"4 plaintes avaient été déposées contre lui"

[Dossier] Le féminicide, un meurtre au-delà des violences conjugales - 87 articles à consulter

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