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En Algérie, les autorités multiplient les prétextes pour fermer les églises protestantes

L’Église protestante d’Algérie enregistre une série de fermetures de ses lieux de culte dans le pays. Ces actions ont d’abord touché la région d’Oran avant de s’étendre depuis quelques mois à la Kabylie
À l’intérieur d’une église protestante à Alger (AFP)
Par Nourredine Bessadi à TIZI-OUZOU, Algérie

Les autorités ont fermé cinq locaux servant de lieux de culte pour les protestants d’Algérie dans les wilayas de Béjaïa et de Tizi-Ouzou. Il s’agit plus exactement de trois églises à Ath Mellikeche, à Ighram, au village Colonel Amirouche (Béjaïa) et à Makouda et à Boudjima (Tizi-Ouzou).

L’Église protestante d’Algérie a exprimé « sa vive inquiétude devant la vague de fermetures de ses lieux de culte »

Les autorités ont également tenté dans un premier temps de fermer un lieu de culte à Ighzer Amokrane puis un autre à Akbou, toujours dans la région de Béjaïa, mais les fidèles chrétiens se sont interposés en occupant les lieux ; ce qui n’a pas empêché les gendarmes de revenir sur les lieux et de sceller la porte d’entrée de l’église de Ighzer Amokrane très tôt dans la matinée du 2 septembre.

L’élément chrétien comme exogène à la culture algérienne

Dans un communiqué rendu public le 19 août 2019, l’Église protestante d’Algérie (EPA) a tenu à exprimer « sa vive inquiétude devant la vague de fermetures de ses lieux de culte à laquelle elle est confrontée actuellement » et dénoncer « vigoureusement ces atteintes au droit de ses communautés à pratiquer leur culte, lequel droit est pourtant garanti par la Constitution algérienne dans son article 42 ».

Saleh Chellah, président de l’EPA, affirme à Middle East Eye qu’il y a une volonté manifeste de la part des autorités de s’attaquer aux églises protestantes « afin de les fermer progressivement une à une en essayant d’utiliser la carte de la non-conformité à la réglementation ».

https://www.facebook.com/ALGERIENSCHRETIENS/videos/2358900377551155/

Il considère notamment que « ce n’est pas du tout du ressort du wali [préfet] d’ordonner la fermeture d’un lieu de culte »,  avant d’ajouter que « les lieux de culte visés sont ceux de l’Église protestante car ce sont ceux-là même qui sont gérés et fréquentés par des Algérien(ne)s, contrairement aux lieux de culte catholiques, majoritairement fréquentés par des étrangers. »

En d’autres mots, les autorités semblent persister dans leur vision de l’élément chrétien comme exogène à la société et à la culture algériennes. 

« L’administration cherche depuis quelques mois à mettre l’Église protestante d’Algérie en difficulté en exigeant à chaque fois une batterie de documents parfois impossibles à établir »

- Mouloud Moulai, membre du conseil de l’Église protestante

Mouloud Moulai, membre du conseil de l’Église protestante de Boudjima, explique à MEE que la communauté chrétienne « subit une pression terrible depuis quelques semaines » suite à cette série de fermetures et tentatives de fermeture.

Il ajoute que « les fidèles sont maintenant déterminés à occuper tous les lieux de culte visés par une action de fermeture afin de faire obstacle à ce genre d’actions injustifiées ».  

C’est ainsi qu’ils se sont mobilisés en nombre contre la fermeture des églises d’Ighzer Amokrane et d’Akbou.

Prétexte administratif 

Pour lui, « le motif de la non-conformité des lieux de culte protestants à la réglementation est fallacieux car l’administration cherche depuis quelques mois à mettre l’Église protestante d’Algérie en difficulté en exigeant à chaque fois une batterie de documents parfois impossibles à établir ».

Il cite l’exemple d’un document se rapportant à la sécurité des lieux qu’on leur demande d’établir auprès de la protection civile alors que celle-ci affirme ne pas être compétente pour délivrer un tel document.

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En effet, d’une part, la loi de 2006 stipule qu’une permission doit être obtenue avant d’utiliser un bâtiment pour le culte non musulman et que ce culte ne peut être conduit que dans des bâtiments qui ont été spécifiquement désignés à cet effet. D’autre part, les autorités n’ont presque jamais répondu aux demandes d’autorisation des églises.

Selon l’EPA, ses dossiers « déposés par le passé auprès de la Direction de la réglementation de l’administration générale [DRAG] de Tizi Ouzou et de Béjaïa, conformément aux instructions du ministère de l’Intérieur, restent sans réponse. »

Les fidèles chrétiens affirment que les autorités ne font rien pour permettre aux communautés chrétiennes d’avoir un lieu adéquat pour leur pratique cultuelle.

Pratiquer le culte en l’absence de liberté religieuse

Ainsi, faute d’autorisation officielle, les chrétiens ont donc souvent été poussés à louer des locaux avant d’en informer les autorités.

Par ailleurs, les intimidations n’épargnent pas les propriétaires qui louent un bâtiment à une église, rendant la tâche de trouver un lieu pour l’exercice collectif du culte encore plus difficile pour les communautés chrétiennes.

« Ce n’est pas un hasard si ces intimidations qui visent plus particulièrement les églises protestantes en Kabylie coïncident avec le mouvement populaire »

- Mourad Fettous, chrétien de Béjaïa

En effet, des lois garantissent aux non-musulmans une pratique de leurs rites religieux dans les limites de certaines réglementations et la loi de 2006 interdit le prosélytisme visant des musulmans et ayant pour but leur conversion à un autre culte.

Tout le paradoxe réside dans le fait que bien que la Constitution algérienne garantisse le droit à la liberté de conscience et d’opinion, aucune mention de la liberté religieuse n’y est présente. 

Pourquoi cibler les églises en Kabylie ?

De son côté, Mourad Fettous, un fidèle chrétien de la région de Béjaïa, contacté par MEE, estime que cette série de fermetures n’est qu’une autre tentative de diversion de la part des autorités orchestrée dans un moment délicat.

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Selon lui, « après avoir tenté de jouer la carte identitaire linguistique et culturelle à travers l’emprisonnement des porteurs de drapeaux berbères, les autorités tentent actuellement la carte confessionnelle en s’attaquant aux lieux de culte chrétiens ».

Il affirme ainsi que « ce n’est pas du tout un hasard si ces intimidations qui visent plus particulièrement les églises protestantes en Kabylie coïncident avec le mouvement populaire en cours dans le pays ».

Au-delà des motivations profondes qui pourraient se cacher derrière cette vague de fermetures en ce moment précis, force est de constater qu’il s’agit là d’un sujet récurrent en Algérie, démontrant la difficulté qu’ont les gouvernements successifs à gérer la question de la pratique cultuelle non musulmane de manière dépassionnée, loin des débats stériles et des visées populistes.

De nombreux observateurs pensent ainsi que la loi du 20 mars 2006 visant à fixer « les conditions et règles d’exercice des cultes autres que musulman » est censée être appréhendée comme un cadre facilitateur et non pas restrictif pour les chrétien(ne)s d’Algérie.

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