DECHETSPourquoi l’idée d’une consigne pour les bouteilles en plastique passe mal

Tri des déchets : Pourquoi la consigne passe si mal auprès des maires et entreprises du recyclage ?

DECHETSC’est une mesure phare du projet de loi antigaspillage que prépare le gouvernement : réintroduire un système de consigne sur les bouteilles en plastique et canettes. Les risques ? Complexifier le tri et fragiliser les centres de tri, avancent les détracteurs.
Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • Des bouteilles payées quelques centimes de plus mais qu’on récupère en rapportant l’objet vide dans un point de collecte. Tel est le principe de la consigne que le gouvernement veut réintroduire sur les bouteilles en plastique et les canettes.
  • Les entreprises du recyclage et l’Association des maires de France y voient une erreur, au moment où elles ont beaucoup investi dans leurs centres de tri pour se préparer aux nouvelles consignes de tri, plus simples, qui doivent être généralisées d’ici à 2022.
  • Non seulement la consigne réintroduirait de la complexité, craignent-ils, mais elle reviendrait aussi à privatiser la gestion des déchets qui se vendent le mieux au profit des fabricants et distributeurs de boissons, en laissant tout le reste aux collectivités.

C’est l’un des derniers joyaux de Paprec, entreprise spécialisée dans la collecte et recyclage de déchets. A Chassieu, dans la banlieue lyonnaise, le groupe commence tout juste l’exploitation d’un centre de tri flambant neuf. Il prendra en charge 60.000 tonnes de déchets ménagers par an, dont 40.000 apportés par la métropole de Lyon. Sur les 11.000 m² du site, 184 machines et 31 agents de tri [pour l’instant] s’emploient pour trier les détritus, étape indispensable avant leur valorisation.

Coût de l’investissement : 27 millions d’euros. C’est loin d’être le seul centre de tri à être sorti de terre ou à avoir été modernisé depuis 2015. L’enjeu ? Préparer l’extension des consignes de tri, un nouveau système qui permet de jeter tous les emballages plastiques dans la poubelle jaune. Il doit être généralisé d’ici à 2022.

Jean-Luc Petithuguenin, président fondateur de Paprec, évalue à 2 milliards d’euros les investissements réalisés ces dernières années par les collectivités locales et les entreprises du recyclage – parfois choisies par les premières pour assurer la collecte et le tri des déchet – pour se mettre à la page.

La consigne en mesure phare du plan anti-gaspillage

Tout ça pour rien ? C’est la crainte aujourd’hui de la Federec, fédération des entreprises du recyclage, et de l’Association des maires de France. Car, en parallèle, le gouvernement songe à réintroduire un système de consigne en France. C’est l’une des mesures phares du projet de loi anti-gaspillage, piloté par la secrétaire d’État Brune Poirson et discuté au parlement à partir de fin septembre. Le principe ? Le consommateur paye quelques centimes d’euros de plus sa bouteille, somme qu’il récupérerait ensuite en rapportant le contenant vide dans un point de collecte dédié. Un tel système a déjà existé en France, sur les bouteilles en verre, avant de tomber en désuétude dans les années 1990. Mais pas en Allemagne. Le système y perdure, notamment sur les bouteilles en plastique et les canettes, et expliquerait le très bon taux de collecte pour recyclage des emballages boissons outre-Rhin (90 %). La France, elle, patine à 57 %.

Seule certitude ou presque : le retour de la consigne en France concernera au minimum les bouteilles plastiques et les canettes. Pour le reste, « tout est encore ouvert », indique-t-on au ministère de la Transition écologique. D’autres déchets seront-ils concernés [les piles sont évoquées au ministère…] ? Qui aura la gestion de ces quelques centimes de caution ? A qui appartiendront les emballages déconsignés ? Qui paiera le déploiement des dispositifs de consigne ? Mi-juin, Brune Poirson a lancé un comité de pilotage chargé de répondre à ces questions. Les pistes sont attendues pour mi-septembre.

Changer les règles à la mi-temps ?

Mais Jean-Luc Petithuguenin dit déjà connaître le fin de mot de l’histoire. « Les machines de déconsignation seront majoritairement installées sur les parkings des supermarchés, commence-t-il. C’est une raison de plus d’aller y faire ses courses, la grande distribution se frotte les mains. Ensuite, les bouteilles de plastique ainsi collectées n’auront plus besoin de passer par les centres de tri, puisque déjà triées. Les fabricants et distributeurs de la boisson n’auront plus qu’à récupérer ces flux pour les acheminer directement dans leurs usines de recyclage [Coca-Cola France a par exemple une usine de recyclage en Côte-d’Or], soit dans ceux des professionnels du secteur, comme Paprec. Mais lorsque nous travaillons aujourd’hui avec des centaines de collectivités locales, nous n’aurons demain plus qu’une poignée de clients, à savoir ces industriels de la boisson. C’est une position bien inconfortable. »

L’instauration d’une consigne sur les bouteilles en plastique et les canettes reviendrait à changer les règles du jeu à la mi-temps, fulminent les opposants. « Depuis trente ans, la France a pris le contre-pied des autres pays européens sur la récupération des emballages en mettant en place des collectes en porte à porte, rappelle Nicolas Soret, président de la commission « déchets » de l’ Association des maires de France (AMF). Ce modèle a été imposé aux collectivités locales à qui on a demandé d’assurer ces collectes, d’investir dans des centres de tri et/ou de passer des contrats avec des entreprises spécialisées. »

Retirer les déchets les plus rémunérateurs aux collectivités ?

Un retour de la consigne sur les bouteilles en plastique et les canettes reviendrait donc à retirer ces flux de déchets à ces collectivités et entreprises. Pas de n’importe lesquels : ceux qui rapportent le plus aujourd’hui. « Une tonne de PET clair – le plastique d’une bouteille d’eau classique – se vend aujourd’hui 350 euros, rappelle Stéphane Leterrier, directeur général adjoint du groupe Paprec. Seul l’aluminium fait mieux. A l’inverse, le papier et le carton s’effondrent, et les prix sont proches d’être négatif pour d’autres flux comme le PET opaque [utilisé dans les bouteilles de lait], les films plastiques… ».

C’est un autre grief de l’AMF et de la Federec contre la consigne. « On va privatiser les seuls plastiques qui rapportent pour ne laisser aux collectivités que ceux qui coûtent, s’alarme Nicolas Soret. Or, les collectivités ne peuvent financer la collecte et le tri de tous les déchets ménagers seulement parce qu’elles peuvent compter sur ces déchets rémunérateurs. »

« Rien n’a été tranché encore »

Dans l’entourage de Brune Poirson, on s’étonne de ces levées de boucliers à « un moment où rien n’est encore tranché sur ce dossier ». « Le scénario qu’évoque Jean-Luc Petithuguenin est celui proposé par les industriels de la boisson, précise-t-on. En aucun cas, il est celui du gouvernement. » A l’Hôtel de Roquelaure, on reste confiant sur la possibilité de trouver « un chemin qui contenterait toutes les parties et permettrait d’améliorer la collecte et le tri des déchets en France. »

Jean-Luc Petithuguenin a des doutes… Tant sur la possibilité d’un terrain d’entente que sur la perspective d’améliorer le geste de tri en France. « Au contraire, la consigne cassera le principe d’un geste citoyen, gratuit, pour le réduire à un échange monétaire », craint la fédération des entreprises du recyclage. Le risque ? « Que les gens apportent une plus grande attention au tri des bouteilles plastiques mais relâchent leurs efforts sur tout le reste », poursuit Stéphane Leterrier.

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« Donner le temps à l’extension des consignes de tri de porter ses fruits »

En premier lieu, Nicolas Soret demande qu’on laisse au moins le temps à l’extension des consignes de tri de porter ses fruits. « A lui seul, ce nouveau système, qui répond à la nécessité de simplifier le geste du tri en France, permettrait d’arriver à ce taux de 90 % de bouteilles collectées en vue d’être recyclées, parie-t-il. L’urgence est là. « Dire que seules 57 % de bouteilles sont aujourd’hui recyclées en France ne veut pas dire que les 43 % restant partent à la mer. Elles atterrissent dans la mauvaise poubelle, ce qui empêche leur recyclage matière [en faire de nouvelle bouteille] mais permet l’incinération [valorisation en énergie]. » Les autres plastiques – barquettes, pots de yaourts, films plastiques….- 700.000 tonnes de déchets par an- « ne sont recyclés qu’à 4 % », rappelle la Federec.

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