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À Grenoble, pour moins payer, les habitants devront moins jeter

En 2022, les poubelles des Grenoblois seront pucées et les bennes dotées d’un lecteur afin que la taxe d’enlèvement des ordures ménagères soit allégée pour ceux qui jettent moins. Une incitation financière à la réduction des déchets inédite à l’échelle d’une métropole.

Grenoble est en train de franchir un pas décisif dans la remise à plat de la collecte et du traitement de ses déchets. Les services techniques de Grenoble-Alpes Métropole instaurent une taxe d’enlèvement des ordures ménagères incitative (TEOMI). La nouvelle taxe prend en compte le nombre de levées des poubelles grises, dans lesquelles se retrouvent les ordures ménagères résiduelles, celles qui n’ont pas vocation à être triées.

Objectif ? Que ceux qui trient mieux payent moins. Ce qui se met en place à Grenoble est observé de très près par le petit monde français des déchets. « C’est la première fois qu’une taxe incitative concerne autant d’habitants [450.000 personnes dans 49 communes], qui plus est dans un habitat avec une majorité d’immeubles, ce qui ne facilite pas la tâche », commente Alexandra Gentric, chargée du suivi des projets de tarification incitative à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe).

Le dispositif, plus juste socialement et plus efficace écologiquement que la taxe classique, est peu utilisé

La possibilité d’introduire une part incitative dans la taxe d’enlèvement des ordures ménagères n’est pas nouvelle. Elle date de 2013, suite à des engagements pris lors de la loi dite « Grenelle 2 ». Mais ce dispositif, à la fois plus juste socialement et plus efficace écologiquement que la taxe classique reste peu utilisé. « À peine 10 % des collectivités ont recours à une incitation financière. C’est dire combien il est important qu’une grande ville comme Grenoble donne l’exemple », insiste-t-elle. 

Si les collectivités hésitent à s’engager dans la mise en place d’une TEOMI, c’est parce que le déploiement d’un tel dispositif est complexe, long et coûteux. Il nécessite avant tout une forte volonté politique. « Un habitant produit en moyenne 193 kg d’ordures ménagères résiduelles par an [contre, tout de même, 270 à l’échelle nationale, selon les chiffres de l’Ademe de 2013]. Nous sommes loin de nos attentes. L’objectif du schéma directeur 2020-2030 est de diminuer de moitié le volume de ces déchets d’ici 2030 et de valoriser les deux tiers de l’ensemble des déchets, toutes poubelles confondues », indique Georges Oudjaoudi.

La taxe incitative concernera 450.000 personnes dans 49 communes.

Vice-président délégué à la collecte et à la valorisation des déchets de Grenoble — Alpes Métropole (EELV), cet ancien militant de l’association Objectif zéro déchet est l’homme orchestre du nouveau plan, qui coûtera au total la bagatelle de 238 millions d’euros. En ligne de mire : une meilleure réduction des déchets à la source, un meilleur tri avec la construction d’une usine capable de mieux séparer les flux et de mieux les traiter, ainsi que la modernisation des déchèteries et de l’unité de compostage — qui accueillera en outre une activité de méthanisation. Sans oublier, bien sûr, la taxe incitative en cours de déploiement.

Chaque poubelle sera équipée d’une puce électronique et chaque benne d’un lecteur

« Cette incitation fiscale est au cœur du dispositif. C’est le principal levier pour diminuer le volume des déchets et pour nos concitoyens, c’est l’élément le plus visible de notre nouvelle politique car il les concerne directement », poursuit l’élu.
Le principe du dispositif est simple. Pour comptabiliser le nombre de levées, il faut équiper chaque poubelle d’une puce électronique et chaque benne à ordures d’un lecteur et d’une antenne. À chaque fois qu’une poubelle bascule, le numéro du bac ainsi que la date et l’heure du prélèvement sont transmises. « Seuls les déchets ultimes sont concernés. Les données sont récupérées par le logiciel que nous déployons avec les services techniques de Grenoble », explique René Jacob, fondateur de Gesbac environnement, chargé de la gestion informatique de la collecte des déchets. Ce logiciel est le cerveau de l’opération. « Il est interfacé avec le fichiers des impôts locaux. Chaque année, ceux-ci adressent le montant de leur taxe aux habitants. Lorsqu’il s’agit d’un immeuble collectif, celle-ci est répartie en fonction de la valeur locative de l’appartement », explique-t-il.

Le montant de la taxe est ensuite porté sur la taxe foncière payée chaque année. Les seules données récupérées dans le logiciel sont l’adresse des gens et le volume des déchets. « La TEOMI n’est pas plus "intrusive" qu’une facture d’eau ou d’électricité. Les collectivités qui la mettent en place, ainsi que tous les acteurs concernés, sont d’ailleurs soumis au nouveau règlement européen pour la protection des données personnelles (RGPD) », rassure Alexandra Gentric.

Si le principe de la taxe incitative est simple, sa mise en œuvre est par contre longue. Grenoble-Alpes Métropole devra badger 150 à 180.000 bacs et équiper de lecteurs et d’antennes 80 camions-poubelles ! « Le déploiement a démarré en novembre 2018. Il se fait par tranches de 50.000 habitants tous les six mois pour que cette taxe soit payée à partir de 2022. Nous expliquons aux habitants l’intérêt de mettre en place cette incitation et nous les accompagnons pour qu’ils s’approprient les gestes nécessaires. Il faut que la nouvelle taxe soit perçue comme un élément d’incitation et non comme une sanction », insiste Georges Oudjaoudi.

La nouvelle taxe incitative prend en compte le nombre de levées des poubelles.

La part incitative fera pourtant des gagnants et des perdants. « Si la taxe d’enlèvement des ordures ménagères d’un foyer est de 100 euros, avec une plage d’incitation de 30 %, la facturation sera dans une fourchette qui va de 85 à 115 euros », explique l’élu. La délibération qui fixera les nouveaux tarifs ne sera prise que fin 2020 ou début 2021.

« Il y a aujourd’hui un large consensus sur le besoin de mieux traiter les déchets »

« Nous développons une application qui permettra aux habitants de suivre l’évolution de leurs levées de bacs. Nous comptons sur cette étape pédagogique pour que les Grenoblois se familiarisent avec leurs propres données et pour que les élus de la métropole disposent d’éléments objectifs pour trancher la modalité de facturation », explique encore le vice-président.

En remettant à plat leur politique de déchets, le maire de Grenoble Éric Piolle et son équipe prennent-ils des risques alors que se profilent les élections municipales de 2020 ? Toucher à la poubelle des gens est un sujet sensible. Ceux qui paieront plus cher seront forcément mécontents. Réduire le volume des déchets change également les habitudes. Il y aura notamment une diminution de la fréquence de collecte, et cela peut créer de l’incompréhension, voire du ressentiment.

« L’incitation fiscale est le principal levier pour diminuer le volume des déchets. »

Les adversaires politiques de l’actuelle majorité essaieront peut-être de s’engouffrer dans la brèche. Mais ce n’est pas sur le schéma directeur déchets 2020-2030 que se joueront les prochaines élections. « Il y a aujourd’hui un large consensus sur le besoin de mieux traiter les déchets », relève Alexandra Gentric, de l’Ademe. 

Les militants les plus engagés dans la réduction des déchets la trouvent insuffisante mais la soutiennent. Selon Robin Cordella, membre de groupe grenoblois de l’association Zero Waste, « c’est positif, mais les gens ne sont pas suffisamment motivés pour réduire le volume de leurs emballages, notamment ceux en plastique qui posent le plus de problèmes. Il faut aller plus loin, en développant les ressourceries et en privilégiant les produits locaux, plus accessibles au vrac via les réseaux de vente directe ».

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