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Le burn-out des sportifs, mot nouveau pour mal ancien

Là où leurs prédécesseurs évoquaient une «fatigue mentale», une «méforme», les sportifs actuels n’ont plus peur de parler de dépression. Un bon début pour traiter de front ce problème, qui peut aussi être l’occasion d’une remise à plat des objectifs et de la motivation

Le nageur Michael Phelps, 23 médailles d’or aux Jeux olympiques, a reconnu en 2017 souffrir de dépression.
Le nageur Michael Phelps, 23 médailles d’or aux Jeux olympiques, a reconnu en 2017 souffrir de dépression.

Ancien capitaine de l'équipe de Suisse de football, docteur en psychologie et psychothérapeute, Lucio Bizzini a créé le premier syndicat suisse des joueurs de football, introduit en équipe nationale l'approche psychologique des matchs, et co-fondé l’Association suisse de psychothérapie cognitive. Il intervient régulièrement dans «Le Temps» sur le sport

Ces dernières années, de nombreux témoignages ont fait part de dépression chez les athlètes ou – le terme est moins connoté négativement – de «sportifs en burn-out». La lecture de ces récits révèle plusieurs facteurs responsables: vulnérabilité personnelle, histoires de vie difficiles, frustrations accumulées, retour de blessures, surentraînement, stress lié aux exigences du milieu sportif. Le burn-out sportif s’inscrit dans un contexte socioprofessionnel plus large, incluant l’âge, l’intégration, le niveau éducationnel, la vie personnelle.

En 2015, une enquête suisse sur la santé a montré que, sur une période d’un an, 5,2% de la population de notre pays souffrait d’une dépression majeure. Le risque d’être atteint d’un trouble de l’humeur au moins une fois au cours de son existence est de l’ordre de 20%. Une autre étude, allemande, réalisée sur 2000 sportifs en activité, a montré moins de 1% de cas de dépression majeure pour les sportifs contre 2,6% de cas dans la population normale.

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Aujourd’hui, les témoignages d’athlètes déprimés ou épuisés, se sentant inefficaces, démotivés, ayant perdu toute confiance en eux sont relativement fréquents. Ces situations ont toujours existé dans le sport de haut niveau mais, jusqu’à il y a quelques années, on préférait parler de méforme, de fatigue mentale plutôt que de dépression. Or, tous les experts le disent, la personne déprimée qui reconnaît l’être accède à une démarche de soin dont l’efficacité a été largement montrée à ce jour. De ce point de vue, l’apparition de ces témoignages dans la presse est un facteur positif.

Tous ceux que l’on perd en route

Ce burn-out sportif est décrit selon trois dimensions: (a) l’épuisement émotionnel et/ou mental et physique, un sentiment de fatigue émotionnelle et physique provenant des demandes associées à l’entraînement et à la compétition, (b) le sentiment de diminution de l’accomplissement, caractérisé par un sentiment d’inefficacité et la tendance à s’évaluer négativement, et (c) la dévalorisation du sport définie comme une attitude négative, détachée vis-à-vis de la pratique, se traduisant par un manque d’intérêt à propos du sport et de la performance (Isoard-Gautheur et al, 2016).

Dans une société où l’aspiration à la réussite personnelle et économique est à son apogée (même si quelques signes de ralentissement sont à signaler chez les nouvelles générations), ce phénomène est facilement explicable, mais son ampleur n’est pas simple à mesurer. En effet, les sportifs les plus sujets à cet épuisement sont souvent des jeunes abandonnant la compétition en cours de route ou des athlètes en fin de carrière; dans les deux cas, on perd facilement leurs traces et ils ne sont pas recensés.

L’athlète en surentraînement a tendance à augmenter la charge de l’entraînement pour compenser la baisse de performance; l’athlète en burn-out vit au contraire un véritable dégoût de la compétition, de l’entraînement

En fait, il serait intéressant de savoir ce que ces abandons sportifs précoces ou tardifs ont engendré comme difficultés. Mais aussi ce que ce nouveau départ dans la vie sans la contrainte de l’entraînement intensif précoce leur a rapporté et permis. Ce qui est sûr, c’est que le suivi médical et psychologique se révèle indispensable lors de ces abandons forcés. Et il me semble que de ce point de vue les progrès sont tangibles.

Rééquilibrer les motivations

La trajectoire du sportif d’élite est très souvent caractérisée par des moments de doute, de ras-le-bol ou de démoralisation. Ces sentiments «négatifs» font partie de son vécu, comme les attitudes «positives» telles que la rage de vaincre, la focalisation sur les objectifs et la quête de la victoire. Un cocktail de réalisme et de capacité de résilience qui forge le champion. Celui-ci n’est pas un surhomme mais un individu qui sait intégrer forces et limites et qui s’entoure de personnes lui rappelant qu’il existe aussi un monde au-delà de la performance sportive.

Témoin privilégié de ces sportifs, Jean-Jacques Menuet, médecin d’une équipe de cyclisme, le souligne: «Je pense que la fragilité est inhérente au haut niveau. Comme un chanteur, un acteur, un peintre, ils ne sont pas si solides que ça, mais la fragilité émotionnelle est une des clés de la réussite.»

Le phénomène du surentraînement s’apparente au burn-out par la chute des performances mais il présente une différence significative: l’athlète en surentraînement a tendance à augmenter la charge de l’entraînement pour compenser la baisse de performance; l’athlète en burn-out vit au contraire un véritable dégoût de la compétition, de l’entraînement, de son sport et, dans les cas les plus extrêmes, trouvera son salut dans l’abandon de la compétition. Dans ce cas, métaphoriquement, il a brûlé toutes les réserves (le terme de burn out tire son origine des avions en panne de carburant). Encore une fois, ici, l’entourage de l’athlète lui permettra (ou pas) de différencier les deux syndromes.

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Lorsque je travaillais comme psychologue avec des sportifs en difficulté, la question de la motivation à la pratique m’a toujours paru centrale pour prévenir le burn-out. Quelles motivations intrinsèques et quelles motivations extrinsèques soutiennent leur pratique sportive? Quel équilibre y a-t-il entre les deux? Il est évident que si les motivations intrinsèques (plaisir de la pratique, désir de progresser, envie d’apprendre) sont plus investies que les motivations extrinsèques (faire plaisir aux autres, gagner de l’argent, acquérir ou sauvegarder une notoriété), le chemin de l’entraînement et de la réussite en compétition est tout tracé.

Le constat contraire nécessite de réajuster les motivations internes: redonner du sens à son engagement sportif, viser des objectifs sportifs élevés, apprécier sa vie d’athlète et la dureté des entraînements. Ce travail s’accomplit en diminuant la centration sur les éléments extérieurs: importance de la presse, recherche de l’approbation des autres, plaintes vis-à-vis d’un entraîneur jugé peu compétent ou partial. L’équilibre motivationnel retrouvé permet à l’athlète de se mettre à l’abri du danger de l’épuisement.

Une chance à saisir

Le burn-out fait partie des problématiques du monde sportif, qui en compte de nombreuses autres. Les athlètes sont tentés de recourir aux substances réduisant la douleur physique et morale, ils sont par ailleurs confrontés à l’inévitable transition de l’après-carrière ou encore à la perte de leur statut d’excellence. La résonance médiatique aujourd’hui valorise l’athlète mais, à travers l’oubli, elle peut aussi blesser son ego. A cet égard, la fin d’une carrière se situant disons à 35 ans provoque chez l’athlète une profonde remise en question.

Mon collègue et ami Jean-Christophe Seznec, ancien psychologue des équipes de cyclisme, souligne ce passage délicat: «L’enjeu pour l’homme, c’est d’apprendre à être. Ce n’est pas parce que l’on sait faire que l’on sait être. A la fin d’une carrière, on se retrouve avec les mêmes questions existentielles sans avoir franchi les mêmes étapes que les autres. Il faut imaginer la violence de l’arrêt. Vous avez travaillé pendant des années pour un objectif, avec un entourage dévoué et omniprésent, et vous devenez quoi? Gardien de stade, maître-nageur?»

Cette période de doutes et de fragilité peut toutefois représenter une chance pour ajuster ses motivations, changer d’environnement, travailler différemment, élargir ses intérêts. Dans toute carrière professionnelle et pas seulement sportive, ce moment de flottement est dans la plupart des cas synonyme de croissance, de prise de conscience et de maturité. Dans le cas du sport de haut niveau, il donne accès au dépassement de soi – comme le préconise la devise Citius, Altius, Fortius [Plus vite, plus haut, plus fort] – et à l’assurance combative sereine, un état psychique proche de «la zone» ou de «l’état de grâce», éléments essentiels du succès sportif.

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