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Chronique

Aux origines de la colère des peuples

LE CERCLE - Contrairement à ce que prétendent beaucoup d'analyses, ça n'est pas le seul désarroi économique qui conduit les individus à protester contre le système en place. Augustin Landier et David Thesmar expliquent que nous faisons face à un phénomène plus grave, que l'on peut qualifier de crise de civilisation. Pour y répondre, il faut redonner aux individus la maîtrise de leur destin.

Une manifestation de « gilets jaunes » à Paris, sur les Champs-Elysées, le 23 février dernier.
Une manifestation de « gilets jaunes » à Paris, sur les Champs-Elysées, le 23 février dernier. (Kamil Zignioglu/AP/Sipa)

Par Augustin Landier (professeur à HEC), David Thesmar (professeur au MIT)

Publié le 6 sept. 2019 à 08:36

Des « gilets jaunes » au Brexit, de l'indépendantisme catalan à l'élection de Donald Trump, en 2016, la grande question que la dernière décennie pose aux sciences sociales est celle de l'origine des colères collectives. Politologues, économistes et sociologues livrent en série des ouvrages sur le rejet du système et la vague populiste. On peut résumer les idées qui émergent en deux grandes visions.

Désarroi financier

La première consiste à maintenir une grille de décryptage purement économique de la colère : c'est le désarroi financier qui conduit les individus à protester contre le système en place. Une multitude de bons articles tombent dans cette catégorie. Le vote pour Trump est corrélé à l'exposition de l'économie locale à la concurrence chinoise. De même, le vote pour l'extrême droite en Hongrie est lié au taux de banqueroute des ménages, étranglés par leurs prêts immobiliers en devise étrangère. La percée du Front national en 2012 apparaît plus nette dans les départements frappés par la désindustrialisation.

Au fond, cette vision purement économique de la fracture sociale est la plus optimiste. Il suffirait de redistribuer davantage vers les populations les plus touchées par les crises et les transformations de l'économie, et le problème serait réglé. Si elle a clairement un certain pouvoir explicatif, cette interprétation purement économique des colères collectives n'explique qu'une petite partie du phénomène.

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Solitude des individus et réseaux sociaux

La seconde approche quitte résolument le champ de l'économie pour s'interroger sur les aspects civilisationnels de la crise, qui ne se régleront pas juste par la fiscalité et la redistribution. C'est dans cette catégorie que tombe l'excellent livre d'Algan, Beasley, Cohen et Foucault sur les origines du populisme. La marque de l'époque, c'est la grande solitude d'individus dont les relations sont désormais intermédiées par les écrans. Au travail comme dans les loisirs, les lieux de socialisation deviennent rares. La cellule familiale se dissout. Cette érosion du capital social, ajoutée à la diversité culturelle, économique, religieuse rend plus difficile la fabrication d'un consensus national.

Certaines études mettent aussi en exergue l'importance des réseaux sociaux dans les révoltes modernes : ceux-ci facilitent la coordination et l'agilité des manifestants. Le pouvoir de négociation de la foule face aux forces de l'ordre a augmenté : le feu de la colère est plus facile à allumer qu'autrefois. La bonne information comme la mauvaise rumeur circulent sans entrave, amplifiant les biais de perception documentés par les psychologues.

Un acte de décentralisation

Le gouvernement français a très bien compris qu'il y avait derrière la crise des « gilets jaunes » une crise de civilisation en plus d'un malaise économique. Il a de fait choisi de répondre sur les deux fronts : à coups de dizaines de milliards mais aussi de débat national.

Il faut transformer la France en Etat quasi fédéral.

Mais quels moyens le gouvernement doit-il désormais déployer pour retisser le lien social local ? Les réponses centralisatrices (du type de l'école de Jules Ferry) n'ont aujourd'hui aucune chance de réussir : les individus veulent se réapproprier leur destin, et non se le faire dicter. La réponse, mais elle n'est malheureusement pas dans l'ADN jacobin du gouvernement, serait une décentralisation véritablement ambitieuse, qui ferait de la France un quasi - Etat fédéral. Cela implique bien sûr un transfert très important de ressources fiscales (pourquoi pas un impôt sur le revenu régional ?) et une forte responsabilisation financière des élus locaux. Mais tant que les gens seront dépossédés du pouvoir de changer eux-mêmes la vie de leur voisinage, l'air du temps restera inflammable.

Augustin Landier est professeur à HEC. David Thesmar est professeur au MIT.

Augustin Landier et David Thesmar

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