Le vrai visage de Matteo Salvini

Comment un jeune homme pro-cannabis et tenté par le communisme est-il devenu le ministre de l’intérieur le plus xénophobe d’Italie depuis la Libération  ? Richard Heuzé, qui publie « Matteo Salvini, l’homme qui fait peur à l’Europe », a mené l’enquête.
Matteo Salvini  le vrai visage du ministre italien
Photoshot/ABACA

I. Marine Le Pen en extase

Matteo Salvini me l’avait dit clairement dès 2014 : « Mes idées convergent à 99 % avec celles de Marine Le Pen. » Il avait poursuivi : « Nous avons décidé d’engager une bataille commune contre les deux plus grands dangers qui nous menacent : l’euro et l’immigration. » Sept mois plus tard, il était accueilli avec chaleur au congrès du Front national qui se tenait à Lyon. « Il me plonge dans l’extase », déclarait sans rire Marine Le Pen, séduite par son T-shirt floqué du slogan « basta euro » (l’euro, ça suffit).

En 2018, les deux formations décident de faire campagne ensemble pour les européennes. Le 10 octobre, lors d’une conférence commune à Rome, Matteo Salvini ouvre les débats en parlant du « moment historique » qui attend l’Europe en mai 2019. Il annonce une « révolution pacifique qui permettra de répondre au carnage de la mondialisation, au désastre de la concurrence sauvage et mettra fin à l’ultralibéralisme qui ruine nos structures sociales et prive nos entreprises de défense face à l’invasion chinoise ». De son côté, Marine Le Pen critique sans ménagement une Europe qui « s’est construite sur la négation des peuples, une politique agricole sans discernement qui permet d’importer des productions agricoles et qui ruine notre agriculture ». Tous deux se promettent de « redonner sang et âme au rêve européen ».

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Cimaglia Fabio/La Presse/ABACA

On s’attendait à d’autres meetings communs. Il n’y en a pas eu. Chacun était trop occupé par sa propre campagne. En outre, une sourde rivalité est née pour la direction du mouvement souverainiste que Matteo Salvini avait lancé au cours de l’été 2018, mais que revendiquait aussi Marine Le Pen. Il faudra attendre le 18 mai 2019, à une semaine du scrutin, pour que les deux leaders se retrouvent à Milan, devant le duomo (la cathé­drale), au pied de la Madonnina, la Vierge dorée qui est le symbole de la cité lombarde. Très en verve, Marine Le Pen parle d’un « moment historique » : « Vous pourrez dire à vos enfants : “J’y étais” », lance-t-elle aux quelque 30 000 militants, dans leur grande majorité des partisans de la Ligue, rassemblés devant le podium. J’avais eu l’occasion de lui parler quelques instants après le meeting. Il ne faisait aucun doute à ses yeux que les souverainistes « remporteraient la victoire » le 26 mai. Même certitude de Matteo Salvini : brandissant un chapelet de la main droite en direction de la Madonnina, il avait invoqué sa bienfaisance. Il cherchait surtout à se défendre de la dérive néo­fasciste qu’on lui prêtait : « Ici, il n’y a pas de fascistes. Ce n’est pas vrai que je suis d’extrême droite. Les extrémistes se trouvent à Bruxelles et ont gouverné pendant vingt ans en nous imposant la précarité. »

Aujourd’hui, on peut estimer que la démons­tra­tion souverainiste de Milan a fait long feu. Ni le hongrois Viktor Orban ni les ultra-conservateurs polo­nais, pourtant assidûment courtisés par Matteo Salvini, n’étaient présents. Ils n’avaient pas non plus envoyé de messages de soutien. Quant au Parti de la liberté autrichien (FPÖ), le député européen Georg Mayer a remplacé au pied levé la tête de liste retenue à Vienne par le scandale du vice-chancelier d’extrême droite, Heinz-Christian Strache, après la publication d’une vidéo le montrant en train de négocier, à Ibiza, une aide finan­cière pour son parti en échange de marchés publics et de concessions en faveur d’un oligarque russe.

La ville de Milan, gouvernée par un maire du Parti démocrate, Giuseppe Sala, aux ambitions nationales, ne pouvait pas rester indifférente. De nombreux habitants ont exprimé leur réprobation avec humour et créativité. Les draps ont garni les balcons avec des mots d’ordre écrits en grandes lettres : « Tu n’es pas le bienvenu » ; « Milan rejette Salvini et les souverainistes » ; « Jamais avec Salvini » ; « Più gattini, meno Salvini » (plus de chatons, moins de Salvini). Un Zorro s’est présenté au balcon d’un grand hôtel donnant sur la place de la cathédrale pour déployer une immense banderole : « Restons humains. » Le slogan le plus remarqué : « Plus de ponts, moins de murs. »

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Cavicchi Stefano/La Presse/ABACA

II. Une jeunesse identitaire

Salvini est né le 9 mars 1973 dans une famille relativement aisée de la petite bourgeoisie milanaise. Une année mouvementée, marquée par des violences politiques, des attentats d’extrême gauche et d’extrême droite, l’inculpation du chef du Mouvement social-italien (MSI) Giorgio Almirante pour reconstitution du Parti national fasciste. À l’adolescence, le jeune Matteo fréquente le lycée d’État Alessandro-Manzoni, classé parmi les meilleurs de Milan, mais aussi connu pour être un haut lieu de la contestation estudiantine. Une fois par an, la direction a d’ailleurs pris l’habitude de céder ses prérogatives aux élèves, pour une « semaine entière d’autogestion ».

À 12 ans, il se fait remarquer en remportant un quiz télé­visé pour enfants, « Double Slalom », après avoir épelé correctement le nom du ministre des affaires étrangères de Mikhaïl ­Gorbatchev, Edouard Chevardnadze. Ses camarades de classe gardent cependant le souvenir d’un élève réservé, voire timide et taciturne. Après la « matu­rité », l’équivalent italien du baccalauréat, il s’inscrit d’abord en sciences politiques à l’université publique de Milan, puis en histoire. Mais il arrête les études avant la licence. « Plutôt que perdre mon temps à suer sur les bancs de l’université, a-t-il raconté, j’ai préféré aller à la rencontre de la vie. » Il fréquente alors le Leon­cavallo, un lieu de culture alternatif, fondé en 1975 par des marginaux d’extrême gauche dans un squat désaffecté. « Tout le monde, à 15 ans, est un peu révolutionnaire, s’est-il expliqué. Je me retrouvais dans ces idées. Puis tu grandis, tu te confrontes à la vraie vie et tu deviens normal. C’est quand j’ai compris cela que j’ai cessé de jouer au camarade pour devenir adulte. »

À l’âge de 17 ans, il rejoint la Ligue du Nord, mouvement autonomiste fondé par Umberto Bossi qui prône le séparatisme du nord de l’Italie, désigné sous l’appellation mythique de « Padanie ». C’est un militant actif qui multiplie les campagnes d’affichage et les distributions de tracts. Au sein du parti, il ne tarde pas à fonder un groupuscule bizarre, « les communistes de Padanie », où se mêlent thèses gauchistes et doctrine séparatiste avec un accent d’anti-méridionalité. Des années plus tard, on le verra ainsi en train de chanter à tue-tête, au milieu de compa­gnons de beuverie, une chope de bière à la main : « Sentez cette puanteur. Même les chiens s’enfuient. Ce sont les Napolitains qui arrivent. » Il cherchera ensuite à se faire pardonner en présentant ses excuses aux habitants de Campanie : « Je ne vous connaissais pas encore. »

Au début des années 1990, il se fait élire au conseil municipal de Milan avec quatre camarades « communistes de Padanie ». Quand il apprend que le maire Marco Formentini, lui aussi membre de la Ligue, envisage de faire évacuer le Leoncavallo, il en prend la défense, de même qu’il se prononce en faveur d’une loi sur la libéralisation du cannabis. Il se bat aussi pour la culture « padane », allant jusqu’à arborer un T-shirt sur lequel on pouvait lire, en anglais : « Padania is not Italy ».

En réalité, Matteo Salvini n’a jamais été à une contradiction près. Son idéologie se forge au jour le jour, en fonction des circonstances et des convenances poli­tiques. Ce qui compte pour lui, ce ne sont ni les principes ni les idées. C’est l’action. Le « révolutionnaire » qu’il voulait être à 15 ans n’a que tardivement renoncé à ses idées de jeunesse. Il se justifie même d’emprunter certains thèmes de bataille à la gauche : « Je n’ai pas changé d’idées. C’est la gauche qui a déserté ses combats. Mais nous avons encore besoin d’une gauche sérieuse en Italie. Et c’est sur des thèmes de gauche abandonnés par ses propres partis que nous livrerons bataille », lancera-t-il lors d’un meeting.

Dans l’enthousiasme de son adolescence, le jeune militant de la Ligue avait pourtant été frappé par un slogan : « Je suis Lombard, je vote lombard. » Il l’avait adopté d’emblée : « L’identité est une mixture de territoires au sens physique, de traditions et de langues locales qui ont du mal à mourir. » Sa madeleine à lui, c’est le Milan de son enfance, « celle des premières joies et des premières conneries », le Milan des derbys avec l’Inter quand son père l’emmenait au stade : « C’est Milan qui m’a fait rencontrer la Ligue », dit-il.

Il est attiré par cette « transversalité libératoire », selon son expression, qui animait la capitale lombarde de la fin du siècle : « Je n’avais aucune entrave, je fréquentais des personnes de tous bords, mais quand on parlait de politique, on retombait vite dans un ennui extrême, comme les idéologies de mes interlocuteurs. » Il se passionnait en revanche pour l’effondrement du bloc soviétique. Et pour ce qu’il appelait déjà « la désagrégation du paysage politique italien », qu’il associait à un dessin cubiste, fait de fragments confus et incompréhensibles, de personnages incertains cherchant à faire carrière. Avec au centre, comme dans le tableau Guernica de Picasso, une lumière éclairée, qui illuminait la scène. « Cette lumière, c’était la Ligue, et ça l’est encore. »

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Carconi Angelo/ANSA/ABACA

III. Un leader numérique

Aucun homme politique en Europe n’est autant suivi sur les réseaux sociaux. Sa page Facebook compte plus de 3,3 millions de membres, loin devant celles d’Angela Merkel (2,5 millions), d’Emmanuel Macron (2,3 millions), de Marine Le Pen (1,5 million) et très loin devant les autres leaders du vieux continent. Sur Twitter, au mois de mai 2019, il s’est exprimé quatre cent soixante-dix fois, selon un décompte de l’université Lumsa de Rome.

Derrière cette stratégie numérique se trouve un homme : Luca Morisi, spin doctor de 45 ans, diplômé en philosophie de l’université de Vérone et expert en informatique. Discret autant que Salvini est exubérant, fuyant toute inter­view, Morisi mène une existence effacée dans le sillage du leader dont il soigne l’image. En coulisse, il a mis au point une « machine » de communication à laquelle il a donné le nom de « bestia » (la bête), afin de transmettre en direct sur la moindre initiative du ministre sur les réseaux. Ses tournées en province, les selfies qu’il fait par dizaines à la fin de chaque meeting : tout est scrupuleusement mis en ligne. Bien entendu, il faut une structure solide pour relayer ces messages. C’est la société d’informatique Sistema Intranet, fondée en 2009 par Luca Morisi, qui s’en charge. Elle se compose d’une petite équipe de quinze à vingt informaticiens, tous très jeunes, qui travaillent dans un bureau détaché non loin du ministère de l’intérieur, sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ce qui n’empêche pas Salvini de rester maître de ses messages, me confie son conseiller spécial : « Il a un talent naturel à pressentir les tendances de l’opinion publique. »

À sa manière, bien sûr. Le 9 juin 2018, lorsque le ministre a annoncé la fermeture des ports italiens au navire humanitaire Aquarius qui ramenait des migrants recueillis au large de la Libye, sa page Facebook a gagné 70 000 nouveaux « amis ». Pour attirer l’attention, il utilise volontiers des slogans explicites, qu’il va jusqu’à arborer en lettres capitales sur son T-shirt, à l’image du mot d’ordre « Les Italiens d’abord » rapidement devenu viral.

Au reste, il ne se contente pas de prendre l’opinion à témoin. Il l’implique dans son action, l’incite à réagir, à s’indigner ou à approuver, avec des messages courts et directs, comme s’il voulait lancer la conversation. Dans une fameuse vidéo, on le voit ainsi ­avaler un énorme morceau de pizza avec les mains et lancer : « Ce soir, pizza à la carbonara. Et vous, les amis ? » Ou encore, au lendemain de Noël, tartinant pour son petit-déjeuner une tranche de pain d’une épaisse couche de Nutella : « Voilà comment j’ai commencé ma journée ce matin. Et vous ? »

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Cavicchi Stefano/La Presse/ABACA

En toute occasion, il aime montrer ce qu’il mange, des plats simples, une cuisine populaire. Et il donne sa recette. Toujours des marques alimentaires connues (Barilla pour les pâtes, Cirio pour la sauce tomate), que l’on trouve dans le commerce. À table, comme dans chacune de ses actions, il insiste sur cet aspect d’homme « normal ». Ne répète-t-il pas qu’« un vote pour la Ligue est un vote normal, de bon sens » ? Ou qu’il « est juste de ramener un peu de normalité en Italie » ?

Son allure évolue en fonction des circonstances. Il est généralement vêtu casual, voire négligé, lors de ses nombreuses tournées loin de Rome (près de 250 par semestre en moyenne, un record). Au parlement, il évite parfois la cravate mais porte un costume bleu sombre ou gris de bonne coupe. Fini les chemises vertes de la Ligue du Nord, il préfère le bleu clair. Tout au plus porte-t-il une pochette verte, très discrète. Et encore. Quand il doit apparaître dans ses fonctions de ministre, un bleu marine de bon aloi l’emporte, dans le style de Silvio Berlusconi.

Matteo Salvini est doué pour fournir des réponses hypersimplifiées à des questions complexes. Il donne l’impression d’être authentique. Il satisfait une demande de sincérité et de proximité que le peuple italien attend du discours politique. Il recherche en toute occasion le contact. Sur scène, il parle librement sans notes. Il sait être drôle, enjoué, railleur. Il envoie des baisers, applaudit des deux mains quand il est houspillé en lançant à ses contradicteurs : « Plus fort. On ne vous entend pas. » En se moquant d’eux : « De mon temps, on savait perturber une réunion. » Sur un plateau de télévision, c’est un orateur coriace. Les journalistes politiques le reconnaissent : Salvini est le client le plus difficile à interviewer. Et quand la contestation devient véhémente, qu’il s’agisse d’un commentateur, d’un homme politique ou même d’un cardinal (cela s’est vu), il coupe court au débat en répondant avec brusquerie : « J’ai été élu pour faire ce que je fais, le ministre de l’intérieur. Les Italiens me versent un salaire pour cela. Si vous voulez en faire autant, faites-vous élire et vous pourrez prendre ma place. Mais vous ne pourrez pas me faire changer d’avis. » En tête-à-tête, il se montre disponible, séducteur, cherchant à convaincre de la juste valeur de son raisonnement. Il n’atténue pas pour autant la raideur de sa pensée.

Matteo Salvini est aussi, à sa manière, un exhibitionniste. Il adore se mettre en scène torse nu durant ses vacances. ­Combien de photos et de vidéos le montrent, l’été, sur une plage ou sur un scooter des mers, devant un barbecue, ou encore sur un bateau de plaisance avec un verre de mojito, souvent encadré d’agents de police ? Comme si le fait de montrer son corps, à l’image jadis de Mussolini, était un témoignage de virilité assumée, presque une manière de s’affirmer.

À la différence d’autres hommes poli­tiques qui préservent jalousement leur vie familiale, lui n’hésite pas à mettre la sienne en scène. On l’a ainsi vu avec un bonnet rouge, lors d’une fête de Noël dans l’école de sa fille Mirta, âgée de 7 ans. Ou encore faisant des châteaux de sable avec elle sur la plage. Le jour de la Saint-Valentin 2019, il a posté sur Instagram une photo prise dans un parc d’attractions, juché sur un petit train, toujours en compagnie de Mirta. Avec un message politique au passage sur la construction de la ligne Turin-Lyon, contestée par ses adversaires : « Que c’est beau, le train ! Plus propre, plus rapide, plus sûr. »

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Livieri Vincenzo/La Presse/ABACA

IV. Des amitiés sulfureuses

Deux mois après les européennes du 26 mai, la coalition populiste au pouvoir depuis juin 2018 tient à un fil. Les tensions entre la Ligue et le Mouvement 5 étoiles (M5S) ne font que s’accroître. Selon un sondage récent, si les Italiens retournaient aux urnes, la Ligue et son allié nationaliste Fratelli d’Italia obtiendraient la majorité absolue au Parlement. C’est dire l’habileté de Matteo Salvini. Non seulement, il est parvenu à siphonner les voix du M5S, mais il a également marginalisé son ancien allié, Forza Italia, le parti dirigé par Silvio Berlusconi au centre droit.

Résultat : jamais l’Italie n’avait autant glissé vers l’extrême droite depuis la Libé­ra­tion. « Je suis sûre que le prochain gouvernement sera présidé par une alliance entre Salvini et Giorgia Meloni », affirme une égérie de l’extrême droite, l’ex-députée Daniela Santanché. Meloni, seule femme à la tête d’une formation poli­tique en Italie, lui apporterait quelque 7 % de suffrages. Elle est encore plus radicale que Salvini. Elle appelle à instaurer un blocus naval devant la Libye, propose de couler purement et simplement les navires humanitaires et exige de durcir davantage les lois sécuritaires. C’est elle qui avait invité à Rome en septembre 2018 le sulfureux Steve Bannon, conseiller de Donald Trump, et l’avait présenté à Matteo Salvini.

De son côté, le ministre de l’intérieur affiche sans complexe ses affinités avec CasaPound, mouvement politique d’inspiration néofasciste et « national-révolutionnaire ». On l’a ainsi vu le 9 mai 2018, lors de la finale de football entre la Juventus de Turin et le Milan AC, affublé d’un blouson avec l’écusson Pivert, marque de Francesco Polacchi, dirigeant des « fascistes du troisième millénaire ». ­CasaPound est d’ailleurs à l’origine d’affrontements violents dans les banlieues de Rome, comme ceux du 2 mai 2019 à Casal Bruciato, où la police anti-émeutes a dû repousser des militants déterminés à empêcher une famille de Roms, régulièrement installée en Italie, d’entrer dans un logement HLM attribué par la mairie. À l’extrême droite, CasaPound est en concurrence avec Forza Nuova, conduit par l’ex-député européen Roberto Fiore, un mouvement du même acabit qui affiche deux cent quarante dépôts de plainte et dix arrestations pour violences racistes en cinq ans. Luca Traini, le terroriste à l’origine d’un attentat contre des Africains à Macerata en février 2018, au début de la campagne électorale, faisait partie du groupe et Forza Nuova affirme avoir pris Matteo Salvini pour référence politique.

Tout cela resterait anecdotique si ces mouvements ne se sentaient pas tolérés voire soutenus et encouragés. Matteo Salvini ne fait rien pour s’en démarquer. Au contraire, il a confié à un éditeur proche de CasaPound le soin de publier un livre d’entretien avec lui, sous le titre L’Homme le plus contesté d’Europe. L’ouvrage devait être lancé au Salon du livre de Turin, le 9 mai 2019. Mais la vive émotion suscitée par cette annonce a contraint les organisateurs à démonter le stand de l’éditeur.

À l’approche des élections européennes, ces groupuscules ont multiplié les provocations. Pour l’anniversaire de la mort de Mussolini, le 28 avril, on les a vus se recueillir en faisant le salut romain devant sa tombe à Predappio (Émilie-Romagne). Une autre fois, ils défilaient en nombre à l’appel du « front skinhead de Vénétie », ouvertement néonazi, dans les rues de Vérone, en dépit de la loi de juin 1993 interdisant les manifestations racistes.

Pour Salvini, le monde du football est un autre terrain de manœuvre auprès de l’extrême droite. Le 16 décembre 2018, il participait à la fête des 50 ans des ultras du Milan AC, dont il est un supporteur inconditionnel : « Dès mon plus jeune âge, mon père m’emmenait voir les matchs le samedi. Les cris, les chants, les slogans, les fumi­gènes ont fait très tôt partie de mon univers. » Ce jour-là, on l’a aperçu descendre sur la pelouse et s’entretenir chaleureusement avec le leader de l’association Curva Sud, Luca Lucci, dit « il Toro », 36 ans, condamnations judiciaires en pagaille pour violence sur les stades et trafic de cocaïne. Ces supporteurs sont réputés pour leur xénophobie et leur violence. Son titre de ministre de l’intérieur aurait dû commander à Salvini davantage de retenue, mais il n’en a cure. Quand les journalistes sur place s’étonnent de cette accolade, il répond par une pirouette, déclarant qu’il est « lui aussi un inculpé parmi les inculpés », allusion à sa mise en examen pour séquestration d’immigrés sur l’Aquarius.

Début 2019, à la suite de heurts qui avaient fait un mort entre supporteurs de l’Inter de Milan et de Naples, le gouvernement a adopté une série de mesures pour empêcher les violences dans les stades, le plus souvent provoquées par des éléments d’extrême droite. Le président du Conseil, Giuseppe Conte, voulait donner un signal fort en ordonnant la suspension des matchs dès le premier incident. Matteo Salvini s’y est opposé : « Ni fermeture des tribunes ni suspension des matchs, a-t-il expliqué. Ce serait une défaite du football dont l’État se rendrait responsable. Il y a 12 millions de supporteurs qui se rendent pacifiquement au stade pour le plaisir de voir du bon football. Il ne faut pas les confondre avec les six mille cinq cents éléments violents, bien connus de la police. » Il n’a pas voulu non plus interdire les déplacements de supporters mais leur a imposé de voyager en train, où il est plus facile de les contrôler. Seules certaines parties nocturnes seront interdites. Enfin, il a aussi fait sienne la protestation de l’entraîneur de l’équipe nationale, Roberto Mancini, sur le « trop faible nombre de joueurs italiens » dans les clubs : « Il faut imposer un numerus clausus pour redonner espoir à tant de jeunes joueurs de chez nous qui se sentent sacrifiés à force de rester sur les bancs de touche. » Vous avez dit xénophobe ?

Matteo Salvini, l’homme qui fait peur à l’Europe (Plon). Sortie le 19 septembre.

Cet article est paru dans le numéro 72 de septembre 2019 du Vanity Fair France.