Vous êtes-vous déjà demandé comment la sève circule dans les fins canaux qui parcourent les feuilles ? Ou comment fonctionne un test de grossesse ? La réponse à ces deux questions tient dans un mot : la microfluidique. Appliquée à la santé et en particulier à la prise en charge des cancers, cette technique pourrait permettre de percevoir en un temps record, avec une grande précision et à faibles coûts, la réaction des tumeurs face au traitement ou à la chirurgie. A l'occasion de la Summer School "Microfluidics for health: from science to business", Sciences et Avenir a fait le point.
La science de l'écoulement des fluides à l'échelle micrométrique
En plus d'être une science étudiant l'écoulement des fluides à l'échelle du micromètre (millième de millimètre), la microfluidique est aussi une technologie. A l'aide de divers composants miniaturisés (pompes, canaux, vannes…), elle permet la fabrication de dispositifs manipulant de très petites quantités de liquide sur quelques centimètres carrés : de véritables laboratoires sur puce ! Rapide à utiliser et peu coûteuse, la microfluidique s'applique à des domaines aussi divers que l'énergie, la cosmétique, l'agroalimentaire, ou encore la santé.
Détecter l'ADN de la tumeur pour en déduire le pronostic
Côté santé, le cancer est (avec l'infectiologie) une des aires thérapeutiques dans laquelle la microfluidique est particulièrement prometteuse, bien qu'encore au stade de sujet de recherche. La technique la plus répandue dans les deux plus gros pôles mondiaux, Paris et Boston (Etats-Unis), est celle de la détection d'ADN tumoral circulant, utilisée dans de plus en plus de CHU et de centres anti-cancers. Il s'agit de détecter dans le plasma sanguin du patient les quelque molécules d'ADN issues des cellules tumorales mortes. L'objectif est de déterminer si le patient répond bien au traitement ou à la chirurgie, et son pronostic. Car plus on trouve d'ADN tumoral dans son sang, et moins le pronostic est bon.
Mais cet ADN est rare, et cette détection nécessite une grande sensibilité. "Il y a plusieurs bénéfices à la microfluidique, d'abord une meilleure sensibilité et quantitativité, mais surtout l'augmentation de la précision", explique à Sciences et Avenir Valérie Taly, chercheuse experte du sujet au CNRS et à l'université Paris Descartes. "D'un laboratoire sur l'autre, on obtient les mêmes résultats, avec une très faible marge d'erreur, ce qui rend l'analyse d'une grande simplicité".
Une méthode très sensible et avec une faible marge d'erreur
Avec les techniques de microfluidique sur lesquelles se basent ces recherches, quelques millilitres de sang du patient suffisent. La machine forme des micro-gouttes séparées par un milieu huileux, qui fonctionnent chacune comme un milieu expérimental indépendant. Dans chacune d'entre elles, on réalise en miniature une technique bien connue et largement utilisée : la Q-PCR. Il s'agit d'utiliser intensivement la protéine qui duplique naturellement notre ADN, afin d'en amplifier même le plus petit fragment et faciliter sa détection. Des molécules fluorescentes accolées à l'ADN avant amplification permettent alors de visualiser sa présence ou son absence.
En théorie, cette technique permet de détecter un fragment d'ADN muté parmi 200.000, contre environ 1 sur 10 avec la Q-PCR classique ! En pratique, la sensibilité est limitée par la qualité de l'échantillon.
Evaluer la réponse de la tumeur pour ajuster le traitement en cours
A l'état de prototype il y a une dizaine d'années, cette technique appelée "PCR digitale en gouttelettes" est devenue un véritable outil de recherche clinique, au moyen de machines aujourd'hui commercialisées. Elle devrait devenir monnaie courante dans "trois ou quatre ans", d'après le Pr Pierre Laurent-Puig, gastro-entérologue et hépatologue à l'hôpital Georges Pompidou (Paris) où il officie notamment au service de génétique. "Pour nous, c'est un outil pour guider nos choix pendant la prise en charge, et voir si le traitement est efficace", explique-t-il à Sciences et Avenir.
Par rapport aux techniques alternatives de séquençage d'ADN, la PCR digitale en gouttelettes est plus sensibles, moins coûteuse et moins contraignante, avec pour seul inconvénient de détecter moins de mutations différentes. Autre gros avantage pour le patient : la microfluidique permet d'éviter une biopsie (prélèvement d'un fragment de tissu ou d'organe) et se contente d'une simple prise de sang pendant et après le traitement, afin d'en constater l'efficacité. "Ça ne va pas transformer la survie, juste nous permettre de mieux adapter le traitement", précise le Pr Laurent-Puig. Ainsi, outre la détection du l'ADN tumoral, identifier une mutation signant une résistance à un traitement permettra par exemple d'adapter la prise en charge plus rapidement. "Il est possible que dans quelques temps, on puisse faire pousser des tumeurs sur des puces pour tester le traitement avant de l'administrer au patient", imagine Valérie Taly.
Une analyse cellule par cellule
Plus tournée vers la recherche mais tout aussi utile, la technique de la cellule unique repose également sur la microfluidique. "Il s'agit d'isoler les cellules prélevées sur la tumeur de façon à en avoir une seule par gouttelette", explique à Sciences et Avenir le chercheur Andrew Griffiths, professeur de biochimie à l'ESPCI et spécialiste du domaine. Car les tumeurs sont hétérogènes, et peuvent par exemple comprendre des cellules résistantes à un traitement et d'autres qui y sont sensibles. C'est ainsi qu'un cancer qui a reculé face à la prise en charge peut revenir quelques temps plus tard.
Avec la microfluidique, "1.000 à 10.000 cellules peuvent être analysées simultanément", ce qui en fait "un outil incroyablement puissant en recherche clinique", s'enthousiasme Andrew Griffiths. Cette technique permet de comprendre l'évolution des cancers en fonction des mutations génétiques et épigénétiques (niveau d'activation des gènes) que l'on trouve dans les cellules tumorales, mais aussi d'analyser les cellules immunitaires du patient pour identifier ceux qui répondront aux immunothérapies et comprendre pourquoi certains patients répondent à un traitement et pas d'autres. "Ça va rapidement conduire à de nouvelles stratégies thérapeutiques plus efficaces, par exemple identifier une mutation qui rend résistant au traitement peut permettre le développement d'un nouveau traitement." Une logique de médecine personnalisée, qui n'arrivera pas la pratique courante avant une dizaine d'années, d'après le Pr Laurent-Puig.