«La stratégie de Patrick Buisson, c’est celle de l’extrême droite», juge Georges, son fils

Dans «L’Ennemi», qui paraît ce mercredi, Georges Buisson livre un portrait personnel et politique au vitriol de son père, ancien conseiller sulfureux de Nicolas Sarkozy.

 « Patrick Buisson met toutes les relations humaines sur le plan du rapport de force, on est obligé de l’affronter », raconte Georges Buisson, son fils.
« Patrick Buisson met toutes les relations humaines sur le plan du rapport de force, on est obligé de l’affronter », raconte Georges Buisson, son fils. LP/Delphine Goldsztejn

    Georges Buisson, 43 ans, fils de Patrick Buisson, ancien sulfureux conseiller de Nicolas Sarkozy, publie ce mercredi « L'Ennemi » (Grasset). Il revient dans ce livre sur sa relation conflictuelle avec son père, et la quête de ce dernier pour faire progresser les idées d'extrême droite en France.

    Pourquoi avoir écrit ce livre ?

    GEORGES BUISSON. On écrit quand le dialogue est impossible, pour comprendre. Je voulais comprendre comment j'en étais arrivé là avec lui (NDLR : Patrick Buisson) pendant des années avant de me résoudre à l'affronter. J'ai une histoire compliquée, plusieurs fois j'ai cherché à le fuir, il est toujours revenu. Patrick Buisson met toutes les relations humaines sur le plan du rapport de force, on est obligé de l'affronter.

    Vous l'appelez toujours Patrick Buisson, jamais « mon père »…

    C'est plus facile pour moi parce que ça enlève toute la charge émotionnelle. Papa je ne peux pas, c'est vrai. C'est trop compliqué. Patrick Buisson, ça permet de rassembler toutes les facettes qu'il a dissimulées.

    C'est-à-dire ?

    La manipulation, le mensonge, vis-à-vis de tout le monde.

    Vous le qualifiez d'homme d'extrême droite. Ses convictions sont restées intactes depuis son engagement à Occident ?

    Lui se dit de droite. Mais il est de la famille classique des contre-révolutionnaires de l'extrême droite. Il a caché son appartenance à Occident parce que ça révélait des réseaux d'amitiés qu'il voulait absolument taire.

    Quel type de père c'était ?

    Ce n'est pas quelqu'un qui se sacrifie, mais qui attend de l'autre qu'il se sacrifie, qu'on se mette à son service. Un jour je lui ai demandé : j'ai 25 ans est ce que je suis condamné à rester toute ma vie avec toi, à me sacrifier pour toi ? Il m'a dit : pourquoi pas ? Il appelait ça de la piété filiale. Il cherche à façonner les idées, les lectures, le choix du conjoint, Il n'a jamais accepté ma femme. Parce qu'elle est métisse, elle a du sang noir, elle est d'une autre culture, et qu'elle n'est pas sous sa coupe.

    Vous dites que c'est lui l'artificier de la lepénisation des esprits…

    Depuis 50 ans, c'est le seul acteur permanent de toute l'extrême droite en France. Il n'y en a pas d'autres. Il a été de toutes ses métamorphoses : comme témoin, acteur, conseiller. Ce n'est pas le plus connu parce qu'il s'est toujours dissimulé.

    Longtemps son obsession a été l'union des droites mais aujourd'hui il prône « l'union des antilibéraux ». Comment l'interpréter ?

    L'union des droites a été pensée dans le cadre d'un clivage droite/gauche. Aujourd'hui, il n'en parle plus puisque ce clivage n'est plus opérant. Donc, il fait évoluer sa stratégie, mais c'est toujours la même, celle de l'extrême droite. Ses cœurs de cible restent les classes populaires et les classes moyennes inférieures. Marion Maréchal (NDLR : qui prône l'union des droites), il ne la trouve pas assez malléable.

    Et son positionnement libéral conservateur n'est pas assez explosif à son goût. Pour lui, la stratégie de mêler antilibéralisme et souverainisme est la plus explosive, la plus dangereuse donc la plus aboutie. C'est celle qui est le plus à même de faire parvenir l'extrême droite au pouvoir.

    Quel a été son rôle auprès de Jean-Marie Le Pen ?

    Il le rencontre au début des années 1970 alors qu'il écrit un mémoire sur l'Algérie française. Il va continuer à le fréquenter. Ils ont une relation amicale. Derrière l'explosion politique de Le Pen, il y a Buisson. Il l'a suivi à Minute, puis à Valeurs Actuelles. Il l'a soutenu, il a été son conseiller le plus proche. Le Pen lui a proposé d'être député en 1986 mais il a refusé.

    Quelle a été son influence sur Nicolas Sarkozy ?

    Sur le plan politique, elle était très forte. Par exemple, on a vraiment sous-estimé l'importance du ni-ni des cantonales de 2011 (NDLR : la droite n'appelle plus à voter contre le FN au second tour). Le cordon sanitaire vole alors en éclats. C'est un ni-ni auquel va répondre un autre ni-ni, en 2017. Celui de Mélenchon (NDLR : qui refuse d'appeler à voter contre Le Pen à la présidentielle). C'est vraiment la levée des barrières immunitaires. Patrick Buisson est le père de ces deux ni-ni.

    Vous apprenez un jour que votre père enregistre tout à l'insu de ses interlocuteurs. Il vous dit « ça peut toujours servir ». Pourquoi faisait-il cela ?

    C'est une assurance-vie. Il engrange, il fait grossir son assurance-vie. C'est un moyen de pression, un moyen de chantage.

    Vous diriez qu'il a toujours un rôle central sur l'échiquier politique aujourd'hui ?

    Ses idées et sa stratégie triomphent au moment où il est mis de côté. Aujourd'hui, il lui reste qui? Eric Zemmour n'a pas l'envergure pour porter cette stratégie.

    Vous dites que c'est lui qui a mis le pied à l'étrier à Marine Le Pen…

    Médiatiquement, ses premières grandes télés, c'est chez lui sur LCI. Après 2002, il avait vu le rejet de Le Pen père.

    Votre nom a été cité lorsque a éclaté l'affaire des sondages de l'Elysée. Vous en voulez à votre père de vous avoir impliqué dedans ?

    Je ne suis pas dans un règlement de comptes. Je cherche à ce que l'on sépare nos chemins, mais lui revient toujours dans ma vie. Par exemple, je suis toujours bloqué dans Publifact (NDLR : société de conseil dans laquelle Georges Buisson détient des actions, au cœur de l'affaire des sondages).

    Avez-vous eu des contacts avec Patrick Buisson depuis qu'il sait pour la publication du livre ?

    Depuis janvier 2017, ce ne sont que des nouvelles par avocat interposé. Il a essayé d'empêcher la parution du livre. Dedans, il y a 50 % de sa vie, assez pour le comprendre. Il y a des choses pas intéressantes que je n'ai pas racontées. Et d'autres, qui ne peuvent pas l'être, car trop risquée sur les plans juridique et physique. L'extrême droite n'est pas un milieu tendre.