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La galaxie Suavelos, vitrine d’un racisme décomplexé

Ce site Internet, qui défend le « nationalisme blanc », s’efforce de déjouer les lois et les conditions d’utilisation des plates-formes pour attirer de nouveaux publics en ligne.

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Publié le 11 septembre 2019 à 11h29, modifié le 11 septembre 2019 à 16h15

Temps de Lecture 8 min.

Ils se disent « positifs et non dépressifs », « confiants et non défaitistes » ou encore « ouverts et non élitistes ». Mais les créateurs de Suavelos se revendiquent surtout comme « nationalistes blancs » et même, tout simplement, comme « racistes ». Ce site Internet, prisé d’une partie de l’extrême droite française, défend l’idée que la question « ethnique » prime sur les autres.

Ces messages nationalistes exposent la mouvance à la modération des plates-formes comme Facebook et YouTube, qui ont durci le ton en 2019, après l’attentat de Christchurch et la fusillade d’El Paso, perpétrés par des suprémacistes blancs. Pourtant le réseau Suavelos ne désarme pas, face à ce qu’il considère comme de la « censure », et multiplie les initiatives : pages Facebook secondaires, chaînes Telegram, cagnottes en ligne, association aux fins dissimulées…

Nous avons démêlé les fils de cette pelote avec l’ONG belge EU Disinfo Lab, spécialisée dans la recherche sur la désinformation en Europe. Et il apparaît que l’équipe de Suavelos ne manque pas d’imagination pour diffuser sa pensée raciste, et tenter de toucher un public plus large que la frange nationaliste.

Une idéologie ouvertement raciste

Le site Suavelos.eu a été créé en 2016 par deux activistes d’extrême droite : Yann Merkado et Daniel Conversano. A première vue, le site présente quelques similarités avec un autre blog d’extrême droite, Fdesouche. Présenté comme une « simple revue de presse », il dénonce les supposés ravages de l’immigration sur la société et rejette « la société multiraciale transformant les blancs en minorité ». On y trouve de nombreux articles inspirés de faits divers – « Clermont-Ferrand : elle rentre de vacances et trouve un migrant installé chez elle » – qui sont souvent partagés des milliers de fois sur les réseaux sociaux.

« Je ne conteste pas être raciste »

Mais contrairement à Fdesouche, fondé par l’ancien cadre du Front national Pierre Sautarel, Suavelos ne se contente pas d’un propos allusif, il est ouvertement discriminatoire. Sa rubrique « Qui sommes-nous ? » joue ainsi carte sur table, se revendiquant du « nationalisme blanc » et clamant « l’affirmation du droit du blanc à être chez lui ».

« Je ne conteste pas être raciste, s’amuse Daniel Conversano, joint par téléphone. J’ai toujours trouvé la civilisation européenne supérieure aux autres, je préfère Mozart au djembé. Chez nous, la question ethnique est centrale. » Des propos tout à fait communs dans la bouche du militant, pour qui il faudrait « mettre dans la Constitution que la France est un pays blanc et doit le rester majoritairement ».

Pas question, en revanche, de faire la promotion de la violence à l’encontre des « non-blancs ». « On ne veut pas ça », jure Daniel Conversano. Mais « je ne vois pas comment un blanc pourrait ne pas se venger au bout du dixième attentat islamiste. Ce qui s’est passé avec Breivik en Norvège va finir par arriver chez nous », estime-t-il, en référence à l’attentat perpétré en 2011 par ce militant d’extrême droite sur l’île d’Utoya. Reste qu’il tient lui-même des propos appelant à la violence : il affirmait ainsi dans une vidéo (restreinte à un accès privé depuis) qu’il souhaitait voir « des douaniers avec des flingues » tirer sur « les mecs à la nage », avait repéré BuzzFeed en 2017.

Une galaxie de sites et pages Facebook

Pour diffuser son discours, Suavelos s’est adapté aux codes de l’information en ligne et des réseaux sociaux. Le site comprend par exemple une section News, mais aussi une version féminine, Madame Suavelos.

La galaxie Suavelos compte aussi les sites Bellica.fr (qui défend un « féminisme occidental »), BuzzBeed.com (un site prétendument parodique qui a parfois servi à diffuser de fausses informations) ou encore Fluideracial.com, un site de caricatures xénophobes, apprécié notamment de l’ancien président des jeunes Front national Julien Rochedy. Ces sites ont aussi des antennes sur Facebook, Twitter, Instagram ou YouTube.

Mais au-delà de ces relais « officiels », Suavelos s’appuie sur des faux nez pour cibler un lectorat plus large sur les réseaux sociaux. Plus d’une dizaine de pages Facebook, comme « Je soutiens la police » ou « J’aime et je défends les animaux », partagent ainsi régulièrement des publications de la galaxie Suavelos, alors qu’elles n’ont pas de liens déclarés avec eux. Une stratégie couramment utilisée par les sites sensationnalistes pour décupler leur audience.

A gauche, un message de la page Facebook Je soutiens la police, qui relaie un article de Suavelos.eu. A droite, la page J’aime et je défends les animaux partage un post de Yann Merkado, cofondateur de Suavelos.

Dans cette myriade de profils, on trouve aussi la page Beautés occidentales, qui partage régulièrement auprès de ses quelque 5 000 fans des photos érotiques, mais exclusivement de femmes dites « occidentales ». Administrée par Yann Merkado, cette dernière illustre à elle seule le caractère opportuniste de la mouvance : d’un côté, des antennes comme Bellica.fr défendent un « féminisme » soluble dans l’idéologie des nationalistes blancs. De l’autre, les créateurs de Suavelos multiplient les propos misogynes. Le 9 septembre, Daniel Conversano se gargarisait ainsi sur sa chaîne publique Telegram d’avoir trouvé la recette pour qu’une femme « [garde] un homme avec presque certitude ». Et de détailler : « Bien lui faire à manger. Bien le sucer (assez souvent), et le valoriser pendant le sexe. »

Financement participatif et publicité

Critiquées pour leur passivité face aux discours haineux, notamment dans la foulée de l’attentat de Christchurch début 2019, les plates-formes comme Facebook et YouTube ont durci le ton. « C’est de pire en pire, estime Daniel Conversano. Avant, Facebook supprimait tout ce qui était contraire à la loi. Maintenant, j’ai l’impression qu’il supprime tout ce qui critique la politique migratoire. »

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Joint par Le Monde, un porte-parole de Facebook nous a indiqué que Daniel Conversano, Yann Merkado et Suavelos ont été bannis du réseau mercredi 11 septembre dans le cadre d’une enquête menée en interne qui courait depuis plusieurs mois. « Les personnes et les groupes qui diffusent des messages haineux, des attaques ou des appels à exclure les autres en fonction de leur identité n’ont pas leur place au sein de nos services et en sont bannis », en application des standards de la communauté concernant les individus et les groupes dangereux, fait-il valoir.

« Les comptes que nous avons bannis aujourd’hui ont violé ces conditions d’utilisation et ne seront plus autorisés à être présents sur Facebook et Instagram », a-t-il ajouté. Les messages de soutien à leur égard seront également proscrits. « Ce ne sont pas des décisions que nous prenons à la légère », commente également Facebook. Les principales pages rattachées officiellement à Suavelos (Madame Suavelos, Suavelos News, Occidentalisme…) ainsi que les profils de Yann Merkado et Daniel Conversano n’étaient pas accessibles mercredi 11 septembre. Plus d’une vingtaine de pages indirectement liées au mouvement restaient cependant en ligne.

C’est aussi pour déjouer la vigilance des réseaux sociaux que la mouvance multiplie les antennes, ce qui évite de tout perdre en cas de fermeture d’un profil. Cette dispersion lui permet aussi de passer sous les radars dans bien des cas.

Ainsi, Daniel Conversano utilise la plate-forme de financement participatif Tipeee pour subventionner ses activités numériques : 129 membres de sa communauté lui versent par ce biais un total de 947 euros par mois. Contactée, la plate-forme n’a pas commenté le cas des gérants de Suavelos, nous indiquant simplement qu’elle signalait aux autorités les profils suspects et les supprimait lorsque leurs propriétaires avaient « été condamnés ou – à défaut – sont clairement condamnables pour les propos qu’ils y tiennent ».

La nature ouvertement raciste du site Suavelos ne l’empêche pas non plus de se financer par la publicité. Il collaborait ainsi jusqu’ici avec la plate-forme publicitaire Taboola : concrètement, des liens sponsorisés apparaissaient en bas des articles du site, et lui permettaient de monétiser son audience. Mais après avoir été sollicité par Le Monde mardi 10 septembre, le dirigeant de Taboola, Adam Singolda, nous a indiqué avoir suspendu définitivement son contrat avec Suavelos, jugeant le contenu du site contraire à sa charte (qui proscrit notamment les contenus haineux).

Des publicités du module Taboola apparaissent sur le site news.suavelos.eu.

Une e-boutique domiciliée au CCAS de Grenoble

La mouvance Suavelos peut aussi compter sur une autre source de revenus : la commercialisation de tee-shirts nationalistes, aux relents islamophobes ou même fascistes – l’un d’entre eux met ainsi en scène un émoji Adolf Hitler – sur son propre site de vente en ligne Alabastro.eu.

Exemples de tee-shirts vendus sur le site Alabastro.eu.

Une activité dont Daniel Conversano a relativisé l’importance auprès de nous, se disant défavorable au « merchandising ». Le militant est pourtant directement impliqué dans le montage de cette plate-forme de vente.

Alabastro.eu est en effet édité par une association, Erasme 3000, créée en 2018, afin de « promouvoir le patrimoine historique et culturel de l’Europe », selon sa déclaration au Journal officiel. Le site de vente en ligne, tout comme l’association, sont officiellement domiciliés au 28, galerie de l’Arlequin à Grenoble, qui est l’adresse du centre communal d’action sociale (CCAS).

Contactée, la direction du CCAS a assuré ne pas être au courant de cette situation. La structure permet en effet à qui en fait la demande, en principe une personne sans domicile fixe, de bénéficier d’une adresse pour recevoir des courriers et entreprendre des démarches administratives. Mais Daniel Conversano l’a utilisée pour y établir son association et le site d’Alabastro. Une démarche irrégulière, selon le CCAS de Grenoble, qui affirmé avoir contacté le déclarant et la préfecture pour faire modifier l’adresse d’Erasme 3000 après notre appel.

« Quand on mène le combat que je mène, on est prudent »

L’intéressé nous a confirmé qu’il était responsable de la domiciliation de l’association. Est-il lui-même sans abri pour avoir demandé à recevoir du courrier au CCAS ? « Je refuse de répondre », nous a-t-il rétorqué, ajoutant tout de même : « Quand on mène le combat que je mène, on est prudent. » Des propos qui laissent entendre que son recours à la boîte aux lettres du CCAS avait pour simple but de ne pas dévoiler sa vraie adresse.

Daniel Conversano n’a pas souhaité entrer dans les détails du fonctionnement de cette association, mais il pourrait bien s’agir d’une structure déjà évoquée dans une vidéo de Fréquence occident (une émission YouTube de Suavelos) début 2019. Les membres de la mouvance y expliquaient avoir créé une association pour « développer les projets communautaires », dans le but de « devenir autonomes économiquement ».

Les membres de Suavelos reconnaissaient également dans cette vidéo ne pas avoir déclaré l’association comme « nationaliste » pour des raisons juridiques. De fait, la loi prévoit qu’une structure qui incite à la discrimination ou à la haine raciale peut être dissoute par décret. Contactée, la préfecture de l’Isère explique que la situation d’Erasme 3000 mériterait examen et pourrait relever de ce cas.

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