A 68 ans, Michael Jang vit un conte de fées. Le 27 septembre, il inaugurera sa toute première rétrospective, à la McEvoy Foundation for the Arts, à San Francisco. Elle sera accompagnée de la parution d’une monographie compilant diverses séries réalisées il y a près d’un demi-siècle. Un succès tardif, certes, mais à la hauteur de l’originalité du parcours de l’artiste.
En 1971, ce fils d’émigrés chinois venu de Marysville, patelin de la région de San Francisco, est étudiant en design au prestigieux California Institute of the Arts, à Los Angeles. Un peu par hasard, il s’inscrit à un cours de photo. « J’ai grandi dans une petite ville, très loin des feux de la rampe, raconte-t-il aujourd’hui. J’étais un outsider ; la télévision et le cinéma étaient mes seuls liens avec Hollywood. Après le bac, me retrouver à la fac à Los Angeles et voir passer toutes ces stars en vrai, c’était incroyablement excitant. »
Voyeur candide et anthropologue de son époque
Son appareil photo devient un sésame. Dans l’intimité de sa chambre d’étudiant, l’apprenti photographe se fabrique de fausses accréditations du New York Times, de Rolling Stone ou du San Francisco Chronicle, et s’invite ainsi dans la ronde des fêtes hollywoodiennes. Au Beverly Hilton, l’hôtel qui accueille toute l’année des soirées de gala où se pressent stars, groupies et paparazzis, il mitraille des célébrités ainsi qu’une foule d’anonymes, employés, serveurs, vieux couples endimanchés et jeunes loups aux dents très longues.
« Jang était comme un photographe animalier, saisissant ces animaux humains dans leur habitat naturel, pointe le curateur néerlandais Erik Kessels dans le catalogue de l’exposition. Il aime regarder les gens se comporter comme tels, particulièrement dans ces moments où ils pensent que personne ne les regarde. » Voyeur candide et anthropologue de son époque, l’homme retourne s’installer, à la fin des années 1970, dans la région de San Francisco, et s’intéresse alors à la scène punk.
« Mon but, c’était de me faire aussi invisible qu’une mouche sur un mur. » Michael Jang
« Mon but, confie-t-il, c’était de me faire aussi invisible qu’une mouche sur un mur. » Toujours à l’arraché, mais avec un œil infaillible et une tendresse un peu acide qui rappelle l’humanité douce des photos de son maître Garry Winogrand, indépassable référence de la photographie de rue en noir et blanc. Touche-à-tout, il immortalise aussi le quotidien de sa famille. La série, intitulée The Jangs, offre un précipité souvent drolatique, parfois nostalgique, de l’American way of life, expérimentée à plein par cette famille asiatique qui semblent embrasser avec entrain les joies du capitalisme occidental.
Après ses études, Jang doit gagner sa vie, et se consacre donc à la photographie commerciale. « J’ai travaillé pour des magazines, pour la télévision, pour un cabinet d’avocats, explique-t-il. J’ai photographié des mariages, j’ai réalisé des portraits de famille… J’acceptais tout, du moment que ça me permettait de vivre en prenant des photos. » Il remise ses images de jeunesse dans son garage, les jetant en vrac dans des cartons. En 2002, quand il soumet un portfolio au MoMA de San Francisco, il a depuis longtemps abandonné l’idée d’être un photographe reconnu.
Mais la curatrice Sandra S. Phillips détecte immédiatement dans ses images « la joie et la folie de cette époque », et décide, il y a quelques années, d’en intégrer certaines à la collection permanente du musée, aux côtés de clichés signés Diane Arbus ou Lee Friedlander. Aujourd’hui à la retraite, Michael Jang savoure cette reconnaissance qu’il n’attendait plus, sans pour autant envisager de reprendre du service. « Avec le temps qu’il me reste, dit-il, je préfère explorer mes archives et faire connaître mon travail. C’est formidable de pouvoir ainsi voyager dans le passé. »
Who is Michael Jang ?, de Michael Jang, Atelier éditions.
Le site de Michael Jang.