"La nuit, on est deux pour 120 résidents" : paroles de soignants en pleine crise des urgences

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"La nuit, on est deux pour 120 résidents" : paroles de soignants en pleine crise des urgences

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Lucie, Mervil et Fabrice travaillent tous les trois à l'hôpital Psychiatrique de Clermont dans l'Oise.
Lucie, Mervil et Fabrice travaillent tous les trois à l'hôpital Psychiatrique de Clermont dans l'Oise.
© Radio France - Ouafia Kheniche

La CGT organisait ce mercredi une manifestation pour dire son insatisfaction après les annonces de la ministre de la Santé (notamment le redéploiement de 750 millions d'euros en vue de désengorger les urgences). Infirmière, médecin, aide-soignante et même pompier disent leur malaise à France Inter.

À l'appel de la CGT, ils se sont rassemblés place d'Italie à Paris pour protester contre le manque de moyens dans le secteur de la santé après les annonces de la ministre et la promesses faite de redéployer 750 millions d'euros pour aider au désengorgement des urgences. Dans les annonces du gouvernement, aucun lit supplémentaire ni de revalorisation salariale...

Au-delà du conflit social qui dure depuis 6 mois aux urgences, ces soignants venus manifester racontent à France Inter un quotidien difficile voire douloureux pour certains d'entre eux.

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Sylvie : "Nos résidents sont maltraités parce que nous sommes maltraités, l'institution nous maltraite"

Sylvie, aide-soignante en EHPAD dans les Vosges.
Sylvie, aide-soignante en EHPAD dans les Vosges.
© Radio France - Ouafia Kheniche

55 ans, aide-soignante en EHPAD à Mircourt (Vosges), elle exerce depuis 35 ans

"Nous avons un gros manque de personnel. Nos résidents sont maltraités parce que nous sommes maltraités, l'institution nous maltraite. Aujourd'hui, la nuit, on est deux pour 120 résidents ; il y a 15 ans, on était le double. Les résidents n'ont qu'une toilette par semaine. Je travaille la nuit, 12 heures d'affilées. Les EHPAD ne pourront pas accueillir les patients qui viennent des urgences tant qu’on n’a pas de médecins qui viennent les voir. On est dans des petites communes [elle travaille à Mircourt, une commune de 5000 habitants, NDLR] et il n'y a déjà plus de généraliste dans les villes voisines. Dans les bourgs, quand il y a un problème pour un de nos résidents, et bien oui, on l'emmène en ville aux urgences. C'est le chat qui se mord la queue, parce qu'on en finit pas. Dans notre EHPAD, à partir de 21 heures, il n'y a plus de médecins. En journée, ils viennent quand ils ont terminé leur consultation. Ça a parfois mis des résidents en danger. La ministre, elle veut que les infirmières fassent un peu du boulot de toubib, que nous on fasse le boulot des infirmières mais ce n’est pas pour ça que ça va redonner du personnel ! Faut des moyens, des moyens humains, il faut des bras."

Mervil : "Quand on est tout seul, on se met en danger" 

Mervil, 40 ans, aide-soignant dans un hopital psychiatrique à Clermont dans l'Oise, il travaille depuis 15 ans.
Mervil, 40 ans, aide-soignant dans un hopital psychiatrique à Clermont dans l'Oise, il travaille depuis 15 ans.
© Radio France - Ouafia Kheniche

35 ans, aide-soignant dans un hôpital psychiatrique à Clermont (Oise), il travaille depuis 15 ans

"On est tout le temps en sous-effectif dans les services. Quand on arrive le matin, on s'attend à tout. Certains matins, on peut être tout seul dans le service. Il y a des patients qui ont besoin d'une attention totale, permanente, pour manger, se laver, se déplacer...Quand on est tout seul, on se met en danger. Il arrive qu'un patient vous crache dessus, vous tape dessus....Ça nous arrive. Ma binôme a été en arrêt au mois de décembre, parce qu'elle a rattrapé un patient seul. Le manque d'effectifs permanent fait qu'on se blesse très souvent en faisant seul des gestes qu'on devrait faire à deux. La ministre n'a rien annoncé pour la psychiatrie. Ce que je constate aussi, c'est que le changement de soignants lié aux arrêts maladies, aux burnout déstabilise les patients. Ils ont besoin de constance et de confiance, or là les têtes changent tous le temps. Ça provoque même parfois, chez les patients, de l'agressivité. Il n'y a pas qu'aux urgences que ça ne va plus."

Élodie : "Une toilette normalement, c'est prendre du temps avec un patient, en prendre soin ; nous, on passe 5 minutes, c'est de la maltraitance institutionnelle"

Élodie, 30 ans, agent de soins hospitaliers à l'hôpital de Lesneven dans le Finistère.
Élodie, 30 ans, agent de soins hospitaliers à l'hôpital de Lesneven dans le Finistère.
© Radio France - Ouafia Kheniche

30 ans, agent de soins hospitaliers à l'hôpital de Lesneven (Finistère)

"Mon quotidien, c'est des toilettes à n'en plus finir. On nous demande d'aller toujours plus vite mais on ne peut pas, parce que dans le même temps on nous enlève des postes, on nous enlève des lits, on nous enlève des moyens pour travailler tout simplement. Les propositions de la ministre, notamment sur les EHPAD, j'en rigole jaune. Si on envoie les personnes âgées aux urgences, c'est bien qu'en EHPAD, le personnel n'arrive plus à les gérer. Si on veut faire cela, il faut mettre plus de personnes dans les EHPAD. Quant aux généralistes, il n'y en a déjà plus beaucoup, et par ailleurs ils ont des horaires comme tout le monde. Et la nuit, on fait quoi ? On appelle un généraliste ? Il y a un manque de moyens humains sur des situations urgentes, mais aussi un manque de matériel. Quand on a un défibrillateur pour trois étages, c'est compliqué. Si les urgences sont engorgées, c'est parce que dans tous les autres secteurs de la santé, on ne peut plus faire notre travail."

Lucie : "On a perdu le sens de notre métier"

Lucie, 37 ans, infirmière dans un hopital psychiatrique à Clermont dans l'Oise depuis 15 ans.
Lucie, 37 ans, infirmière dans un hopital psychiatrique à Clermont dans l'Oise depuis 15 ans.
© Radio France - Ouafia Kheniche

37 ans, infirmière dans un hôpital psychiatrique à Clermont (Oise) depuis 15 ans

"Quand j'ai commencé à travailler il y a 15 ans, on était quatre ou cinq pour 24 patients. Aujourd'hui on est trois... Quand tout va bien. Cela signifie qu'on doit gérer de l'agressivité, des grosses angoisses et on n'a pas le personnel pour. Auparavant, les soins passaient aussi par les activités, par de l'accompagnement, par le temps qu'on passait avec le patient... Toutes ces choses que l'on ne peut plus faire. Le travail se résume à donner des médicaments et des entretiens médicaux quand on a un médecin. Actuellement, il nous en manque 15 sur l'hôpital. On n’arrive pas à recruter de médecins, ni d'infirmières... Il n'y a pas de budget. Il faut que la ministre entende qu'on ne peut plus faire du soin de qualité. On ne fait plus le travail qu'on nous a appris à l'école, on a perdu le sens de notre métier."

Sébastien : "Une intervention médicalisée avec le Samu qui durait 1h30, désormais c'est 3h30, 4h" 

Sébastien, 42 ans, sapeur-pompier, dans le Maine et Loir. Il est mpier depuis 20 ans.
Sébastien, 42 ans, sapeur-pompier, dans le Maine et Loir. Il est mpier depuis 20 ans.
© Radio France - Ouafia Kheniche

42 ans, sapeur-pompier, dans le Maine-et-Loire, depuis 20 ans

"On vient aujourd'hui dans cette manifestation pour soutenir les hospitaliers, puisqu'une bonne partie de leur problématique nous posent des problèmes : 80% des missions des sapeurs-pompiers sont des missions de secours à la personne. On est intrinsèquement liés, notre travail est lié. Les fermetures de lits, les fermetures de services, ça oblige les sapeurs-pompiers à transporter dans des hôpitaux qui sont plus loin. Plus de temps en intervention pour nous et quand on assure les transports, on ne fait pas autre chose. Pour envoyer un fourgon d'incendie dans les zones les plus éloignées, il y a quelques années, c'était 20 minutes, aujourd'hui il y a des endroits où arriver en moins de 40 minutes relève du défi. Par exemple, mes collègues de Saumur, avant quand il y avait un problème cardio ou pneumo, ils transportaient à Saumur. Aujourd'hui de plus en plus souvent, ils transportent soit à Tours, soit à Angers, ça veut dire une heure de plus à l'aller, une heure de plus au retour. Une intervention médicalisée avec le Samu qui durait une heure et demi, désormais c'est trois heures trente, quatre heures."

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