La recrudescence des agressions contre les élus : reflet d'une époque ?

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La recrudescence des agressions contre les élus : reflet d'une époque ?

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Les violences contre les élus ont culminé avec le décès début août du maire de Signes (Var) dans l'exercice de ses fonctions
Les violences contre les élus ont culminé avec le décès début août du maire de Signes (Var) dans l'exercice de ses fonctions
© AFP - Gérard Julien

Le ministre des Collectivités territoriales reçoit ce jeudi dix maires victimes d'agression afin d'aborder avec eux la recrudescence des agressions et incivilités dont sont victimes les élus. Un phénomène révélateur d'un paradoxe pour le directeur du Cevipof, Martial Foucault.

Les agressions et incivilités envers les élus de la République sont de plus en plus nombreuses. 361 faits ont été recensés en 2018, soit une augmentation de 4% par rapport à 2017. Ce jeudi, le ministre chargé des Collectivités territoriales, Sébastien Lecornu, invite à déjeuner dix maires ou adjoints au maire victimes de violence physique ou verbale afin d'aborder ce sujet avec eux et de dessiner des pistes de solution pour tenter d'enrayer le phénomène. 

Ces violences ont culminé début août avec la mort du maire de Signes, dans le Var, dans l'exercice de ses fonctions. Le ministre Lecornu a, après ce drame, lancé un double appel : le premier à l'attention des "concitoyens" pour le respect des élus, le second "aux élus eux-mêmes", car il faut, selon le ministre, "briser ce qui commence à s'apparenter à une loi du silence". Il ne faut "rien laisser passer car il faut lutter contre la banalisation", a ajouté Sébastien Lecornu. 

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Une montée en puissance de toutes les incivilités

Dans une enquête menée auprès de plus de 7 000 maires en 2018, Martial Foucault, le directeur du Cevipof, le centre de recherche politique de Sciences Po, a pu observer un phénomène "assez nouveau", de doléances de maires qui exprimaient d'une part "la montée en puissance des incivilités de toute nature, qui ne débouchent pas nécessairement sur des agressions physiques, mais qui évoquent le non respect de la fonction de maire, l'absence de reconnaissance et l'ingratitude" ; et d'autre part une deuxième forme d'incivilités, "pas nécessairement à l'endroit du maire, mais entre les habitants", et sans les outils nécessaires pour y remédier.

Au début des années 1980, note le spécialiste de la vie politique, "la figure politique emblématique dans les territoires était davantage le député, le maire était un élu moins sollicité et moins inspirant". Cela a changé ces vingt dernières années, poursuit Martial Foucault qui fait le lien entre ce désamour du député et l'émergence de plusieurs scandales politico-financiers. "Le maire s'est imposé, s'est même substitué au député pour pouvoir incarner la démocratie locale, et il est aujourd'hui davantage plébiscité", souligne le professeur des universités. 

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Plus de proximité, mais aussi plus de danger

D'après Martial Foucault, le décès du maire de Signes, dans le Var est une situation "dramatique et exceptionnelle", mais qui "illustre d'une certaine manière ce que certains maires ont pu exprimer à travers des doléances transmises au président de la République et ce qui est contenu en filigrane dans le projet de loi Engagement et Proximité de Sébastien Lecornu de manière insuffisante". Pour le politologue, "ce que réclament les maires pour pouvoir anticiper et éviter ce drame du Var, c'est à la fois repenser la fonction de maire en terme de protection juridique et pénale qui, aujourd'hui, fait défaut dans les fonctions de maires, mais aussi faire retomber le soufflet de la discorde entre les citoyens et les représentants politiques". 

Il faut rétablir de la confiance, ce qui passe par une plus grande proximité entre représentants et représentés, mais si cette distance est vraiment raccourcie, cela peut provoquer des drames comme celui du Var. Martial Foucault

Car ce qui est vrai pour les maires se remarque également pour un certain nombre de députés dont les permanences sont dégradées depuis plusieurs mois. Il y a un "vrai paradoxe", note encore Martial Foucault pour qui "il faut rétablir de la confiance, ce qui passe par une plus grande proximité entre représentants et représentés, mais si cette distance est vraiment raccourcie, cela peut provoquer des drames comme celui du Var". 

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Les violences accentueraient la crise des vocations

Ce type de situation dramatique, qui conduit à la mort d'un élu dans l'exercice de ses fonctions, reste heureusement "très rare", mais "ne pas le prendre au sérieux met dans une situation embarrassante et préoccupante un certain nombre de maires, comme un certain nombre de candidats aux municipales qui n'auraient pas forcément envie de s'engager au regard des risques aujourd'hui relativement peu protégés par la loi", précise Martial Foucault. 

Le ministre en charge des Collectivités territoriales, Sébastien Lecornu, entend bien répondre à cette situation à travers son projet de loi Engagement et proximité, dont le gouvernement espère l'adoption avant la fin de l'année. Parmi les mesures prévues, le ministre a relevé "la garantie d'une réponse pénale" face aux agressions et la prise en charge par l'Etat des "frais juridiques" engagés par une commune, "via le système des assurances". Le ministre a également mis en avant la prise en charge par l'Etat de l'accompagnement psychologique d'un élu victime d'agression. 

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Le besoin de renforcer la protection pénale des élus

Cela ne va pas assez loin pour Martial Foucault. "C'est un début de réponse, mais je crois que la prise en charge psychologique est un élément très court-termiste", note-t-il. "Ce n'est pas ça qui va permettre d'éviter que de nouveaux drames se reproduisent". Aujourd'hui, selon le politologue, les maires sont "très exposés à ces formes d'incivilités qui peuvent conduire à la mort". 

Ce n'est pas la prise en charge psychologique qui va permettre d'éviter de nouveaux drames. Martial Foucault

De son point de vue, il faut donc aller plus loin dans le projet de loi et notamment se diriger vers "une grande protection pénale, car souvent les maires se retrouvent seuls dans ces situations, leur responsabilité pénale est engagée et c'est un élément qu'on a sous-estimé dans l'impossibilité pour des personnes de s'engager en politique municipale, car il y a un vrai déséquilibre entre leur protection, l'accroissement de leurs responsabilités, et une sorte de mise à nue lorsque leur propre responsabilité est engagée", conclut Martial Foucault.