Michèle Bernard-Requin - Les Insoumis et la loi

CHRONIQUE. Les Insoumis dénoncent une « justice d'exception » et « politique ». Ne se cache-t-il pas là une volonté de ne pas reconnaître l'autorité judiciaire  ?

Par *

Jean-Luc Mélenchon sera jugé le 19 septembre pour des accrochages avec trois policiers lors de perquisitions l’année dernière

Jean-Luc Mélenchon sera jugé le 19 septembre pour des accrochages avec trois policiers lors de perquisitions l’année dernière

© LIONEL BONAVENTURE / AFP

Temps de lecture : 5 min

Nous vivons un temps surprenant. Les notions de justice et d'égalité fleurissent sur toutes les lèvres et sont invoquées par tous. Qui oserait ne pas y aspirer  ? La « bonne pensée », satisfaite d'être à l'évidence pour le bien et contre « les salauds » autrefois ainsi nommés par Sartre et quelques autres, se rengorge de se savoir dans le camp du bien. Justice et égalité… Quelle justice et quelle égalité  ?

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La justice

La justice en ces palais vénérables ou vitrés que j'ai parcourus, que dis-je, où j'ai vécu durant plus de 40 ans, constitue à la fois une vertu et une institution. C'est l'institution qui se trouve actuellement vilipendée par les Insoumis

« Justice politique  ! Justice politique  ! » scandent-ils aujourd'hui, et d'autant plus fort lorsqu'ils font l'objet de poursuites. Ils ne sont pas les seuls à s'indigner en stipendiant cette justice, selon eux, dévoyée. Dès qu'une personnalité politique est poursuivie, quel que soit son bord, non pour des faits d'opinion mais simplement qualifiés de malhonnêtes, nous entendons le même refrain : « La justice est politique et les magistrats sont aux ordres. » Et si cela signifie tout simplement que ceux qui s'indignent ainsi ne reconnaissent plus les pouvoirs institutionnels et particulièrement l'autorité judiciaire  ?

Entendons-nous bien, les juges ne sont pas infaillibles et certains ont parfois manifesté une partialité affichée, c'est le cas de le dire, incompatible avec les exigences de leur mission singulière et difficile. Le « mur des cons » en constitue un triste exemple. Cet affichage a d'ailleurs été condamné par les juges eux-mêmes.

Entendons-nous bien encore, la justice n'a pas toujours été exemplaire et la justice de classe dite aussi à deux vitesses fut longtemps bien réelle. À titre d'exemple, les jurés avant 1945 étaient choisis parmi les notables et le vol avec arme plus lourdement réprimé (peine de mort) que l'homicide volontaire (20 ans). Quant aux décisions rendues quotidiennement, elles étaient dures aux pauvres et malheureux. Le vagabondage était un délit. Cela illustre le fait que le législateur était « de classe » bien autant que les juges  ! Qui oserait dire que nous en sommes encore là aujourd'hui  ?

Sans la reconnaissance de notre justice, même imparfaite, que risquons-nous de devenir  ?

Sur sa partialité supposée, chacun a relevé – cela démontre l'inanité du discours des Insoumis et de certaines personnalités politiques – que des mises en examen et des citations devant les juridictions répressives visent des personnes militant au centre et à droite, comme à gauche… Cela semble bien impliquer également, sauf incohérence incompréhensible, que dans l'ensemble les juges ne semblent obéir aux ordres de personne.

La possibilité de voies de recours, une défense efficace, heureusement puissante et libre, la publicité des débats ne permettent plus d'évoquer sans réserve une justice présentée comme oppressive et partiale. Quant à la liberté d'opinion, hormis les limites justement imposées par la loi (injures et diffamation), elle existe dans l'Hexagone. Il suffit précisément d'entendre les protestataires (aujourd'hui les Insoumis) et de lire tout ce qui se publie.

L'égalité

C'est une exigence, une attente et aspiration, hélas, toujours déçues et impossibles à réaliser dans l'absolu.

Parlons des revenus : que certains hommes soient, en 2019, fabuleusement riches et même repus (même si c'est pour certains le résultat d'un travail personnel et non d'un héritage), c'est incontestable. Que lorsque nous comparons leurs revenus et ceux des plus démunis, nous sommes stupéfaits, qui n'en conviendrait pas  ? Même si ces très riches « ruissellent » un peu et que des miettes tombent, le gouffre est abyssal qui sépare ces quelques-uns de la masse où nous sommes.

Mais l'égalité à laquelle des hommes raisonnables aspirent ne peut consister à détruire les somptueuses demeures et superbes véhicules des grands fortunés. Cela n'apportera rigoureusement rien aux plus pauvres, rien à quiconque d'ailleurs. Par ailleurs, il n'est pas inutile de rappeler une évidence, on est toujours le riche de quelqu'un et à quel niveau commence l'indécence  ? Pas facile, même lorsque les économistes et statisticiens chiffrent ce qu'il faut entendre par classe moyenne...

Lire aussi Classes moyennes inférieures : le travail ne paie pas assez

Non, l'égalité, ce ne devrait pas être d'abord l'envie et la rancœur ni la vengeance contre un sort malheureux dont il faut tenter de sortir autrement. L'égalité espérée devrait consiste plutôt à tendre à rehausser et non descendre. À travailler à instaurer un revenu plus digne et permettre à ceux qui n'ont rien ou tout simplement pas assez de vivre correctement. Là encore, à quel niveau retenir la « pauvreté » inacceptable  ? Pas facile non plus… Et notre système éducatif et économique ne parvient pas à mieux réduire ces inégalités réelles.

En tout état de cause, dans une société comme la nôtre, la redistribution par l'impôt existe. Elle permet de financer tous nos systèmes sociaux sans lesquels des millions de personnes seraient dans une situation de total dénuement. Parallèlement, il faut rappeler le travail d'organisations comme le Samu-Social et les Restaurants du cœur qui tentent d'améliorer, hélas, ponctuellement la situation des plus démunis qui sont, semble-t-il, de plus en plus nombreux. La France n'est pas la plus mal lotie sur la « redistribution », même si beaucoup vivent des situations difficiles.

L'égalité, c'est aussi et surtout que la justice traite exactement de la même façon l'homme politique connu et le délinquant anonyme. Que la violence verbale et la violence physique, d'où qu'elles viennent, ne soient pas tolérées, surtout en un temps ou beaucoup s'autorisent le droit de transgresser cette règle élémentaire de la vie en société en se laissant aller ouvertement à l'injure et aux coups.

L'égalité et la justice : règle de base, règle d'airain, règle impérative. L'égalité des citoyens devant la loi.

(*) Michèle Bernard-Requin est magistrate honoraire

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Commentaires (4)

  • patachon91

    "L'égalité, c'est aussi et surtout que la justice traite exactement de la même façon l'homme politique connu et le délinquant anonyme" est il écrit.

    Non, un élu qui fait la loi (député), qui a été Président de la République, 1 er Ministre, ministre, maire (doté de pouvoirs de police) ne peut être traité comme un délinquant ordinaire : de par ses fonctions, sa responsabilité morale et éthique est bien davantage engagé de par l'élection ou les prérogatives qui lui donne la Constitution.

  • Warthog

    Madame c’est un plaisir de lire vos chroniques

  • Agas2

    Personne n'est au-dessus des lois. La justice en France est impartiale, et les juges font bien et honnêtement leur travail. Les hommes politiques qui sont mis en cause par cette justice sont de tous les bords (Cahuzac, Fillon, Balkany, Ferrand, etc. ), ce qui est bien la preuve qu'elle est effectivement impartiale. Allez voir ce qui se passe en Chine, en Russie, ou au Vénézuela, vous verrez ce qu'est une justice qui ne sanctionne que les contestataires.