Une poignée de main tant attendue : le 13 septembre 1993

Les gestes ont une signification et agissent comme un second langage. Nul ne peut, par exemple, échapper à la traditionnelle empoignade scellant un accord. Ce cérémonial, certes prévisible, n’en demeure pas moins incontournable, voire même indispensable. Ainsi, le 13 septembre 1993, lorsque surgit enfin l’espoir d'une paix au Proche-Orient, le monde entier surveille avec la plus grande attention le comportement de Yitzhak Rabin et de Yasser Arafat. Cette attente est parfaitement retranscrite dans la presse bretonne.

Carte postale. Collection particulière.

A la fin de l’été 1993, après de nombreux mois de discussions secrètes, les dirigeants d’Israël et de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), parviennent à la signature d’un accord de paix à Oslo en Norvège. Mais, cette entente ne peut avoir un réel impact sur les populations concernées que si elle s’accompagne d’une geste symbolique fort comme le souligne Joseph Limagne dans Ouest-France :

« Mais au poids des signatures échangées la semaine dernière, il fallait bien que s’ajoute le choc d’une image. Sans quoi, les opinions israéliennes et – surtout – palestiniennes auraient douté de la sincérité de leurs chefs. » (Ouest-France, 14 septembre 1993, p. 1)

Conscient de la puissance des symboles – et certainement en quête du premier geste fort de son mandat – Bill Clinton réunit donc Yitzhak Rabin et Yasser Arafat à Washington. L’évènement donne lieu à une organisation grandiose qualifiée de « superproduction » par Le Télégramme (13 septembre, p. 3). Rien n’est laissé au hasard : absence de drapeau sur la tribune, réutilisation du bureau sur lequel fut signée, à Camp David, la paix entre l’Egypte et l'Israël le 26 mars 1979. La cérémonie se déroule devant 3 000 invités, principalement des journalistes et des représentants politiques venus des quatre coins du monde. « Un show médiatique sans précédent » confirme le lendemain Le Télégramme (14 septembre 1993, p. 3).

Mais si Bill Clinton souhaite maîtriser la communication du début à la fin, il reste impuissant face aux comportements imprévisibles de ses deux invités. En effet, Yasser Arafat et Yitzhak Rabin, parce qu’ils « ont passé leur vie à se combattre » (Ouest-France, 14 septembre 1993, p. 1), sont des « ennemis jurés » selon Michel Bassi (Le Télégramme, 13 septembre 1993, p. 3). Le Télégramme prévient ainsi ses lecteurs que Yizhak Rabin aurait indiqué à Bill Clinton qu’il ne serrerait la main de Yasser Arafat « que si nécessaire ».

Pourtant, la communauté internationale attend cette poignée de main comme l’affirme les principaux quotidiens bretons. Michel Bassi résume parfaitement :

« ces images répandues immédiatement et partout, marqueront les esprits du monde entier. Elles sont de celles qui peuvent déclencher une dynamique […] Si la dynamique s’enclenche, [l]es périls pourront être évités du moins surmontés. » (Le Télégramme, 13 septembre 1993, p. 3)

Ce n'est donc pas tant la signature qui importe, ce 13 septembre 1993, que le comportement des dirigeants. Et lorsque Yitzhak Rabin, après un furtif moment d’hésitation, saisit la main tendue par Yasser Arafat, les applaudissements retentissent à Washington. L’image fait le tour du monde et suscite une véritable vague d’espoir pour la paix.

Extrait du journal télévisé de France 3, 13 septembre 1993.

Mais, comme le met en garde Hubert Coudurier dans Le Télégramme, « l’émotion internationale est aussi prompte à s’enflammer qu’à oublier ». Il précise que « chaque observateur un peu lucide sait que le chemin de l’autonomie sera semé d’embûches » (Le Télégramme, 14 septembre 1993, p. 3). Ghassan Salamé, professeur à l’IEP de Paris, porte le même regard sur la situation. Selon lui,

« à chaque moment, la tentation sera grande d’un retour en arrière et les voix qui appellent à un arrêt brutal de cette entreprise de paix, s’élèveront avec force arguments, criant à l’imposture. Il faudra alors beaucoup de courage pour continuer. » (Ouest-France, 13 septembre 1993, p. 1)

Plus de vingt ans après la célèbre poignée de main de Washington, les espoirs ne se sont pas transformés en réalité. En effet, si les gestes ont évidemment une importance, seuls les actes peuvent concrétiser la paix.

Yves-Marie EVANNO