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Burundi : les violations des droits humains continuent dans une impunité générale (enquêteurs de l’ONU)

Des Burundais rapatriés de Tanzanie dans le centre de transit de Mabanda, dans la province de Makamba, au Burundi - 24 avril 2018
OCHA Burundi / Christian Cricboom
Des Burundais rapatriés de Tanzanie dans le centre de transit de Mabanda, dans la province de Makamba, au Burundi - 24 avril 2018

Burundi : les violations des droits humains continuent dans une impunité générale (enquêteurs de l’ONU)

Droits de l'homme

La Commission d’enquête sur le Burundi a dénoncé mardi, à Genève, la poursuite « des violations graves des droits de l’homme » dans ce pays d’Afrique de l’Est.

Exécutions extrajudiciaires, disparitions forcées, arrestations et détentions arbitraires, actes de torture, violences sexuelles. Devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, le Président de la Commission d’enquête sur le Burundi, Doudou Diène, a décrit des abus identiques à ceux constatés depuis mai 2018.

Ces violations des droits de l’homme qui ont gardé une dimension essentiellement politique. « Certaines ont été commises dans le cadre du référendum constitutionnel de mai 2018, mais de plus en plus, elles s’inscrivent dans le contexte de la préparation des élections de 2020 », a déclaré M. Diène.

Le seul changement noté par la Commission a trait à une évolution du profil des victimes. Si les violations ont continué à viser des personnes considérées comme des opposants au parti au pouvoir, la Commission souligne que « la conception de qui est un opposant politique est devenue extrêmement large ».

En première ligne, sont ciblés des membres et des sympathisants - supposés ou avérés - de partis politiques d’opposition, mais aussi des « jeunes hommes, souvent accusés d’appartenir ou de soutenir des groupes armés d’opposition après avoir effectué un séjour ou un déplacement dans un pays voisin ». Selon les enquêteurs onusiens, ces derniers ont fait l’objet de torture grave, notamment à caractère sexuel, par des agents du Service national de renseignement (SNR).

Outre les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme, les actes d’intimidation n’ont pas épargné les « Burundais rapatriés dans le cadre du programme d’appui au retour volontaire depuis la Tanzanie ». M. Diène souligne que ces rapatriés sont confrontés à « un climat général d’hostilité et de suspicion » une fois arrivés dans leur colline d’origine, notamment de la part « d’Imbonerakure (la ligue des jeunes du parti au pouvoir) et de responsables administratifs locaux qui les ont menacés et intimidés ».

Le triste sort d’une famille rapatriée obligée de se réfugier à nouveau

A cet égard, les enquêteurs onusiens ont rappelé le sort d’une famille de Burundais qui est revenu au pays en 2018 après l’avoir fui en 2016. À leur retour dans leur colline d’origine, des Imbonerakure leur ont reproché d’avoir quitté le Burundi et les ont régulièrement harcelés pour les contraindre à donner tout l’argent qui leur avait été remis dans le cadre des programmes de réintégration.

« Les Imbonerakure ont aussi exigé que le père de cette famille se joigne à eux, notamment pour effectuer leurs rondes nocturnes. Ce dernier a été emmené par des Imbonerakure et pendant quelque temps, sa famille n’a pas su ce qui lui était arrivé. Et elle a été intimidée pour la dissuader de se renseigner sur son sort », a décrit le Président de la Commission. Cet homme, qui avait été détenu, a été par la suite relâché, mais après avoir « subi des mauvais traitements ». Devant cette répétition d’abus, toute la famille a finalement choisi de fuir à nouveau vers un pays voisin.

A travers cet exemple, les enquêteurs de l’ONU ont tenu à montrer que « toute personne qui ne montre pas son soutien au parti au pouvoir a pu être ciblée ». Et même dans les zones rurales et reculées, des violations documentées ont été commises notamment lors d’attaques nocturnes de foyers. « Lors de telles attaques, généralement menées par des Imbonerakure, plusieurs membres de la famille présents sur les lieux ont subi des violences, particulièrement des femmes, notamment victimes de viols collectifs », a alerté M. Diène.

La plupart des violations ont été commises par des membres des Imbonerakure, qui agissent seuls ou en coopération avec des responsables administratifs locaux, mais également, comme cela a été constaté par le passé, avec l’appui des agents de la police et du SNR.

Le Burundi demande la fin du mandat de la Commission

La Commission d’enquête sur le Burundi considère que certaines des violations des droits de l’homme constituent des crimes contre l’humanité tels que définis par le Statut de Rome, citant notamment des meurtres, emprisonnements, viols et autres formes de violence sexuelle de gravité comparable et persécutions à caractère politique. En vertu de la nouvelle Constitution burundaise de 2018, le SNR relève désormais directement de l’autorité et du contrôle du seul Président de la République, « qui pourrait donc voir sa responsabilité pénale engagée pour les agissements des agents du SNR », a précisé M. Diène.

Après quatre années de crise, l’impunité générale pour les violations des droits de l’homme et les crimes contre l’humanité commis perdure au Burundi, estime la Commission qui note également l’absence de perspective de solution politique à la veille des élections de 2020, le tout sur fond d’instabilité économique et plus de 340.000 Burundais toujours réfugiés dans les pays limitrophes.

En réponse à ce sombre tableau dépeint par la Commission d’enquête, le Représentant permanent du Burundi auprès de l’ONU à Genève a décrit son pays comme étant « stable » et où règnent « la paix et la sécurité ». « Envisager des facteurs de risques, sous l’angle de crimes de génocide ou de tout autre crime apparenté, est un slogan qui déshonore et révèle une réelle fiction d’un Burundi qui va vers droit une dérive sanglante et d’une ignorance totale de la réalité du pays », a déploré l’Ambassadeur Rénovat Tabu.

Devant ce qu’il qualifie d’« illusion », Bujumbura a rappelé que le peuple burundais reste « debout, vigilant et déterminé à organiser les élections de 2020, sur ses propres fonds et dans un climat de quiétude » et estime « judicieux de mettre fin au mandat de la Commission d’enquête ».

2020 sera une année cruciale pour le Burundi. Des élections présidentielle et législatives doivent être organisées dès le mois de mai et des élections sénatoriales et communales sont prévues entre mai et août 2020.

 

NOTE:

La Commission d’enquête sur le Burundi a été créée par la résolution 33/24 du Conseil des droits de l’homme, en date du 30 septembre 2016. Son mandat a été renouvelé à deux reprises, pour une année supplémentaire le 4 octobre 2017, par la résolution 36/19, et le 28 septembre 2018, par la résolution 39/14.