La Croix : Dans votre rapport, vous évoquez une prise en charge psychiatrique « catastrophique ». Pour quelles raisons ?

Caroline Fiat : Parce qu’on tarde énormément à prendre en charge les patients. Il faut souvent attendre six mois avant d’obtenir un rendez-vous dans un centre médico-psychologique. Un délai qui peut grimper jusqu’à deux ans pour un enfant ou un adolescent. En clair, on laisse souvent s’aggraver la situation jusqu’à ce que le malade vive une crise et qu’alors, son état appelle un internement qui aurait pu être évité si l’on avait agi en amont. C’est un peu comme si un service de cardiologie n’accueillait les patients qu’une fois qu’ils ont été victimes d’un infarctus.

J’ajoute que ces dysfonctionnements conduisent à un recours excessif à l’hospitalisation sans contentement. C’est d’ailleurs souvent le seul moyen d’obtenir un lit pour un malade.

Que suggérez-vous ?

C.F. : Nous proposons de sortir la psychiatrie de l’hôpital, en réaffectant, d’ici à 2030, 80 % des moyens dans des structures ambulatoires. Il n’est pas normal d’avoir des centres médico-psychologiques ouverts uniquement du lundi au vendredi aux horaires de bureau. Il n’est pas normal de ne pas savoir vers qui se tourner quand, à 23 heures ou le week-end, on est en proie à des pensées suicidaires.

Avant de rédiger ce rapport, nous nous sommes déplacées notamment à Trieste, en Italie, où dans chaque grand quartier, des centres sont ouverts 24 heures sur 24, avec des personnels en nombre et des équipes mobiles qui se déplacent, par exemple lorsque la famille les alerte sur le fait que le patient ne prend plus ses médicaments. Ce devrait être notre modèle.

En France, on avait commencé à développer la psychiatrie ambulatoire, mais un tragique fait divers – le double meurtre d’une aide-soignante et d’une infirmière par un ancien patient à Pau, en 2004 – a conduit les autorités d’alors à stopper ce mouvement.

Les enjeux de santé mentale sont-ils sous-estimés en France ?

C.F. : La psychiatrie a toujours été le parent pauvre de la médecine. Si les dépenses globales de santé augmentent cette année de 2 %, les siennes ne progressent que de 0,8 %. Une hausse qui se fait d’ailleurs en trompe l’œil, car le nombre de patients grimpe au moins aussi fortement en raison de l’accroissement et du vieillissement de la population. Au-delà des moyens financiers, nous réclamons d’ailleurs la création d’une agence nationale chargée des politiques de santé mentale, sur le modèle de l’Institut national du cancer.