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Tadjikistan : Les victimes de violences conjugales face à des obstacles pour obtenir de l’aide

L’insuffisance de la réponse gouvernementale à ce problème met la vie de nombreuses femmes en danger

Au Tadjikistan, une femme peut se promener dans la rue avec des bleus sur le visage, dans l’indifférence générale. Le problème de la violence conjugale étant répandu dans ce pays, les passants et même les policiers n’y prêtent souvent que peu d’attention. Illustration en couverture d’un rapport publié par Human Rights Watch en septembre 2019.   © 2019 Eda Çağıl Çağlarırmak pour Human Rights Watch

(Varsovie) – Le gouvernement du Tadjikistan fait preuve d’inaction lorsqu’il s’agit d’enquêter sur les affaires de violence conjugale ou de poursuivre leurs auteurs en justice et il fait beaucoup trop peu pour venir en aide aux victimes, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Bien que des progrès aient été accomplis dans certains domaines, la loi tadjike ne considère pas comme un crime la violence conjugale et les femmes qui subissent des abus ne bénéficient ni d’une protection adéquate ni d’un accès à des refuges et à d’autres services.

Ce rapport de 93 pages, intitulé « ‘Violence with Every Step’: Weak State Response to Domestic Violence in Tajikistan » (« ‘Violence à chaque pas’: Faible réponse de l’État au problème des violences conjugales au Tadjikistan »), documente les obstacles auxquels se heurtent les victimes de violences conjugales pour recevoir de l’aide et obtenir justice. Malgré l’existence de lois qui garantissent le droit des victimes à une protection et à des services sociaux, Human Rights Watch a constaté des lacunes dans la manière dont la police et le système judiciaire traitent les affaires de violence conjugale, notamment le refus d’enquêter lorsque des plaintes sont déposées, le fait que ces institutions n’émettent pas d’ordres de protection des victimes ou ne les font pas appliquer, et qu’elles considèrent les violences conjugales comme une infraction légère. Human Rights Watch a également diffusé une vidéo  qui montre des victimes de violences conjugales décrivant les obstacles qu’elles ont rencontrés lorsqu’elles essayaient d’obtenir une protection.

« La réponse qu’on apporte aux victimes de violences conjugales au Tadjikistan les laisse souvent en danger », a déclaré Steve Swerdlow, chercheur senior sur l’Asie centrale à Human Rights Watch. « Les responsables ne s’acquittent pas de leur obligation de faire appliquer la loi du Tadjikistan sur les violences conjugales. »

Une loi de 2013 sur la prévention des violences conjugales a conduit à la prise d’importantes mesures, telles que des campagnes de sensibilisation et l’affectation dans certains postes de police de femmes spécialement formées et ayant rang d’inspecteur de police. Mais des victimes, des avocats et des prestataires de services affirment que la police ignore souvent la loi et que les victimes ne disposent pas adéquatement d’une protection contre les abus et d’un accès à des refuges.

Le fait que les violences conjugales ne soient pas toujours déclarées et l'insuffisance des données collectées rendent difficile d’évaluer leur incidence au Tadjikistan, mais les organisations locales et internationales affirment qu’elles sont monnaie courante. En 2016, ONU Femmes, l’agence des Nations Unies qui défend l’égalité des sexes, a affirmé, en se basant sur des statistiques du gouvernement, que les violences familiales affectaient au moins un cinquième des femmes et des filles à travers le pays. En novembre 2018, le comité de l’ONU qui supervise la mise en œuvre de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, a exprimé sa préoccupation du fait que les violences conjugales au Tajikistan soient « généralisées, mais passées sous silence » et que, comme le viol et les agressions sexuelles par le conjoint, elles ne soient pas considérées comme un crime.

Human Rights Watch s’est entretenu avec plus de 80 personnes, dont 55 femmes victimes de violences conjugales au Tadjikistan. Human Rights Watch a également interrogé des policiers, des avocats, des membres du personnel de refuges et de centres de crise, des responsables gouvernementaux, des prestataires de services, ainsi que des représentants de l’ONU, de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, et d’autres organisations internationales dotées de projets visant à lutter contre les violences faites aux femmes.

Le gouvernement tadjik n’a pas répondu à nos demandes d’informations concernant la mise en œuvre de la loi de 2013 sur les violences familiales, ni fourni de commentaire sur nos constats.

Des femmes interrogées ont affirmé avoir subi des abus pendant des années, habituellement de la part de leurs maris ou partenaires, notamment des viols, des coups de couteau, des étranglements et des coups assénés à l’aide d’objets tranchants ou lourds tels qu’une pelle, un tisonnier, un fer à repasser ou une chaise. Elles ont également affirmé que leurs agresseurs les avaient privées de nourriture, de vêtements et d’accès aux toilettes ou à la cuisine. Ces femmes ont indiqué que ces violences leur avaient causé des blessures, notamment des hémorragies internes et des lésions de certains organes vitaux, des traumatismes crâniens, des fractures du crâne ou de la mâchoire et de graves hématomes, ainsi que des symptômes de traumatisme et de détresse émotionnelle.

« Après qu’il m’eut battue, je me suis échappée de justesse et je suis allée, couverte de sang, au bureau du procureur de la ville », a déclaré une femme de 28 ans qui a enduré pendant quatre ans les abus et les viols de son mari. Mais, a-t-elle affirmé, alors qu’elle tentait de dénoncer ces violences, le procureur l’a interrompue, demandant : « Est-ce qu’en fait, ce n’est pas votre faute ? » Il a alors appelé son mari, révélant ainsi où elle était, puis lui a dit : « Tout va s’arranger. Rentrez chez vous. »

La loi du Tadjikistan sur les violences familiales permet à la police et aux tribunaux d’émettre des injonctions restrictives temporaires ou de long terme pour empêcher la répétition des abus ou pour interdire les contacts entre l’auteur des abus et la victime. Cependant, de nombreuses victimes ont affirmé que la police ne les avait jamais informées sur ces injonctions restrictives ou s’était abstenue de les faire respecter ou de sanctionner les agresseurs qui ne les respectaient pas. Les agresseurs sont rarement poursuivis ou déférés devant la justice, a constaté Human Rights Watch.

« Les responsables de violences conjugales devraient être déférés en justice », a affirmé Steve Swerdlow. « S’ils ne sont pas amenés à rendre des comptes, les agresseurs reçoivent un message selon lequel la violence conjugale est une chose acceptable. »

Les victimes se heurtent également à un manque criant de services. Le Tadjikistan compte seulement quatre refuges spéciaux pour victimes de violences conjugales, pour une population de près de neuf millions d’habitants, un chiffre bien inférieur au minimum fixé par les normes internationales. Ce sont les organisations non gouvernementales qui fournissent l’essentiel des services disponibles. Bien que le Tadjikistan dispose d’un réseau de centres de ressources dédiés aux femmes, gérés par l’État et répartis dans tout le pays, il n’existe pratiquement pas de personnel qualifié dans le soutien psychologique et le conseil en matière de santé mentale, ni d’assistance juridique pour les victimes, y compris pour les questions de répartition des biens après un divorce.

Des victimes et des activistes ont affirmé que même dans les centres de ressources pour femmes et dans les refuges, les conseils dispensés sont essentiellement axés sur la réconciliation des victimes avec leurs agresseurs, plutôt que sur la fourniture d’une protection et de services et sur les moyens de faire rendre des comptes aux auteurs réguliers de graves violences. De nombreuses femmes ont affirmé qu’elles avaient été encouragées à retourner vers leur conjoint ou leur compagnon abusif et avaient continué à souffrir de violences.

Parmi les autres obstacles, figurent la dépendance financière dans laquelle beaucoup de femmes se trouvent vis-à-vis de leurs agresseurs et la peur de perdre la garde de leurs enfants. De nombreuses femmes ont déclaré qu’elles avaient poursuivi leur relation avec un partenaire abusif ou essayé de se réconcilier avec un mari violent qui les avait abandonnées parce qu’autrement, elles et leurs enfants se seraient retrouvés sans ressources.

Au Tadjikistan, où les épouses vivent habituellement avec leurs beaux-parents, les possibilités de logement, même après un divorce, sont extrêmement limitées. Une disposition de la loi tadjike appelée vseleniie fait que les tribunaux ordonnent souvent qu’une femme divorcée et ses enfants se voient allouer comme résidence une partie du domicile de ses anciens beaux-parents et mari. La Vseleniie a ainsi mis de nombreuses femmes victimes d’abus dans des situations encore plus précaires, où elles sont exposées au risque d’une poursuite des violences.

D’autres pratiques néfastes susceptibles d’augmenter les risques de violences conjugales incluent la polygamie, les mariages clandestins et forcés et les mariages d’enfants, bien que le gouvernement ait relevé l’âge légal du mariage à 18 ans et pris des mesures pour s’assurer que les couples fassent enregistrer leur union par les agents de l’État.

Le gouvernement tadjik devrait amender la loi sur les violences conjugales pour faire explicitement de la violence conjugale un crime, a affirmé Human Rights Watch. Il devrait s’assurer que la police, les procureurs et les juges émettent et fassent appliquer des injonctions restrictives, enquêtent sur les affaires de violence conjugale et poursuivent leurs auteurs en justice. Les responsables qui s’abstiennent de le faire devraient être sanctionnés.

Le gouvernement devrait également soutenir la fourniture aux victimes de refuges et de services médicaux, psychosociaux et légaux, y compris en développant l’assistance juridique et les refuges pour victimes de violences conjugales. Il devrait aussi amender la disposition vseleniie de la loi et développer des options d’hébergement à long terme pour les tranches vulnérables de la population, y compris les victimes de violences conjugales.

Les partenaires internationaux du Tadjikistan, y compris les agences d’aide internationale, devraient insister auprès du gouvernement tadjik pour qu’il criminalise la violence conjugale. Ils devraient également offrir davantage d’assistance pour financer des refuges, des logements de rechange à prix abordables et d’autres services destinés aux victimes de violences conjugales.

« La priorité des autorités du Tadjikistan devrait être de protéger les femmes des abus, pas de faire pression sur elles pour qu’elles retournent vivre dans des environnements dangereux », a conclu Steve Swerdlow. « Le Tadjikistan devrait faire en sorte que les violences familiales fassent l’objet d’enquêtes et que leurs auteurs soient poursuivis en justice, et que des refuges et d’autres services soient disponibles pour assurer la sécurité des femmes. »

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Novastan.org (déc. 2018)

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