Il est une tendance très française, jacobine pourrait-on dire: considérer Paris comme le centre de la France, omettant volontairement les particularités des autres bassins de vie de notre territoire. En politique plus qu’ailleurs, la capitale intrigue, tantôt comme modèle, tantôt comme exception. Les Municipales de 2020 s’annoncent déjà sous cet angle de l’excentricité et de la singularité. Réunis en début de semaine, les militants et représentants LREM ont eu la chance d’apercevoir Emmanuel Macron, distribuant bons et mauvais points. Le décor est déjà effectif: Villani, Griveaux et Hidalgo jouent leur rôles cousus sur-mesure. Pour information, mon article se base sur les tendances web du 1er au 18 septembre.
1 - Le pouls du Web sur les candidats à la Mairie de Paris
Voici le nombre de mentions associées à chacun des candidats:
C’est Villani qui semble susciter le plus de “curiosité” et d’articles rédigés (positifs ou négatifs). Fait également intéressant, c’est lui qui suscite le plus de réactions sur la Toile:
S’il n’est pour l’instant pas donné “gagnant” par les sondages, Cédric Villani est en tous les cas celui sur qui se portent tous les projecteurs. Ce qui n’est pas sans rappeler la tactique d’un certain Emmanuel Macron lors des dernières présidentielles…
Concernant les comptes influents qui les citent, voici les résultats avec un code couleur sur le côté à gauche (rose = Villani, Bleu = Griveaux, Violet = Hidalgo).
On peut observer certaines tendances: Le Figaro se focalise sur Anne Hidalgo (stratégie “anti-gauche”?), là où l’AFP parle surtout de Benjamin Griveaux et Cédric Villani (vision neutre?), RTL se concentrant sur ce dernier (audience plus intellectuelle?) Ian Brossat, le représentant du Parti Communiste français, apparaît comme l’un des influenceurs / commentateurs importants.
2 - Des univers narratifs fortement contrastés
En tapant simplement le nom des personnes sur Google, on entre dans une analyse plus qualitative et moins quantitative. Concernant Hidalgo, c’est logiquement la dimension statutaire qui ressort, les mots “Paris”, “ville de Paris” sont les plus fréquents. Concernant les municipales, c’est l’étiquette “en tête” qui est accolée, confirmant sa posture de favorite. Concernant Villani, ce sont les termes de “division”, “déterminé”, et “dissident” qui ressortent davantage, prenant ainsi le costume de l’outsider ou du “dissident intelligent” (le mot “mathématicien” étant souvent utilisé). Concernant Benjamin Griveaux, les résultats semblent davantage orientés sur son discours et sa personnalité, ses propos et citations (“on ne s’improvise pas candidat à la mairie de Paris”, “je propose de suspendre les travaux”, etc.).
Allons plus loin, par curiosité, lorsque vous tapez les noms des candidats suivi du mot “citations” justement, voici ce qui en ressort. Concernant Anne Hidalgo, c’est la dimension littéraire qui prime: “ses plus belles citations”, “citations célèbres”, la photographie de ses nombreux ouvrages, une photographie d’elle regardant dans le vague. Concernant Cédric Villani, c’est plutôt la dimension académique qui prime, avec une pointe ”électron libre”: page du Monde “Cédric Villani a dit”, “recueil des citations libres”, photo de lui regard de face, devant un tableau où un symbole semble écrit à la craie. Concernant Benjamin Griveaux, le discours est beaucoup plus dysphorique, on retrouve les mots comme “boulette”, “fausse citation”, et le titre de son livre “Salauds de pauvres”.
Voici le phénomène qui interpelle: le titre de ce livre est un double langage. Initialement ironique, il contient la voix de Benjamin Griveaux qui dénonce ceux qui disent “salauds de pauvres”. Sauf que, depuis il s’est passé Macron-Jupiter, le poste de porte-parole et les Gilets Jaunes. La voix initiale qui dénonçait devient une voix attribuée: c’est comme si c’était sa voix qui s’exprimait directement! Tout cela n’est pas intentionnel, de l’ordre du symbolique, sans doute perçu inconsciemment, mais le storytelling est déjà en place. Aussi, le discours d’Anne Hidalgo est présent en creux (villedeparis.fr), celui de Cédric Villani est affirmatif (“Cédric Villani a dit”), celui de Benjamin Griveaux est polyphonique (“Salauds de pauvres”).
3 - Chacun, seul face à ses péripéties dans une Histoire qui semble (parfois) déjà écrite
Voici un petit tableau récapitulatif pour rendre compte des qualificatifs ou substantifs associés, en nombre d’occurrences, pour les deux candidats:
Bien sûr, les chiffres sont toujours à analyser et il faut savoir prendre de la dis-tance avec eux. Ressort un fort paradoxe, Villani apparaît à la fois “seul” et “soutenu”… Intéressant également de noter la nature grammaticale des mots associés aux candidats: Villani apparaît plus “méprisant” que Griveaux (adjectif) mais Griveaux incarne plus le “mépris” que Villani (substantif). Loin d’être anecdotique, ces différences grammaticales portent en elles de lourdes différences de sens: en linguistique, la “substantivisation” joue comme un point de non-retour, il est plus difficile de changer de rôle quand on incarne pleinement une valeur (durable), que lorsqu’on est qualifié par cette valeur (temporaire).
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