"Saint-Sauveur recherche un médecin." Le message s’affiche un peu partout dans la commune, comme un SOS, sur les panneaux lumineux.
Si Édouard Philippe cherchait un village pour illustrer la désertification du milieu rural, il serait très inspiré de se rendre à Saint-Sauveur-sur-Tinée (Alpes-Maritimes).
Le bourg de 338 âmes se trouve sur la sinueuse route du ski, ou des loisirs de montagne, selon la saison. Un village-rue qu’on traverse souvent sans s’y arrêter. Les emplacements de parking y sont rares.
« La situation n’est guère belle ici », témoigne Marie-Rose, 54 ans, l’épicière du village. L’épicière ? Plutôt une institution.
« Je l’ai vue toute gamine sur les basques de ses parents, sourit un client. On la voyait à peine dépasser du comptoir. Marie-Rose va déposer des courses chez les personnes âgées, prend des nouvelles, quand des volets ne s’ouvrent pas un matin par exemple. »
Trop de charges, pas assez de clients
À la belle époque, le village comptait des bars à foison. Il n’en reste plus que deux. À la fin de l’année, Marie-Rose va définitivement baisser le rideau de son épicerie après trente années de service. "Pour l’instant je m’en sors à peu près, mais c’est limite. J’arrête quand il est encore temps." Trop de charges, pas assez de clients.
Un peu plus loin, le snack-bar est fermé définitivement. Idem pour la boulangerie et le bureau de tabac. La trésorerie a quitté le bourg depuis longtemps. Le médecin, lui, s’arrêtera en fin d’année. Aucun remplaçant ne s’est manifesté, malgré un cabinet et un logement mis à disposition.
C’est un peu comme si tout le village baissait le rideau en même temps. Heureusement, La Poste continue à aligner fièrement ses véhicules jaunes. La gendarmerie, qui héberge notamment le Peloton de haute montagne, assure aussi la présence de nombre de familles. De quoi garnir les bancs de l’école et du collège.
"Les transports ne sont pas adaptés"
Au bord des eaux vives de la Tinée, nous croisons Christelle et Karine, 46 ans, deux mamans, postières de métier. "Vivre ici, c’est un choix de vie. Mais avec les enfants qui grandissent, ça devient une difficulté. Les transports ne sont pas adaptés et tous nos petits commerces ferment, c’est triste."
Un peu plus bas, rencontre avec Laurent Ferrer, 50 ans, exploitant agricole à Ilonse, commune voisine. « Saint-Sauveur, c’est un village mort », témoigne-t-il. Il est attablé au snack Chez Coco, le long de la RM2205. Tiens, une ouverture, ça mérite d’être signalé. Coco a ouvert en juillet. Mais elle s’inquiète pour l’hiver, qui risque d’être rude niveau finances. « Je vais devoir me diversifier, faire des petits-déjeuners pour les skieurs. » Elle pense à monter un dépôt de pain, mais doit en parler à la mairie.
On détaille à Laurent, gaillard barbu, les mesures annoncées par le Premier ministre. L’agriculteur sourit. « Entre les discours et les actes, c’est pas un fossé qu’il y a, c’est un précipice. » Des années qu’il réclame l’électricité. En vain. Un générateur au gasoil alimente donc son exploitation où il produit fruits, légumes, confitures. La semaine dernière, il s’est retrouvé quatre jours sans réseau téléphonique et donc sans commandes.
Le bout du monde.
"On a été écoutés"
Coup de fil à Jean-Paul David, maire de Guillaumes, président de l’Association des communes rurales des Alpes-Maritimes. Il veut voir dans ces annonces un signal positif et le fait "que les communes reprennent tout leur sens". Mais il prévient, il faut aller plus loin, multiplier les maisons France-Service, ces lieux où seront regroupés tous les services publics.
Une précision : Jean-Paul David déteste le mot ruralité. Il parle, lui, "des ruralités". Celle, péri-urbaine, qui est en explosion. Et l’autre, dans les terres plus reculées, qui souffre, à l’image de Saint-Sauveur-sur-Tinée.
"Si Saint-Sauveur s’écroule, c’est le territoire entier qui suit", commente-t-il. Laurent, l’agriculteur, avait un peu plus tôt résumé la situation : "J’ai l’impression de vivre un exode rural."
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