À l'audience pour violences conjugales : "Monsieur, je vous condamne à deux mois de prison avec sursis !"

Dossiers en attente d'être jugés ©Radio France - Matthieu Boucheron pour France Inter
Dossiers en attente d'être jugés ©Radio France - Matthieu Boucheron pour France Inter
Dossiers en attente d'être jugés ©Radio France - Matthieu Boucheron pour France Inter
Publicité

Dans le Prétoire vous emmène devant la 24e chambre du tribunal correctionnel de Paris, la 24.2, une chambre principalement dédiée aux affaires de violences conjugales, pour les violences les moins graves, quand la peine encourue n'excède pas cinq ans d'emprisonnement.

C’est un juge unique qui préside l’audience de la 24.2, au tribunal de Paris. Ce jour-là, c'est un juge d’expérience, habitué à voir défiler à la barre, des dizaines de couples qui se déchirent ou tentent de se réconcilier, au beau milieu de l’audience. 

Le premier prévenu, ce matin-là, est un petit homme trapu aux joues très rouges, cheveux grisonnants, costume chic, chaussures de daim raffinées. Il est directeur financier. Habite un bel appartement du paisible 17e arrondissement de Paris. Son épouse est assise sur le banc des victimes. Elle est plus jeune que lui, très jolie, des yeux gris-bleus et un visage doux. Ils ont ensemble deux enfants de 6 et 11 ans. 

Publicité

"Monsieur", commence le président, "on vous reproche d’avoir exercé volontairement des violences sur Madame. Plusieurs coups de poings et coups de pieds." 

Le juge précise que les violences n'ayant pas provoqué d'incapacité de travail, elles auraient pu être punies par une contravention. "Mais comme ces violences ont été exercées par un conjoint, c’est devenu un délit", sermonne le magistrat. Et il se met à lire les faits, tels que Madame les a racontés, en allant porter plainte au commissariat un vendredi de mars, vers minuit. 

Elle y était arrivée couvertes de bleus. Son mari, disait-elle, venait de la frapper, après avoir bu deux bouteilles. Elle expliquait que Monsieur buvait souvent les vendredis, de retour de ses déplacements en province. Il n'est jamais là la semaine. Cette nuit-là, aussitôt la plainte déposée par Madame, les policiers étaient allés interpeller Monsieur dans son lit. Il avait encore un fort taux d'alcoolémie dans le sang.

Six mois plus tard, le juge interroge le mari violent. "Alors, pourquoi cette violence ?" "Je n’ai aucune explication", bredouille le prévenu, de plus en plus écarlate. "Dans un premier temps, vous avez nié devant les policiers !", rappelle le président. "Pour moi, ça ne s’était pas passé", bafouille le mari. Il ne se souvient de rien. Ni d’avoir tapé sur sa femme ce soir-là. Ni du point de départ de la dispute : son épouse lui reprochait d'avoir tapé avec la télécommande sur la tête de leur fils aîné. 

"Elle dit que c'était habituel, ce genre de tapes sur votre enfant", gronde le président. "Non pas habituel, mais ça a pu arriver", finit par reconnaître le prévenu. "Combien de fois ?" tonne le président. "Trois fois par an", avoue le père de famille, qui ne veut pas reconnaître que ses fils étaient "prostrés", le week-end. C'est pourtant ce qu'a déclaré sa femme aux policiers. 

"Vous voyez la différence d'attitude de vos enfants avec le reste de la semaine puisque vous avez fait installer une caméra dans le salon, pourquoi cette caméra, Monsieur ?" s'étonne le président. "C'est contre les voleurs", prétend le prévenu. "Je comprends pas bien Monsieur, puisque vous n'avez pas fait installer d'alarme. Vous ne vouliez pas plutôt savoir tout ce que vous faisait votre femme, la semaine ?" 

"Et le four monsieur ?", interroge le juge. "Ben, le four, j'ai tiré fort sur la porte et il est sorti au cours d'une dispute." 

"Sans doute une forte dispute !", le réprimande le président, qui souligne que les voisins se sont plaints souvent, et ont même fini par composer le 3919 pour femmes victimes de violences ; l'un des voisins a même conseillé à Madame de divorcer. 

Madame est appelée à se lever, à son tour. "C'est la première fois qu'il me tapait", ce soir de mars, dit-elle. "Avant c'était verbal. Plutôt du harcèlement, comme le fait qu'il me retire la couette, la nuit, en me disant que c'est son lit, que c'est lui qui l'a payé". "C'est vrai ou pas vrai, monsieur ?" tempête le président. "Ça a dû pouvoir arriver", grommelle le mari, qui affirme qu'il a "changé". Son épouse renchérit : "j'ai constaté qu'il ne consomme quasiment plus d'alcool et ça a vraiment beaucoup changé nos relations".

"Vous entendez vous porter partie civile, Madame ? Vous pourrez ainsi avoir accès au jugement, donner votre vérité, sans être dans l'obligation de demander un préjudice !", lui demande le président d'une voix douce. "J'ai demandé à retirer ma plainte, je ne pense pas pouvoir me porter partie civile" répond-elle, en jetant un regard inquiet à son mari. "Ne vous tournez pas vers lui, Madame ! Ce n'est pas à lui de vous dire ! Vous n'êtes pas sous son emprise, Madame !" 

Après un silence lourd, elle dit du bout des lèvres, et au bord des larmes, qu'elle sera partie civile.  Le jugement tombe, quelques minutes plus tard. Monsieur est condamné à deux mois de prison avec sursis. "Aujourd'hui, vous prenez un carton jaune, Monsieur. S'il y a une autre violence sur votre épouse, ce sera un carton rouge". Les deux époux repartent ensemble,  leurs alliances aux doigts. Monsieur semble en colère, et Madame apeurée. Ils ont repris leur vie commune.

L'équipe

pixel