Nanette Gartrell est chercheuse invitée à l’Institut Williams de l’école de droit de l’université de Californie, à Los Angeles. Médecin et psychiatre, elle mène aussi des travaux de recherche sur l’homoparentalité en employant les méthodes des sciences sociales. Nanette Gartrell dirige depuis les années 1980 la National Longitudinal Lesbian Family Study, une étude de suivi de familles fondées par des lesbiennes, la première recherche de longue durée portant sur les enfants des couples de femmes.
L’étude que vous pilotez s’intéresse tout particulièrement au développement et à la santé mentale des enfants élevés par un couple de femmes. Plusieurs opposants aux unions de même sexe estiment que ces filles et ces garçons risquent de ne pas pouvoir s’épanouir pleinement. Pour votre part, sur la base de cette étude, qu’observez-vous ?
Les plus récentes enquêtes que nous avons menées concernaient des adolescents de 17 ans et des jeunes adultes de 25 ans. Et nous avons remarqué qu’ils se portaient aussi bien, voire mieux, que l’échantillon représentatif de la population générale auquel nous les avons comparés : leurs études se déroulent bien, ils ont un riche réseau d’amis et sont très proches de leurs parents. Nous avons aussi découvert qu’aucun d’entre eux n’avait souffert d’agressions sexuelles ou de violences de la part d’un parent ou d’un proche. Comparativement, 8 % des adolescents américains de 17 ans ont été victimes d’abus sexuels de la part d’un parent ou d’un proche, et 26 % de violences commises par ce même entourage. Cette différence est spectaculaire.
Dans quelles circonstances avez-vous lancé cette étude ?
En 1982, aux Etats-Unis, une clinique du planning familial a pour la première fois été autorisée à rendre la procréation médicalement assistée (PMA) accessible aux femmes célibataires et aux lesbiennes. J’étais alors professeure à l’école de médecine de Harvard et, avec des collègues, nous avons réalisé que nous étions face à un nouveau phénomène social. Il était clair pour nous qu’il fallait l’étudier. En 1986, nous avons donc débuté notre étude de suivi de familles fondées par des mères lesbiennes, de la conception des enfants jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge adulte. C’est un projet qui ne bénéficie d’aucun soutien financier, les chercheurs travaillent sur la base du volontariat.
A l’époque, l’homophobie et la discrimination étaient bien plus répandues qu’aujourd’hui. Par exemple, la justice, qui était parfois appelée à trancher dans des affaires d’adoption ou de divorce, doutait de la capacité des enfants à s’épanouir s’ils étaient élevés par des parents homosexuels. Différents projets de recherche, qui se concentraient sur un moment précis de la vie de ces mineurs, leurs 5 ans ou leurs 10 ans par exemple, ont démontré qu’il n’en était rien. Les sceptiques ont alors affirmé que l’on ne pourrait savoir si ces enfants se développaient normalement qu’une fois qu’ils auraient atteint l’âge adulte.
Il vous reste 61.68% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.