Giuseppe Verdi : Tout savoir (ou presque) sur "La Traviata", l'un des opéras les plus joués à travers le monde

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Giuseppe Verdi : Tout savoir (ou presque) sur "La Traviata", l'un des opéras les plus joués à travers le monde

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"La Traviata", l'opéra de Giuseppe Verdi qui ne cesse de dominer les salles
"La Traviata", l'opéra de Giuseppe Verdi qui ne cesse de dominer les salles
© Getty - DEA / G. DAGLI ORTI

Malgré le désastre de sa création en 1853, "La Traviata" est aujourd'hui l'un des plus grands succès de son compositeur Giuseppe Verdi. (Re)découvrez l'histoire de cette oeuvre qui a bousculé les traditions musicales et les mœurs de l'opéra !

Après le grand succès de son Rigoletto, Giuseppe Verdi accepte en 1852 une nouvelle commande de la part du Théâtre de La Fenice de Venise, sans pour autant avoir une quelconque idée d'intrigue, de livret. Et c'est au cours d'un séjour à Paris qu'il trouve finalement un sujet pour son nouvel opéra, en assistant à une représentation de La Dame aux Camélias d’Alexandre Dumas fils.

Avec Rigoletto et Il Trovatore, La Traviata forme la « Trilogia popolare » de Verdi et marque son apogée en tant que compositeur. Dans ces trois œuvres « populaires », il approfondit les liens entre drame théâtral et musique, tout en abordant des sujets peu familiers des scènes d'opéra, tels que la prostitution, l’argent, la vie mondaine, la maladie, et l’exclusion sociale.

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La Traviata, c'est ainsi l’histoire tragique d’un amour impossible au XIXe siècle, entre une courtisane et un jeune bourgeois. Loin des commentaires politiques dissimulés, des contextes exotiques et des décors grandioses qui caractérisent ses autres œuvres, La Traviata offre une féroce critique de la société à travers des personnages réalistes.

Découvrez la genèse et les particularités de La Traviata, opéra incontournable non seulement dans l’œuvre de Verdi mais aussi dans l’histoire de la musique.

La soprano Sonya Yoncheva incarne Violetta au Metropolitan Opera à New York.
La soprano Sonya Yoncheva incarne Violetta au Metropolitan Opera à New York.
© Getty - Jack Vartoogian

Un opéra inspiré de faits réels ?

Plus qu’un simple roman, La Dame aux Camélias d’Alexandre Dumas fils_,_ écrit en juin 1847, est le récit romanesque de sa relation avec la courtisane parisienne Marie Duplessis, qu’il rencontre au théâtre des Variétés en septembre 1844 et qu'il quitte onze mois plus tard avec regret, ne pouvant plus accepter son mode de vie. Dans La Traviata, Verdi s’inspirera ainsi de l’histoire amoureuse de Dumas pour critiquer l’étroitesse d’esprit de la société bourgeoise, son hypocrisie et ses jugements basés sur les seules apparences, jugements que le compositeur a lui-même subis au début de sa relation avec la chanteuse lyrique Giuseppina Strepponi

Giuseppina Strepponi n'est pas une courtisane, mais elle vit avec Verdi sans être officiellement son épouse et le couple se marie près de dix ans après leur rencontre. Lorsqu'en 1849, tous deux s'installent dans le village de Sant-Agata, à Bussetto (commune natale de Verdi), les jugements des habitants sont sévères, et Giuseppina Strepponi se trouve socialement exclue. 

« Je n’ai rien à cacher. Dans ma demeure vit une femme libre, indépendante, aimant comme moi la vie solitaire, disposant d’une fortune qui la met à l’abri du besoin. Ni elle, ni moi ne devons à qui que ce soit aucun compte pour nos actions. […] Qui est en droit de nous jeter la première pierre ? » répondra Verdi aux mauvaises langues. 

Giuseppe Verdi avec Giuseppina Strepponi (à droite), sa fille adoptée Maria Carrara et ses amis
Giuseppe Verdi avec Giuseppina Strepponi (à droite), sa fille adoptée Maria Carrara et ses amis
© Getty - Heritage Images

Les courtisanes, un sujet plus que tabou !

Malgré le succès du roman de Dumas fils, le choix de Verdi d'une « demi-mondaine » parisienne pour son nouvel opéra ne manque pas de choquer en Italie. Dès que l’administration du Théâtre de la Fenice prend connaissance du thème de l'oeuvre en décembre 1852, le livret est aussitôt soumis à la commission de censure italienne. Et la décision est unanime : une femme contemporaine dévoyée, non seulement héroïne de l’intrigue mais aussi sujet à empathie de la part du public, n’a pas sa place sur une scène d’opéra.

Malgré leur mécontentement, Verdi et son librettiste Francesco Maria Piave ne peuvent que céder à la commission de censure, et l'intrigue de leur Traviata est donc transportée 150 ans en arrière, au début du XVIIIe siècle, afin d’éloigner du public l’immoralité vraisemblablement choquante de l'opéra. 

Le "demi-monde" des courtisanes à Paris, un univers jugé trop choquant pour la Fenice
Le "demi-monde" des courtisanes à Paris, un univers jugé trop choquant pour la Fenice
© Getty - Robbie Jack

Une création houleuse : mauvais présage pour La Traviata ?

Une fois passée l'étape de la censure, il reste encore à Verdi la tâche difficile de trouver une interprète parfaite pour sa Violetta. Parmi les nombreuses divas de l’époque, le compositeur propose les noms de Rosina Penco, la Boccadati, ou Marietta Piccolomini, trois artistes lyriques correspondant, selon lui, à la manière dont Violetta doit apparaître au public  : « belle, expressive, et dotée d’une belle présence scénique. »

Mais les trois artistes sont malheureusement indisponibles, et Verdi est contraint de choisir la soprano Fanny Salvini-Donatelli, une chanteuse non sans mérite mais davantage intéressée par la mise en valeur de ses capacités vocales que par la vraisemblance scénique de son personnage. Le soir de la première, la soprano fait ainsi l’objet de moqueries de la part du public, notamment à cause de son apparence et de son interprétation peu en accord avec la supposée fragilité d'un personnage mourant tel que Violetta. 

Une soprano qui suscite les rires du public, mais également un ténor (Lodovico Graziani) souffrant et peu préparé, ainsi qu'un baryton (Felice Varesi) peu motivé, considérant que le rôle qui lui a été attribué n'est pas à la hauteur de ses talents. Peu surprenant, donc, que la création de La Traviata le 6 mars 1853 soit un désastre. « Est-ce ma faute ou celle des chanteurs ?, écrit Verdi à son élève et ami Emmanuelle Muzio le 7 mars 1853. Le temps jugera », fini-t-il par conclure_._

Affiche pour la première de La Traviata à la Fenice, le 6 mars 1853
Affiche pour la première de La Traviata à la Fenice, le 6 mars 1853

Les prémices du vérisme

Art dramatique italien par excellence, l’opéra est surtout un art populaire aux yeux de Verdi, idéal pour aborder un sujet contemporain et « vrai », tel que la rédemption par l'amour d’une femme dévoyée. Par son sujet mondain aux antipodes des héros mythiques et histoires féeriques habituellement mises en scène à l'opéra ; par sa musique épurée, par ses lignes vocales raffinées mais sans fioriture, Verdi compose au service du drame, et La Traviata annonce la genèse d’un nouveau genre d’opéra : le vérisme. 

« Je veux des sujets nouveaux, nobles, grands, variés et audacieux. Audacieux jusqu'à l'outrance, nouveaux dans la forme et se prêtant bien à la composition... [La Traviata] est un sujet de notre temps. Quelqu'un d'autre n'en aurait peut-être pas voulu […], moi je le fais avec un immense plaisir. » (Lettre à Cesare De Sanctis, janvier 1853)

Possédant autant de définitions que de compositeurs, le vérisme est né d’une envie de représenter la vie et les expériences des personnes « ordinaires » du XIXe siècle. Avec son héroïne d'origine modeste et au mode de vie peu compatible avec les bonne mœurs de la bourgeoisie,  La Traviata ouvre ainsi la voie au vérisme, genre repris ensuite par de nombreux compositeurs, tels que Pietro Mascagni (Cavalleria Rusticana, 1890) et Ruggero Leoncavallo (Pagliacci, 1892).

L’orchestre, la clé du drame

Prima la musica e poi le parole [D’abord la musique, et ensuite les paroles] : un adage de l’opéra très répandu au cours du XVIIIe et du XIXe siècle, mais pas pour l'oeuvre de Verdi ! Le compositeur souhaite justement échapper à toute hiérarchie entre musique et texte, favoriser plutôt l’union équitable de ces deux éléments afin de forger un ensemble supérieur : le drame, et la portée théâtrale de la musique.

Loin de reléguer son orchestre au rang de l'accompagnement, Verdi démontre au contraire un usage approfondi de sa force orchestrale : à travers la musique, l'ensemble exprime le déroulement progressif et l'évolution de la psychologie des personnages ainsi que leur expression émotionnelle, même lorsque la voix ne chante pas. Dès l'ouverture de l'opéra, par exemple, l’orchestre nous dévoile une suite de thèmes qui reviennent régulièrement au cours de l'oeuvre : une mélodie douce et fragile lancée par les violons et faisant allusion à la fragilité et au destin tragique de Violetta.

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Le thème de l’amour entre Alfredo et Violetta, également entendu pour la première fois lors de l’ouverture, refait surface aux moments psychologiquement poignants de l'opéra, notamment lorsque Violetta lit en style parlante (voix parlée) sa triste lettre adressée avec amour à Alfredo, lui annonçant son départ forcé et malgré elle : bien que Violetta tente de cacher ses émotions, l’orchestre trahit musicalement ses pensées en nous rappelant le thème de leur amour.

La Traviata inscrite dans la culture pop

Si La Traviata a pu choquer son public le soir de sa création, elle a beaucoup inspiré par la suite, que ce soit les compositeurs s'inscrivant dans le mouvement du vérisme, mais aussi, bien des années plus tard, les écrivains ou cinéastes. Par exemple, l'histoire d'un amour partagé entre une « call-girl » nommée Vivian et un riche entrepreneur, dans le film Pretty Woman (1990), semble tout droit inspirée de l'opéra de Verdi. Et ce n’est pas un hasard, d'ailleurs, si Vivian assiste à une représentation de La Traviata pendant le film !

Un lien pourrait aussi être établi avec le film Moulin Rouge ! (2001), même si son réalisateur Baz Luhrmann affirme qu'il s'est surtout inspiré du conte d’Orphée. Moulin Rouge, c'est une histoire d’amour qui se déroule dans le monde du cabaret à Paris, avec un jeune écrivain tombant amoureux de la courtisane Satine, une relation mise en danger par les intrigues et tristement écourtée par la la mort de Satine...

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