En quoi consiste la « nouvelle vision » portée par la Ligue islamique mondiale (LIM) et que vous avez évoquée mardi 17 septembre lors de la Conférence internationale de Paris pour la paix et la solidarité ?

Mohammed Al Issa : Cette nouvelle vision, dont je suis le principal artisan, traduit le message que je souhaite transmettre aux musulmans. Elle consiste en premier lieu à éclaircir les véritables objectifs de l’islam et des autres religions célestes. Comme l’affirme la charte de La Mecque, signée en mai sous l’égide de la LIM par 1 200 savants de tous les pays, l’essence des religions est le bien de l’humanité, non la guerre ou la confrontation entre cultures ou civilisations. Leur but est d’assurer la sécurité et la stabilité, la miséricorde pour les êtres humains et entre eux.

Le rôle des responsables religieux est donc de montrer où sont situées les erreurs d’interprétation qui ont mené aux débordements actuels, toutes religions comprises et en premier lieu dans l’islam. Le prophète Mohammed n’a mené que des batailles de défense et n’a jamais cherché à forcer quiconque à embrasser sa religion. Ce n’est qu’en cas de menace que la défense est autorisée aux musulmans.

C’est toutefois au nom de ce droit à se défendre que certains extrémistes musulmans justifient leurs attentats. Que pensez-vous de cet argument ?

M.AI : Le fanatisme et l’extrémisme sont issus d’une interprétation fallacieuse des textes et ils ne sont pas propres à l’islam. Toutes les religions ont connu ces dérives : il suffit de regarder l’histoire. Certaines personnes, parmi les combattants de Daech, sont malades psychologiquement. D’autres ont suivi cette tendance en raison de problèmes économiques ou sociaux.

Comment comptez-vous diffuser cette « nouvelle vision » ?

M.AI : Comme secrétaire général de la LIM, et parce que son siège est à La Mecque, j’ai un impact sur les musulmans du monde entier. Ma parole a un impact très fort, de même que les images de mes rencontres avec des rabbins ou des responsables chrétiens. Je sais que cela dérange certains, mais je sais à quoi je m’engage.

L’une des particularités de la Ligue tient à sa présence dans de nombreux pays : elle peut ainsi y développer des ponts d’entraide et de dialogue entre les religions, travailler aussi à l’intégration sociale des minorités musulmanes dans les pays où elles vivent. S’intégrer dans le tissu social est une obligation religieuse. Ceux qui ne le font pas menacent la société et ne respectent pas les « gouverneurs ». Certains tentent même d’arriver au pouvoir.

Visez-vous les Frères musulmans ?

M.AI : Notamment. Les Frères musulmans symbolisent le mieux l’islam politique. Malheureusement, ils entraînent d’autres personnes dans leur logique, par la pression et par la peur. Pour cette raison, nous donnons des conseils et des directives aux musulmans, dont le premier est de ne pas importer des fatwas de l’étranger. Les fatwas propres aux musulmans de France doivent être édictées par des savants français.

N’est-il pas contradictoire de donner des directives aux musulmans de France et de leur conseiller de ne pas importer des fatwas de l’étranger ?

M.AI : Je ne leur dis pas ce qu’ils doivent faire ! Je me contente de leur présenter une vision globale de l’islam.

À plusieurs reprises, lors de mes reportages dans des mosquées, j’ai pu voir des fidèles s’opposer à la fois à l’imam et aux institutions républicaines en s’appuyant sur les propos de prédicateurs saoudiens : comment l’expliquez-vous ?

M.AI : N’est pas savant qui veut ! Ces gens qui se placent en retrait de la société française suivent généralement des pseudos savants : au-delà de leur nationalité ou de l’université qu’ils ont fréquentée, il faut regarder l’idéologie qu’ils propagent. Ont-ils une perception juste de l’islam ?

Qu’est-ce qu’une perception « juste » de l’islam ? Entre les soufis, les mutazilites, les chiites, les malékites ou les combattants de Daech, qui a une perception « juste » de l’islam ?

M.AI : Le premier critère est d’être en osmose avec la raison humaine. On ne peut considérer comme islam authentique que celui qui appelle à la préservation de la sécurité, de la stabilité, de la paix, au respect des autres et de leur idéologie, et au respect de la Constitution du pays. Un musulman qui vit en France et qui ne respecte pas les lois de la République ou s’oppose aux autorités françaises ne pratique pas l’islam authentique. Celui qui entre dans un pays a l’obligation de respecter les lois et la culture du pays où il est, sinon il doit le quitter.

Cela signifie-t-il qu’un catholique qui se rend en Arabie saoudite doit renoncer à la possibilité d’y pratiquer sa religion ?

M.AI : Quel que soit le pays où vous entrez, vous devez vous soumettre à la loi et à la Constitution de ce pays. Si chacun pratique sa religion, cela peut entraîner une animosité, une remise en cause des us et coutumes du pays entraînant des troubles. La sagesse recommande de l’éviter. La solution est que chacun pratique sa religion de façon non pas secrète mais pas aux yeux de tous.

En Arabie saoudite, la base de la population est musulmane et les musulmans du monde entier s’accordent à reconnaître ce pays comme une terre sacrée pour eux. Depuis des siècles et des siècles, avant même la monarchie saoudienne, aucune église n’a jamais été construite sur son sol. Un jour, un Pakistanais est venu me voir à La Mecque en me demandant s’il était exact qu’une église allait être construite dans le pays. Il m’a dit que se tourner chaque jour vers La Mecque pendant sa prière lui offrait la quiétude. « Comment saurai-je dorénavant si je suis tournée vers la mosquée ou vers une église ? », m’a-t-il demandé.

Pourquoi alors avoir signé mardi 17 septembre un mémorandum d’amitié mentionnant la liberté de conscience et de religion ?

M.AI : Ce mémorandum, qui a été signé par tous – représentants juifs, chrétiens et musulmans – est un appel adressé au monde entier : il ne peut pas régler dans le détail les problèmes auxquels chacun est confronté au quotidien. La mise en pratique, par la suite, dépendra des autorités locales. Et ce n’est pas à un responsable religieux de dire la loi.

En tant que secrétaire général de la LIM, je ne représente pas l’Arabie saoudite. L’Arabie saoudite est mon pays, j’en suis fier et suis prêt à le défendre mais je ne m’exprime pas en son nom. J’ai été élu par une assemblée de 70 oulémas du monde entier, dont deux seulement sont saoudiens. Mon rôle est international.

N’est-il pas temps aujourd’hui d’abandonner ce terme de « minorité », qui dans certains pays – notamment les pays majoritairement musulmans – s’accompagne d’un statut discriminatoire ?

M.AI : On peut effectivement discuter de ce terme même s’il est d’utilisation courante : je suis d’accord qu’il n’est pas forcément bon de distinguer les musulmans du reste des citoyens d’un pays. Pour ma part, je juge intolérable qu’une minorité en termes numérique subisse des conséquences en termes d’ostracisme, de respect de ses droits et devoirs. Un gouvernement juste ne doit pratiquer aucune discrimination. À ma connaissance, les minorités sont respectées dans chaque pays musulman.

Le soutien financier que vous offrez à de nombreuses institutions musulmanes dans le monde n’est-il pas un autre moyen de diffuser votre « nouvelle vision » ? Comment les choisissez-vous ?

M.AI : Pour que nous l’aidions, une association musulmane française doit apporter la preuve qu’elle a l’appui du gouvernement français. Si la preuve est apportée – c’était le cas par exemple de l’Institut français de civilisation musulmane à Lyon –, le soutien de la LIM se fait toujours par l’intermédiaire et avec l’accord du gouvernement français. Si demain quelqu’un vient nous voir et nous demande de l’aide et qu’ensuite un terroriste est pris dans cette mosquée, pourquoi serais-je responsable de cela ? En revanche, nous ne demandons jamais d’avoir un regard sur la gestion de l’organisation en question.

Votre venue en France a été critiquée par certains responsables musulmans français qui y voient une « ingérence étrangère ». Que leur répondez-vous ?

M.AI : Ils ont la liberté de s’exprimer mais je remarque qu’ils ne parlent pas du fond, du contenu du mémorandum. Or c’est pour cela que je suis venu : pas pour donner des conférences religieuses dans des mosquées ni mettre de l’ordre dans leurs rangs. C’est uniquement de cela qu’ils peuvent me parler.

Que répondez-vous à l’épouse du blogueur saoudien Raef Badaoui, arrêté en 2012 pour « insulte à l’islam » puis condamné à 1000 coups de fouet, qui a manifesté mardi devant le lieu de la conférence ?

M.AI : Ce type d’événement ne se passe pas uniquement en Arabie saoudite et il convient de ne pas le regarder sous un angle unique, sans avoir l’ensemble des tenants et aboutissants. Seules les autorités d’un pays disposent de tous les éléments.

Quant à moi, j’étais ministre de la justice de l’Arabie saoudite à cette époque, c’est exact mais cette affaire ne relevait pas de mon autorité. J’étais responsable des lois et du fonctionnement des tribunaux mais je n’étais pas procureur général ni juge. En tant que citoyen saoudien, je fais confiance aux autorités compétentes et respecte les jugements prononcés.